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Historique, corpus, méthodes

Chapitre 2 : Les méthodes d’analyse

B. L’analyse et l’analogie techno-morphologiques

La morphologie des pierres à aiguiser, polissoirs et autres outils de l’abrasion -, c’est-à-dire leur forme - est un facteur à prendre en considération. Elle peut évoluer au cours de l’usage,

être modifiée ou connaître des variations. Selon la matière première, la morphologie n’est pas identique et peut répondre à des fonctions différentes. L’analogie techno-morphologique a pour but de souligner les spécificités de chaque catégorie d’outils, appréciant et intégrant la matière première, la morphologie, les traces d’usage, résultant de la conception de l’outil, de la préparation des plages de travail préalable mais aussi de l’utilisation de l’outil. Tous sont

des marqueurs de différenciation en vue de l’élaboration d’une typologie spécifique. Les caractéristiques morphométriques se fondent sur le mode de fabrication des outils mais

intègrent également l’évolution des surfaces actives, prenant en compte la graduation dans l’utilisation de l’outillage. Il est important de distinguer la morphologie primaire de départ, de la morphologie résiduelle, dérivant de l’usure, après utilisation de l’outil. C’est ce que l’on retrouve dans les travaux de Danielle Stordeur, appliqués à l’os (STORDEUR 1988). L’intégration de ces types de description est peu usitée dans les études de matériel concernant

les outils archéologiques en pierre. Hara Procopiou a mis en lumière cet état et proposé une classification tenant compte de ces critères pour les polissoirs utilisés en contexte artisanal

(PROCOPIOU 2013, p. 50-51). Cette archéologue a pris en compte les critères

morphologiques, caractérisés par le type, et la forme de l’outil. Les critères techniques

englobent quant à eux « le degré d’élaboration », en distinguant des types et sous-types et donnant lieu à une classification pour toute aire chrono-culturelle (PROCOPIOU 2013). En ce

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sens, notre recherche inclut les critères morphologiques et technologiques lors des études de matériel.

II- L’expérimentation

Les tests expérimentaux reposent sur des hypothèses émises au préalable à partir des données matérielles issues des fouilles archéologiques et du matériel relevé, et visent à mieux

comprendre l’évolution et l’exécution des techniques et actions anciennes, qui se perpétuent jusqu’à nos jours. À travers les tests expérimentaux, on relève que la notion de geste

technique est primordiale. En effet, les gestes et les actions exécutés et répétés sont enregistrés dans le but de déterminer et de comprendre l’enchaînement technique, le principe de la chaîne opératoire et du procédé technique en lui-même. Les gestes sont ainsi interprétés

afin de comprendre l’efficacité d’un procédé, d’un usage, d’une action ou d’un enchaînement

technique. Dans le cadre de nos recherches, les tests ont pour intérêt de dégager des faits et

des gestes au moment de la reproduction des actions d’abrasion, d’aiguisage, d’affûtage et de polissage. Les degrés d’exécution sont aussi rapportés en prenant en compte les supports

lithiques et les matières travaillées. L’expérimentation nous amène à créer un référentiel, qui sera ensuite confronté aux données archéologiques.

En se rapportant à la définition d’Alain Gallay, on distingue l’archéologie expérimentale de l’ethnoarchéologie ou l’ethnographie, dans le sens où les tests expérimentaux visent à

reproduire des faits, des gestes, des procédés techniques, hors contexte

(GALLAY 1995, p. 15). L’expérimentation vise à retrouver la fonction des artefacts dans le contexte de la science. Cependant, comme le mentionne Jacques Pelegrin, les animations et les tests expérimentaux ne sont pas sans danger et connaissent des limites. Il est judicieux de

penser les tests et l’expérimentation en tant qu’archéologue qui expérimente et non en tant qu’archéo-expérimentateurs, prenant ainsi du recul vis-à-vis de l’expérimentation. L’archéologue doit prendre en considération qu’un test ne peut répondre à une question qu’indirectement, par un procédé d’analogie, après la mise en place d’une méthode appropriée

(PELEGRIN intervention orale 1991). Les résultats obtenus, bien souvent étayés par des données ethnologiques sont des hypothèses sur lesquelles nous pouvons nous appuyer dans le cadre de nos travaux scientifiques (DUMAS, ROUSSEL, TEXIER 2009, p. 7).

III- Apport des données de l’ethnoarchéologie et de l’analogie ethnographique

Comme le rappelle Jean-Daniel Forest, les archéologues « ne disposent plus que de données matérielles définitivement muettes et doivent donc en quelque sorte construire leur

information » (FOREST 1992, p. 28). L’ethnoarchéologie vise donc à expliquer les relations entre des faits matériels spécifiques et des interprétations. Selon Alain Gallay,

l’ethnoarchéologie peut se définir comme un « programme expérimental de compréhension des faits matériels archéologiques reposant sur l’analyse de ces faits dans des cultures

vivantes ou récemment disparues et sur les relations établies entre mécanismes et régularités » (GALLAY 2011, p. 381). En ce sens, le but de toute démarche ethnographique repose sur une compréhension améliorée de dispositifs et de modes de fonctionnement à partir de faits observés dans un contexte réel contemporain (GALLAY 1995, p. 27). L’analyse ethnographique relève d’une démarche descriptive et analogique. Les choix faits par des

individus d’un groupe sont relevés et questionnés dans un contexte donné. En ce qui concerne la fonction de l’outil, la démarche ethnographique nous invite à confronter les données

archéologiques aux données issues de contextes contemporains. En effet, le contexte ethnographique offre un éventail de possibilités fonctionnelles et de données sur les gestes et les actions.

Plusieurs études ethnoarchéologiques, réalisées ces dernières années, méritent d’être citées.

Ainsi, Valentine Roux s’est intéressée aux techniques de taille de la cornaline en Inde. Ses travaux et recherches ont intégré l’étude du processus de la chaîne opératoire, l’analyse des gestes techniques, de l’habileté et des moyens mis en œuvre dans la confection des perles.

Toutes les étapes ont été prises en compte dans un cadre culturel et artisanal déterminé (ROUX 2000). Quant aux outils de l’abrasion, les études ethnographiques réalisées en Inde par Hara Procopiou dans les ateliers de travail de la pierre de Mahabalipuram (Tamil Nadu)

ont permis d’appréhender les techniques de polissage (PROCOPIOU 2013, p. 33-64 et p. 74-

75). Celles-ci ont été mises en relation et comparées ensuite au travail effectué par les artisans spécialisés dans les ateliers de sculpture de marbre de Pyrgos, sur l’Île de Tinos dans les Cyclades (PROCOPIOU 2013, p. 65-73 et p. 76-79).

Les enquêtes effectuées sur le terrain de l’ethnographie, en contexte moderne, nous incitent comme l’explique Pierre Lemonnier, à intégrer le « moteur de l’histoire » aux observations

des comportements techniques dans des sociétés contemporaines, afin de trouver des éléments de réponses aux actions et aux outils découverts en contexte archéologique, en ne

s’intéressant pas uniquement à ce que les gens en pensent, mais aussi à « la façon dont ils s’organisent entre eux pour agir sur elle (la culture matérielle) » (LEMONNIER 2011). De

cette manière, il est essentiel de ne pas nous restreindre uniquement à la chaîne opératoire, à l’action, mais d’établir une convergence de relations « sociales », indispensable pour

(LEMONNIER 2011). Cependant, l’analogie ethnographique nous permet de formuler des hypothèses que nous devons vérifier par ailleurs. On peut, grâce aux recherches sur les

relations de faits matériels et sociaux, se rapprocher d’actions techniques sans pour autant systématiquement, résoudre les points d’interrogations. En complément des études de terrain, les archéologues et les chercheurs s’intéressent aux procédés et techniques, et établissent des liens entre les techniques d’aujourd’hui et celles du passé.

De fait, nos enquêtes de terrain en coutellerie réalisées par exemple dans le village de Thiers17, en France, mais aussi à Bursa18, en Turquie, ou à la Canée (Chania)19, en Crète,

intègrent des visites, des confrontations et des échanges au sein d’ateliers. Ceux-ci nous ont permis de nous intéresser aux pratiques d’entretien des tranchants des lames, dans le but de

mieux appréhender les gestes et les techniques indispensables au bon fonctionnement des

outils et des supports engagés. Le lien entretenu entre l’artisan et l’outil, son environnement au cœur des ateliers des couteliers, l’apprentissage, la répartition des tâches sont autant d’aspects pris en compte. Ainsi, plusieurs manufactures ont été visées lors de nos

investigations. Nous avons rapporté de nos enquêtes de terrain de précieux éléments

d’informations sur les actions et gestes d’entretien des lames de tranchants en métal. Nous

avons aussi relevé des pratiques de réaffutage chez un artisan boucher athénien, dans le but

d’évaluer et de connaître les modalités et les habitudes spécifiques nécessaires dans un

contexte artisanal particulier. Ainsi, les gestes, les rythmes et les séquences de l’affûtage des outils de boucherie ont été observés et relevés20. La connaissance de l’outil, la mise en situation, le lien entretenu entre l’artisan boucher et les actions d’entretien, ainsi que les outils utilisés pour l’occasion ont permis d’accroître le référentiel de connaissances et d’observations. Toutefois, à l’instar d’Olivier Aurenche, nous considérons que ces

observations ne peuvent être considérées comme des faits invariables, figés et applicables à toute réalité archéologique (AURENCHE 1995, p. 16).

17

Ateliers du musée de la coutellerie, discussions avec des apprentis ; ateliers et coutelleries Chambriard, Robert David, Arto), Thiers (Auvergne – France).

18Coutellerie Karaefe, Bursa (Turquie). 19Coutellerie Skalaridis, Chania (Crète, Grèce). 20

IV- Fonctionnement et utilisation des outils : l’analyse fonctionnelle

A. En suivant les traces… Principe et méthode de l’approche tracéologique en