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Chapitre 3 Autour du style littéraire

3.2. L’Analyse du style

Les concepts liés au style une fois éclairés, il nous faut accéder à l’étape suivante concernant l’analyse du style, compte tenu que celle-ci constitue la base de l’évaluation de la traduction du style. Pendant longtemps, l’analyse du style a été dominée par l’impressionnisme subjectif ou la description purement linguistique. Dans le premier cas, suivant la rhétorique normative, les critiques se contentaient de dégager certains traits stylistiques ou de commenter les impressions produites sur eux-mêmes pour résumer à partir de là le style d’un écrivain ou d’une œuvre. Ce type d’analyse, au lieu de délimiter un style dans son ensemble, ne conduit qu’à une vision impressionniste, dépourvue de valeurs objective et scientifique. Quant à la deuxième approche qui vise à définir tous les éléments linguistiques distincts d’un texte donné, il n’est pas possible

1 P. Guiraud, La Stylistique, op. cit., p. 120. 2 Ibid.

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de l’employer pour distinguer les éléments littérairement pertinents des autres non pertinents. Ainsi, on ne peut pas l’utiliser pour déterminer les traits stylistiques. Depuis la seconde moitié du siècle dernier, beaucoup de stylisticiens ont pris conscience de l’importance de trouver un équilibre entre les deux polarités en appliquant les méthodes linguistiques dans l’analyse qualitative du style. Selon Riffaterre, cette tendance implique un tri préliminaire : « Il est nécessaire de rassembler d’abord tous les éléments qui présentent des traits stylistiques, et ensuite de les soumettre, eux seuls, à l’analyse linguistique, à l’exclusion de tous les autres (stylistiquement non pertinents) »1. Mais

comment rassembler « tous les éléments qui présentent des traits stylistiques » ? Il s’agit d’abord de distinguer ces traits en niveaux diversifiés de sorte à faciliter l’analyse suivante.

Gérard Genette a distingué trois niveaux du style qui constituent « l’ensemble des propriétés rhématiques exemplifiées par le discours »2, à savoir le niveau « formel »

(physique) du matériau phonique ou graphique, le niveau linguistique du rapport de dénotation directe (c’est à ce niveau que les matériaux phoniques et graphiques sont associés à leur signifié) et le niveau figural de la dénotation indirecte. À ces trois niveaux au sein du texte, il a ajouté la réception dans l’analyse et l’identification des faits stylistiques. Cette division est loin d’être complète. Dans l’ouvrage Style in

Fiction : A Linguistic Introduction to English Fictional Prose, Leech et Short nous ont

donné un tableau plus accompli sur l’analyse du style qui est divisée en deux parties : la partie microscopique et la partie macroscopique, chacune possédant de multiples niveaux. La première liée à l’organisation du langage contient trois niveaux, sémantique, syntaxique (les formes grammaticaux et lexicaux) et phonologique (phonème, intonation, rythme, etc.). Puisque la plupart des textes littéraires circulent à l’écrit, les auteurs ont introduit un autre niveau graphologique concernant l’apparence du langage utilisé, par exemple, l’orthographe, la mise en majuscule pour certains mots, la mise en paragraphes, etc.3 La partie macroscopique située au-delà du texte est

1 Michael Riffaterre, « Critères pour l’analyse du style », in Essais de stylistique structurale, trad. Daniel Delas,

Paris, Flammarion, 1971, p. 28.

2 G. Genette, « Style et signification », op. cit., p. 203.

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d’après Leech et Short reliée aux trois fonctions du langage définies par le linguiste Michael Halliday, à savoir idéationnelle, interpersonnelle et textuelle (ideational, interpersonal et textual). Ce qui signifie qu’il faut non seulement transmettre un message linguistique ou extralinguistique bien structuré à décoder, mais aussi le transmettre selon la situation donnée, de sorte que le message puisse produire un certain effet que le destinateur veut créer sur le destinataire1. Par rapport à Genette, Leech et

Short nous ont fourni une division plus nette sur la partie microscopique de l’analyse, mais dans la partie macroscopique, les trois fonctions du langage issues de la théorie de la communication nous paraissent difficilement opératoires dans la pratique réelle de l’analyse du style (du fait que les fonctions idéationnelle et interpersonnelle concernent le texte lui-même, alors qu’il n’y a que la fonction interpersonnelle qui intéresse pour de bon l’analyse macroscopique reste encore à préciser2). En tournant

nos regards vers d’autres stylisticiens ou théoriciens littéraires, nous constatons que la division micro-macro de l’analyse du style est largement partagée, alors qu’il existe de nombreuses polémiques relatives au contenu de la partie macroscopique. Genette a considéré que la partie macroscopique ne comprenait que la réception avec les changements dans le temps et dans l’espace, tandis que Leech et Short l’ont rapprochée des trois fonctions du langage, et que Riffaterre y a inclus les desseins de l’auteur, les réactions provoquées par le style, etc.

Avant hérité de la stylistique occidentale moderne, la stylistique chinoise a repris l’idée selon laquelle le style est constitué de niveaux divers. La stylisticienne Shen Dan a distingué, du point de vue narratologique, trois aspects pertinents dans l’analyse du style : les aspects lexical et syntaxique, ainsi que celui du discours (y compris la représentation de la pensée)3. En se référant à la structure du langage, son analyse se

limite plutôt au texte lui-même : elle a seulement, dans l’analyse de l’aspect syntaxique, mentionné un peu le style représenté au-delà du texte4. De l’autre côté, certains

Pearson Longman, 2007, pp. 95-96.

1 Cf., Ibid., pp. 108-109.

2 De plus, Halliday a traité la différence dans l’information cognitive comme un trait stylistique, ce qui est pour

nous un peu incompréhensible.

3 Cf., Shen Dan, Literary stylistics and fictional translation, Beijing, Beijing University Press, 1995, pp. 203-245. 4 Notons en même temps que si les stylisticiens qu’on a cités plus haut ont pris le discours comme unité d’étude

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théoriciens ont bien saisi l’importance de l’analyse du style au-delà du texte et ils se sont efforcés de progresser dans cette voie. Liu Miqing est probablement l’un des plus remarquables d’entre eux. En s’inspirant des théories stylistique, traductologique et esthétique tant chinoises que occidentales, et en se basant sur ses propres expériences dans la traduction littéraire de l’anglais en chinois, Liu a proposé une théorie des marquages stylistiques, afin d’ouvrir une piste assez scientifique et objective vers l’identification et l’analyse du style en facilitant la traduction. Comme ses prédécesseurs, Liu a déclaré que « le style peut se comprendre dans un sens large ou un sens étroit, et d’analyser une situation du point de vue macroscopique ou microscopique. L’analyse macroscopique a pour but d’explorer la valeur esthétique ou littéraire du texte, tandis que l’analyse microscopique concerne essentiellement les choix linguistiques »1.

Cette distinction simple sert de base à sa future élaboration théorique sur les marquages stylistiques dont la notion a été empruntée à la stylistique occidentale moderne comme « ensemble d’indices...définissant une pratique littéraire donnée »2. À cela s’ajoute la

« fonction autant différenciative qu’identificatrice » des marquages, vu que « leur repérage constitue également une sorte d’exigence, ou de condition nécessaire, pour l’appréciation de représentativité »3. En s’appuyant sur cette notion, la description du

style aux yeux de Liu, loin d’être subjectivement impressionniste, est concrète et faisable : nous pouvons ainsi analyser le style comme un système de signes linguistiques, c’est-à-dire de marquages stylistiques. Bien qu’on ait déjà mentionné la classification dans l’introduction, il nous paraît nécessaire de la répéter ici afin de mieux montrer les niveaux d’analyse chez Liu qui a distingué d’abord deux catégories de marquages stylistiques : marquages formels relevant de l’analyse microscopique sur la structure du langage et marquages non-formels qui désignent tout ce qui, situé hors du

elle a adopté la définition du discours – « les façons de rapporter ou les pensées de quelqu’un » (Cf., Maurice Grévisse et André Goosse, Le Bon usage, Paris, Éditions Duculot, 1991, p. 675), qui fait partie d’un texte –, tandis que les autres stylisticiens qu’on a cités plus haut considèrent le discours comme « tout énoncé supérieur à la phrase, considéré du point de vue des règles d’enchaînement des suites de phrases » (Cf., Jean Dubois et al., Dictionnaire de linguistique, Paris, Larousse-Bordas/VUEF, 2002, p. 150). Ce dernier peut provoquer la confusion dans la limite de l’étude, donc, on remplace aujourd’hui le discours par le texte comme objet d’étude dans la stylistique.

1 Liu Miqing, Xiandai fanyi lilun (La Théorie moderne sur la traduction), Nanchang, Jiangxi jiaoyu chubanshe,

1990, p. 107.

2 Georges Molinié, La Stylistique, Paris, Puf, coll. « Quadrige manuels », 2017, p. 191. 3 Ibid., p. 192.

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texte, influe sur la formation du style et sur la détermination des traits caractéristiques. La première catégorie inclut les marquages phonologiques, lexicaux, syntaxiques, textuels, et les marquages des registres de langue et ceux des figures, tandis que la deuxième concerne les quatre aspects suivants : la méthode de représentation, c’est-à- dire le choix du sujet et la manière dont l’auteur représente le sujet ; la qualité interne de l’œuvre, autrement dit, les émotions et la pensée contenus dans l’œuvre ; la personnalité de l’auteur ; la réception1. Par rapport à la division courante en parties

macroscopique et microscopique, Liu a regroupé ensuite les marquages formels et non- formels en trois niveaux, ce qui permet de mieux analyser et d’évaluer la traduction du style. Il a précisé que l’analyse des marquages formels se situe au niveau de base, alors que l’évaluation de la méthode de représentation se trouve au niveau intermédiaire, l’étude sur les trois autres marquages non-formels étant au niveau le plus haut2. C’est

suivant les trois niveaux qu’on approfondit étape par étape l’identification et l’analyse du style. Nous pouvons ainsi constater que, fruit des acquis sino-occidentaux, la théorie de Liu qui est la cristallisation des savoirs précédents en cette matière éclaire nos analyses suivantes sur la reproduction du style.