• Aucun résultat trouvé

Les interprétations du droit international des droits humains dans la démarche de

CHAPITRE 6 – L’ADAPTATION DU DROIT INTERNATIONAL PAR LES

3. La perception du droit et des droits humains pour l’apport d’un changement

3.1 Les interprétations du droit international des droits humains dans la démarche de

Lorsque le sujet des normes internationales est soulevé, des associations sont automatiquement établies à l’Occident, à la modernité et au progrès448. La majorité des travailleuses sociales ne font pas le lien entre la communauté internationale et les droits humains, les relayant alors à deux ordres normatifs distincts. Le droit international leur est plutôt méconnu et appartient à une société qui n’est pas la leur. Ainsi, les idées associées à cet ordre normatif n’ont pas de valeur explicite dans leur travail puisqu’elles sont le symbole des valeurs occidentales reliées à l’individualisme et au libéralisme. Pourtant, les droits humains sont mobilisés dans les interventions. Ils ne sont par contre pas automatiquement associés au système de droit international de l’ONU. Certains répondants affirment que les droits humains sont intégraux dans la lutte contre la violence domestique. L’apport bénéfique de l’approche des droits humains (human rights approach) dans la transformation des comportements liés à la violence domestique est reconnu unanimement. « Unless you don’t give violence or abuse a human rights perspective, unless you don’t really understand the women prerogative, you cannot bring about a change. »449 CHEI postule explicitement qu’il adopte une approche des droits humains dans ses activités, sans pour autant expliquer les moyens pour l’appliquer. C’est l’interprétation du concept et de l’impact de cette approche qui donne un indice sur l’opérationnalisation des droits humains. Dans cette optique, aucune définition de l’approche

447 La directrice est à la tête de l’ensemble des activités du WCPVP. Elle est le point de référence pour toute

décision. Bien qu’un amalgame de facteurs entre en jeu, les choix des champs d’action et des orientations fondamentales font tous l’objet d’une décision finale de la directrice. En ce sens, le programme est grandement influencé par la perspective holistique de lutte contre la violence domestique adoptée par celle-ci.

448 Ainsi, lorsque le terme « international » est utilisé, il a été possible de constater des résistances chez les

répondants.

des droits humains n’a été développée par la chercheuse450. Parmi les répondants, il n’y a également aucune définition claire et homogène de celle-ci. Pour certains, cette approche permet de situer les cas de violence domestique dans un contexte social, économique et culturel plus large451. Puisque le WCPVP adhère à une vision holistique de santé publique, les liens sont rapidement établis entre la violence domestique et les droits à la santé, au logement, à la propriété, à l’emploi, etc. La problématique est donc analysée dans une perspective holistique plutôt que dans un cadre privé. Ainsi, l’analyse du droit vivant dans la société indienne est nécessaire pour appliquer une telle approche des droits humains. Cette approche reflète la capacité du CHEI d’avoir une compréhension vaste du phénomène de la violence domestique, observant ainsi le problème dans une tout autre perspective452. D’un autre côté, des répondants ont mentionné que l’approche des droits humains permet de prendre en considération la stigmatisation et la vulnérabilité de personnes qui ont plus difficilement accès au système de justice453. Les femmes, entre autres, font partie des groupes à prioriser, vu les intersections des discriminations basées sur le genre et la pauvreté. Au sein du CHEI, cette approche des droits humains est étroitement liée à une approche féministe. En fait, même si la non-violence et l’égalité sont de mise pour tous, il y a une reconnaissance de la discrimination systémique des femmes indiennes. Elles doivent obtenir un soutien plus grand. « [Her] basic rights, her human rights have been violated. We are not going to compromise. »454

450 Lors de la revue de littérature effectuée avant le départ pour l’étude de terrain à Mumbai, le concept

d’approche des droits humains n’avait pas été mobilisé par la chercheuse. C’est par le constat de l’utilisation de ce terme par CHEI qu’il a été décidé de porter une attention à celle-ci. L’approche des droits humains, bien que difficilement définie par les répondants, permet d’observer les perceptions et les applications des droits humains et des droits des femmes. Bien que l’expression « approche axée sur les droits de la personne » soit plus officiellement reconnue, l’expression « approche des droits humains » est également acceptée dans la communauté internationale et permet ainsi d’uniformiser le texte de cette recherche.

451 « I see interlinks and interconnections with each other. […] I don’t look at the case in isolation. […] I have to

look beyond the legal framework to see how the cultural impact or the economic status have a role to play in this case. », Entrevue Rutuja, avocate, 27 février 2013. « [We] are trying to use international law standards […] to broaden the scope », Conversation informelle Pooja, avocate et travailleuse sociale, 26 janvier 2013.

452 « You look at it from another pespective », Entrevue Pooja, avocate et travailleuse sociale, 10 avril 2013. 453 Le but n’est pourtant pas de les victimiser plus amplement en ciblant de manière excessive cette vulnérabilité.

D’ailleurs, CHEI souligne que ces femmes sont des survivantes de violence domestique et travaille à faire de la démarche d’intervention un processus d’ « empowerment ».

Dans ces circonstances où les répondants ne semblent pas tout à fait s’entendre sur la définition de l’approche basée sur les droits humains455 et où CHEI ne met pas concrètement en place des moyens pour mettre en oeuvre cette approche, pourquoi promouvoir son application? Quelles sont les motivations derrière la mise en œuvre des normes de droits humains? En fait, comme l’ont évoqué certaines personnes interviewées, le droit international des droits humains donne une crédibilité et une légitimité aux actions de l’ONG, tel un pouvoir moral supplantant des normes sociales et culturelles considérées néfastes pour la quête d’égalité et de liberté de la femme456. Comme l’affirme Merry, ces normes internationales ont une influence considérable puisqu’elles sont codifiées dans un système dit « juridique » et puisqu’elles ont reçu une reconnaissance mondiale par l’implication de nombreux États dans le processus conventionnel457. L’idéologie de l’universalisme semble donc transcender les cultures, ce qui donne un pouvoir de persuasion et une valeur inestimable à tout mouvement luttant contre les violations de droits humains. « [When] a clash between normative systems takes place, strategic actors […] will seek to enlist the endorsement or support of existing official legal systems, to, if possible, lend legitimacy, resources, and coercion to their cause »458. C’est d’ailleurs pour cette raison que les références aux droits humains sont particulièrement présentes dans les documents d’information à l’intention des donateurs et du gouvernement459. D’autre part, l’approche des droits humains permet d’atteindre une population plus grande et de s’associer à un mouvement international. Les alliances et les collaborations sont possibles. « [When] we do collaboration, especially at the international level and all, it brings more credibility, it brings also more visibility and I also think you have to work in solidarity because we cannot do this work alone. »460 À titre d’exemple, CHEI a

455 Une seule personne dans l’ensemble des répondants a mentionné que CHEI n’appliquait pas une approche des

droits humains. Ritu affirme que pour proclamer une telle approche, l’organisation doit faire du plaidoyer contre l’État pour dénoncer les situations de violation des droits humains et pour apporter des changements au niveau politique et législatif. Selon elle, ce n’est pas le cas à CHEI. Conversation informelle Ritu, travailleuse sociale, 12 février 2013.

456 Merry et al., Law from Below, supra note 26, à la p. 108. 457 Ibid.

458 Tamanaha, supra note 4, à la p. 406.

459 Dans une présentation à l’intention du conseil d’administration, la problématique de la violence domestique

est analysée dans un cadre de droits humains. Les rôles des ONG sont listés : « Fighting individual violations of human rights; offering direct assistance to those whose rights have been violated; lobbying for changes to national or international law; helping to develop the substance of those laws, and; promoting knowledge of, and respect of, human rights among the population. » Document CHEI.

participé activement à des campagnes internationales de sensibilisation et de plaidoyer lors des évènements 16 Days of Activism : Break the Silence on Violence et One Billion Rising to End Violence against Women ainsi que lors de la Journée internationale de la femme le 8 mars.

Tel que mentionné précédemment, les perceptions des droits humains ont également été discutées avec les répondants. Bien que les interprétations ne soient pas uniformes, certains thèmes sont récurrents. Dans un premier temps, le fondement principal des droits humains est l’état d’être humain. Il n’y a pas de différences entre les femmes et les hommes puisqu’ils appartiennent tous à la même race, soit à l’humanité461. Dans ce même ordre d’idées, toutes les personnes entrant en contact avec CHEI doivent être respectées, peu importe le genre, la caste, la classe ou l’appartenance ethnoculturelle462. « [CHEI’s] work had evolved with a rights based perspective where in the rights of each and every individual taking help or others related to them were respected. Even while negotiating with the perpetrator of violence, their rights were kept in mind to do fair amount of justice to the case. »463 Puisque CHEI stipule que la violence est une violation des droits humains, toute forme de violence est considérée inacceptable et non négociable, que ce soit envers un enfant, une femme ou un homme464. De plus, certains répondants soulignent une autre caractéristique définissant les droits humains : les gouvernements ont une responsabilité quant à la protection contre toute forme de violation de leurs droits.

Une autre observation a été réalisée : lorsque repris par CHEI, les droits humains peuvent simultanément être compris, d’une part, comme un système de droit et, d’autre part, comme un ensemble de valeurs465. C’est le continuum perceptuel. Dans les deux cas, la mobilisation des

461 Entrevue Kripal, avocat, 12 mars 2013. 462 Document CHEI.

463 Document CHEI.

464 Document CHEI. Également, Niharika explique l’approche des droits humains par l’utilisation d’un exemple

concret. En fait, dans les premières années du WCPVP, un homme ne montrait aucune ouverture dans les séances de counseling avec sa conjointe. Le garde de sécurité sur place tenta alors de résonner le mari après la rencontre, mais sans succès. Il commença alors à le battre en plein milieu de l’organisation. C’est à ce moment que le programme dût définir ses politiques et ses principes, mentionnant ainsi que le centre d’aide aux victimes se devait d’être un lieu libre de toute forme de violence, femme comme homme. Entrevue Niharika, coordonnatrice de programme, 10 avril 2013.

465 Ce constat a aussi été observé par Merry. Elle ajoute que les droits humains peuvent également être perçus

droits humains est facilitée. Selon la perspective, les relations à l’ordre normatif international varient largement. L’adaptation des normes sera donc différente selon la position des travailleuses sociales dans ce continuum. Dans un premier temps, les droits humains peuvent être définis comme des normes coercitives faisant l’objet des systèmes national et international de justice. Ainsi, les droits humains font partie d’un processus judiciaire qui contraint et sanctionne. Malgré les lacunes du droit international des droits des femmes466, les droits humains peuvent être placés dans leur position positiviste, où le droit applique des mécanismes de répression. C’est d’ailleurs pour cette raison que quelques personnes interviewées interprètent les droits humains par l’entremise des recours constitutionnels. Elles les distinguent en utilisant l’expression « droits fondamentaux ». Certains, spécialement ceux qui connaissent l’influence du droit international dans la rédaction de la PWDVA, vont parler de droits plus généraux tels que le droit à la dignité, le droit de vivre une vie libre de toute violence, le droit à la liberté individuelle, le droit à l’égalité, etc. Ces droits ne sont pourtant pas définis selon le cadre international, mais bien selon le cadre national. La plupart des répondants ont souligné que ces droits ne sont pas exclusifs au droit international des droits humains. Ils font déjà partie de la Constitution indienne. Il n’y a donc aucun emprunt à un système extérieur de l’Inde467. « [The] PWDVA is adapted from western countries. Why asking? At the end, the Constitution is ours. »468 En somme, les droits humains sont des normes inscrites dans la Constitution indienne et peuvent faire l’objet de poursuites judiciaires selon des procédures établies.

D’un autre côté, certains répondants interprètent les droits humains comme des valeurs morales faisant partie d’un idéal de justice. « Human rights are […] a philosophical and moral system of values that claims universality and asserts the worth of all humans by virtue of their humanity. »469 Souvent, ces idéaux sont définis selon une perspective beaucoup plus globale et holistique. D’ailleurs, un répondant mentionne que non seulement les droits

466 Voir chapitre 3.

467 Plusieurs répondants mentionnent que le droit indien contient toutes les lois nécessaires pour répondre aux

besoins d’égalité des femmes. « If you really look at the combination of international and indian law, we have everything. » Entrevue Pooja, avocate et travailleuse sociale, 10 avril 2013. Pourtant, le problème réside foncièrement dans l’application de ces lois.

468 Entrevue Amrita, travailleuse sociale, 10 avril 2013. 469 Merry et al., Law from Below, supra note 26, à la p. 107.

humains sont des idéaux à poursuivre, mais ils forment également un cadre d’analyse des problématiques sociales, économiques et culturelles du monde actuel. « Human rights for us, in the kind of work we do, we see it on our face everyday. »470 Cette vision des droits humains, bien que non exclusive, répond plus justement à l’approche des droits humains dont CHEI s’est dotée. Une distance est prise par rapport aux textes juridiques. Cette perspective sort des paramètres des ordres normatifs officiels, qui contraignent les droits humains à un cadre et à des définitions fixes. « Human rights are not really a practical knowledge. »471 Les droits humains deviennent un ensemble d’idées concernant la justice et l’égalité472. Les idéaux de justice sont plus facilement accessibles pour des organismes aux ressources financières et humaines limitées. D’ailleurs, l’objectif des idéaux et de l’approche des droits humains est de développer des moyens et des stratégies pour prévenir les futures violations de droits humains, plutôt que de simplement entamer des poursuites judiciaires pour des violations passées473. Le caractère légal positif du système de droit international est tout de même nécessaire afin de faciliter la légitimation et la crédibilité des idéaux internationaux. Le discours associé aux droits humains offre ainsi un vocabulaire reconnu474.