B. Discussion résultats 95
2. L’analyse des prescriptions des médecins généralistes 95
a) La proportion globale des prescriptions de la part des médecins généralistes
Il est logique de retrouver les médecins ophtalmologistes comme principaux prescripteurs vers l’orthoptiste avec 65,14% des bilans. Ce sont les partenaires
principaux de l’orthoptiste et leur collaboration étroite a été détaillée dans le chapitre II.
Par contre la proportion prise par les médecins généralistes avec 21,85% des
prescriptions est finalement plus importante qu’imaginée. Ils sont un correspondant non négligeable pour l’orthoptiste et leur deuxième source d’activité loin devant les
médecins réadaptateurs et les pédiatres (environ 5% des bilans chacun).
La part que représente l’orthoptie dans l’activité des médecins généralistes est, elle, beaucoup plus faible. Ainsi seulement 51,34% des médecins de Gironde qui ont répondu au questionnaire électronique ont prescrit dans les 6 derniers mois vers un orthoptiste. Le nombre de bilan par médecin généraliste prescripteur semble faible. Dans l’étude 63,5% d’entre eux ne sont apparus qu’une fois lors du recueil de donnée et leur moyenne de prescription est inférieure par rapport aux autres spécialités avec 2,02 bilans par médecin généraliste contre 2,32 pour les pédiatres ou 4,83 pour les médecins manuels. La médiane de prescription baisse d’ailleurs à 1 car la moyenne est augmentée par quelques rares médecins ayant effectué de nombreux actes.
Il fallait aussi mesurer l’implication réelle du médecin dans la prescription vers
l’orthoptiste. L’hypothèse de départ était une proportion importante de bilans prescrits via le médecin mais demandés par un ophtalmologiste, un paramédical, le patient ou un autre intervenant extérieur. Les résultats montrent une proportion plus importante que prévue de médecins prescrivant « spontanément » ou « autant spontané qu’à la
demande » avec 68,48% des sondés.
b) L’implication du médecin généraliste dans chaque motif de bilan
(1) Les prescriptions de DBH (déséquilibre binoculaire/hétérophorie)
(a) Un motif de prescription majoritaire
L’hypothèse de départ imaginait une proportion fortement majoritaire des prescriptions en lien avec un déséquilibre binoculaire (notamment une insuffisance de convergence), ou une hétérophorie (DBH), avec une prise en compte importante des symptômes comme les céphalées ou une fatigue visuelle. On aurait pu imaginer une représentation de l’orthoptiste par le médecin généraliste presque exclusivement basée sur le principe d’insuffisance de convergence.
Les prescriptions en lien avec un DBH sont confirmées comme majoritaire avec 51,97% des bilans mais d’autres motifs moins attendus prennent une place non négligeable. Cette proportion est finalement plus basse que prévue.
Le symptôme « céphalées » est celui le plus pris en compte par le médecin généraliste pour motiver un bilan orthoptique. Il est retrouvé dans 60,87% des bilans analysés pour ce motif de consultation et il est présent dans 34% de tous leurs bilans. Les autres symptômes les plus retrouvés sont la fatigabilité visuelle, les flous visuels, et les signes locaux (larmoiement, rougeur, brulures oculaires…) vers les 20% chacun.
La prise en compte des symptômes comme la fatigabilité visuelle fait donc bien parti, comme supposé, des prescriptions des médecins généralistes mais dans une proportion nettement moindre par rapport aux céphalées.
(b) Une sous-‐estimation des déséquilibres binoculaires et des hétérophories (DBH) ?
La prévalence des troubles de la vision binoculaire peut être estimée vers les 21%. (40) Il n’y a pas de consensus sur la prévalence de l’insuffisance de convergence. Selon les travaux elle oscille entre 2,25% et 33%. (41) Elle a été plus étudiée chez les enfants et évaluée parfois jusqu’à 13% entre 9 et 13 ans. (42)
Environ la moitié de la population de médecin généraliste de Gironde ont admis avoir prescrit un bilan orthoptique dans les 6 derniers mois. Les bilans de DBH représentant environ la moitié des prescriptions des médecins généralistes, on peut estimer à 25% les généralistes qui auraient prescrit au moins un bilan de DBH dans les 6 derniers mois. Le faible taux de prescription des médecins généralistes comparé à la forte prévalence de ces déséquilibres semble montrer que le médecin généraliste manque de
En plus de son implication dans les céphalées classiques, une étude récente évoque la possibilité d’un lien entre aggravation des crises migraineuses et la présence de troubles de la vision binoculaire. Même s’ils ont besoin d’une étude statistique plus importante pour conclure définitivement. (43)
Tous les troubles de la vision binoculaire ne sont pas pour autant symptomatiques et ne nécessitent pas systématiquement une prise en charge. De plus il n’existe pas de
résultats dans la littérature sur la proportion des DBH symptomatiques ni des céphalées en lien avec un trouble de la vision binoculaire en soin primaire. Par contre la forte prévalence de ces troubles laisse à supposer une possible sous-‐estimation de son implication.
Il paraît donc intéressant de sensibiliser les médecins sur ce type de pathologie. Surtout que plusieurs travaux ont confirmé l’intérêt de la prise en charge orthoptique dans l’amélioration des symptômes des patients liés à une insuffisance de convergence, surtout chez l’enfant (44) et des symptômes d’asthénopie chez les migraineux (43).
(c) Des prescriptions directement vers l’orthoptiste probablement réduites.
74,54% des bilans de DBH reçus par les orthoptistes viennent d’un ophtalmologiste. Certes certains de ces patients sont venus spontanément vers l’ophtalmologiste avec ces symptômes et d’autres ont pu consulter leur ophtalmologiste pour d’autres motifs mais ce qui a pu occasionner la détection d’un trouble de la vision binoculaire, mais étant donné la fréquence de ces symptomatologies qui sont souvent rencontrés en médecine générale on aurait pu imaginer voir une proportion plus importante de bilan venant du médecin généraliste directement. Cela va dans le sens d’un médecin généraliste qui aura tendance à envoyer plutôt vers l’ophtalmologiste devant tout trouble visuel.
Ce n’est pas une faute car s’il n’est pas formé à ce dépistage ou si un bilan ophtalmologique n’a pas été effectué récemment il vaut mieux organiser une
consultation médicale en premier lieu. Par contre l’intérêt de dépister en cabinet et de connaître cette pathologie pourrait éviter un parcours de soin plus long, nécessitant plusieurs consultations avant de voir l’orthoptiste.
(2) Les prescriptions dans le cadre d’une amblyopie ou d’un strabisme de l’enfant.
(a) Une proportion faible de bilans visuels de l’enfant vers l’orthoptiste
La proportion de bilan en rapport avec un trouble visuel de l’enfant prend une place plutôt faible dans la totalité des prescriptions des médecins généralistes vers
l’orthoptiste avec seulement 8,4%.
De plus, si on compare la part des prescriptions des médecins généralistes de l’étude avec celles des pédiatres dans les bilans d’amblyopie/strabisme reçus par l’orthoptiste, 13,39% viennent d’un médecin généraliste contre 21,34% pour les pédiatres.
Or la proportion d’enfants de moins de 15 ans suivis par un médecin généraliste est estimée à 79%. (45) Et cette proportion est forte même en dessous de 3 ans avec 40 % d’enfants suivis exclusivement par un médecin généraliste et 55% conjointement avec un pédiatre. (46)
Cette proportion plus importante de suivi pédiatrique par le médecin généraliste ne se retrouve pas dans la proportion de bilans d’amblyopie. Pour autant on ne peut pas en conclure que les médecins généralistes ne dépistent pas assez car il est possible qu’ils adressent leurs patients plus vers l’ophtalmologiste.
Par contre les résultats démontrent que les pédiatres collaborent plus que le médecin généraliste avec l’orthoptiste dans le cadre du dépistage de l’amblyopie.
Plusieurs travaux confirment cette faible utilisation avec entre 15% et 30% des médecins sondés déclarant envoyer vers l’orthoptiste dans ce contexte. (47)(48)
(b) Un dépistage de l’amblyopie rarement adressé vers l’orthoptiste.
L’étude retrouve une différence significative dans la proportion de bilans adressés par les médecins généralistes vers l’orthoptiste en lien avec les facteurs de risques
d’amblyopie avec 20,83% de la totalité de ce type de bilan contre 62,5% pour les pédiatres.
Cette différence est aussi significative sur tous les bilans de dépistages sans anomalies à l’examen clinique avec 16,67% qui viennent d’un médecin généraliste contre 63,89% d’un pédiatre.
Ces données, même si elles n’analysent que les prescriptions vers les orthoptistes semblent aller dans le sens d’un manque d’implication des médecins généralistes pour ce dépistage comme l’ont confirmé plusieurs travaux. (49) (50)
La recherche des facteurs de risque, étape importante pour pouvoir orienter vers un dépistage préconisé dans la littérature (13) (14), n’était effectuée dans ses études qu’entre 38% (49) et 66% (50) des cas par les médecins généralistes. Et certains
facteurs de risques importants étaient rarement recherchés, en dessous de 10% des cas (prématurité, infection materno-‐fœtale, souffrance péri-‐natale).
(c) Une collaboration ophtalmologiste/orthoptiste sur la prise en charge de l’amblyopie.
Il est à noter que les résultats confirment aussi la collaboration
orthoptiste/ophtalmologiste en matière de prise en charge de l’amblyopie. 61,71% de ce type de bilan viennent de leur part et pas seulement pour un suivi. Ainsi 16,67% des bilans demandés devant des facteurs de risques d’amblyopie ont été adressés par un ophtalmologiste et 35,82% des prescriptions des ophtalmologistes vers l’orthoptiste pour un bilan d’amblyopie/strabisme sont en lien avec une suspicion.
(3) Les prescriptions de bilans pour troubles posturaux associés
Ce motif de bilan prend une place importante dans les prescriptions des médecins généralistes avec 24,15% des bilans. Même si cette importance est très variable selon le type de médecin prescripteur et selon le type d’orthoptiste.
Les médecins généralistes sont les plus gros prescripteurs de bilans pour troubles posturaux associés avec 41,44% de ce type de bilan venant de leur part.
La place de la posturologie est encore à définir car cette spécialité reste encore
controversée. Même si certaines publications cherchent à démontrer scientifiquement les liens entre posture et système oculomoteur (20) notamment chez les enfants avec
des études sur le strabisme et le maintien postural (51) ou dans le cadre d’adaptations prismatiques chez l’enfant scoliotique (52).
(4) Les bilans neuro-‐visuels
Les bilans neuro-‐visuels englobent les troubles de l’apprentissage mais aussi d’autres troubles neurologiques comme les hémianopsies et hémi-‐négligences. Ces dernières n’ont jamais été retrouvées dans les bilans demandés par les médecins généralistes : les bilans neuro-‐visuels ont été systématiquement en lien avec un trouble de
l’apprentissage.
Ce type de bilan est la troisième prescription la plus importante vers l’orthoptiste de la part des médecins généralistes (11,29%).
Ils sont d’ailleurs les principaux pourvoyeurs de ce type de prescription vers
l’orthoptiste avec 43,43% de ces bilans alors que les ophtalmologistes n’en ont prescrit que 38,38%.
Le médecin généraliste semble donc s’intéresser aux troubles neuro-‐visuels et est le médecin qui collabore le plus avec l’orthoptiste directement sur le sujet. Pourtant la place de l’orthoptiste dans la prise en charge des troubles des apprentissages n’est pas encore bien définie. Ainsi un guide pratique a été édité en 2009 pour aider à la prise en charge des troubles de l’apprentissage sans qu’il ne soit fait mention d’une orientation possible vers l’orthoptiste. Le guide parle d’orienter l’enfant vers l’ophtalmologiste en cas de céphalées en fin de journée, de mauvaise position pour lire, de difficultés pour lire de loin ou en cas de baisse d‘acuité visuelle. (53)
Pourtant il est clairement établi qu’il existe une majoration importante des troubles de la vision binoculaire chez les enfants ayant des troubles des apprentissages surtout chez les dyspraxiques mais pour l’instant beaucoup ne voient pas les troubles visuels comme l’origine du problème. (54) (55)
De nombreux travaux sont publiés régulièrement sur le sujet décrivant les liens entre troubles de la vision binoculaire et TDA/H (trouble et déficit de l’attention) (56), ou évoquant de moins bons résultats scolaires en présence de ces troubles. (57) Mais on manque encore de preuves sur l’efficacité de la prise en charge orthoptique dans ce cadre-‐là (54). Pourtant une étude montre par exemple une amélioration de la fluence de lecture par le travail sur les saccades ce qui pourrait laisser entrevoir un intérêt d’une prise en charge orthoptique. (58) L’avenir dissipera peut être ce flou tandis que cette pratique de l’orthoptie dans le cadre des troubles de l’apprentissage est déjà bien établie. (54)
(5) Les bilans basse-‐vision
Le nombre de bilans de basse vision prescrit par un médecin généraliste est faible avec seulement 4 bilans. Les bilans de basse vision eux même n’ont représenté que 1,46% de l’activité globale des orthoptistes. Les ophtalmologistes n’ayant pas beaucoup prescrit, non plus, de bilans de ce type. 6 bilans de leur part ont été retrouvés pendant l’étude. 50% des bilans de ce type ont été effectué par une orthoptiste qui avait fait une formation spécifique en basse vision. Il est possible que ce genre de bilan soit plus présent dans l’activité d’orthoptistes spécialisés.
La place de cette rééducation ne semble pas être très diffusée alors qu’il existe des recommandations préconisant l’utilisation de la rééducation basse vision dans la prise en charge des pathologies maculaires et notamment la DMLA (59) (60).
Plusieurs études ont montré l’intérêt d’un entrainement visuel associé à une aide visuelle optique pour l’amélioration des patients atteints de DMLA. (60)
(6) Les autres types de bilan
Les autres types de bilan rarement retrouvés dans les prescriptions des médecins généralistes sont les bilans de diplopie/strabisme de l’adulte, les bilans pré et post opératoires et les bilans de vision des couleurs. La majorité de ces bilans a été envoyée par l’ophtalmologiste.
Ces résultats sont logiques étant donné que ces bilans nécessitent une évaluation médicale préalable à tout bilan orthoptique surtout dans le cadre de suspicions de paralysies oculomotrices.
3. Le type de médecin généraliste prescripteur de bilan orthoptique
L’analyse des caractéristiques des médecins prescripteurs retrouvées dans les dossiers des cabinets d’orthoptie comparées à celles des médecins généralistes de la Gironde semble montrer certaines différences.
Tableau 46: comparaison caractéristiques des médecins généralistes de l'effectif par rapport aux médecins généralistes de Gironde
Sources : *RPPS **DREES (34)***DMG bx2
a) Une surreprésentation des médecins femmes et des médecins entre 40 et 59 ans.
L’analyse du sexe du médecin prescripteur montre une tendance à plus de femmes médecins par rapport au département.
La moyenne d’âge reste similaire même si une analyse plus approfondie par catégorie d’âge retrouve quelques différences. Les médecins de plus de 60 ans sont beaucoup moins représentés dans l’effectif tandis que les médecins entre 40 à 59 ans sont largement plus présents.
*source : conseil de l’ordre national des médecins
femmes moyenne âge activité isolé UU7 affiliés faculté de médecine
effectif 38,46% 52,64 27,88% 60,61% 16,97% Gironde 34,35%* 51,11 ans* 45,45%** 60,54%** 13,54%*** <40 ans 40-49 ans 50-59 ans >=60 ans nombre 13 44 73 35 proportion 7,88% 26,67% 44,24% 21,21% Gironde* 7,01% 20,98% 38,54% 33,48% 0,00% 10,00% 20,00% 30,00% 40,00% 50,00%
<40 ans 40-‐49 ans 50-‐59 ans >=60 ans
échantillon Gironde
Tableau 47 : tableau et graphique de la distribution de l’âge des médecins prescripteurs en comparaison avec