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Parmi les figures de proue actuelles de l’Ecole de Montréal, François Cooren s’attache à proposer une traduction interactionnelle de l’ANT à l’aide, selon lui, de l’ethnométhodologie de Harold Garfinkel et de l’analyse de conversation d’Emmmanuel E. Schegloff et de John Heritage [Cooren, 2010b]. Mais il s’oppose à ces approches sur de nombreux points, et tout en défendant une conception processuelle de l’organisation, insiste beaucoup sur la mise au jour de l’organisation comme macroacteur dans l’interaction organisationnelle. Il a développé un riche ensemble conceptuel : les concepts de présentification (fondée sur la fantômalité de J. Derrida), de ventriloquie (fondée sur l’hétéroglossie de Bakhtine que nous avons rencontrée chez R. Iedema) et de figure, central pour accorder de l’agentivité non plus seulement aux actants humains et non-humains, mais également à des entités collectives, des concepts, des principes, des valeurs, etc. L’articulation de ces concepts permet à l’auteur de désigner dans les transcriptions d’interaction verbale l’intervention d’actants formellement absents, tous reliés à l’organisation : en tant que macroacteur, elle est une ontologie variable dans un certain agencement discursif [Cooren, 2010a] qui en situation s’exprime par le truchement d’un porte-parole. Nous reviendrons sur ces différentes propositions, soulignons d’ores et déjà le motif de cet argument :

« Qu’on les appelle figures, acteurs, actants ou agents importe finalement peu. Ce qui importe, à mes yeux, c’est que ces êtres donnent aux études de l’interaction une chance de se décloisonner, de se disloquer du local.» [Cooren, 2010b : 50]

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A travers le concept de ventriloquie, l’auteur propose de s’intéresser au courant descendant de l’agentivité, là où l’ANT a surtout développé son courant ascendant avec l’idée centrale que « faire c’est faire faire ». Dans la façon dont un acteur-réseau et ses composantes virtuelles s’expriment ou agissent à travers un porte-parole, la passivité de ce dernier est indispensable à ce que l’acteur-réseau s’actualise. Un agent est donc toujours également agi, phénomène de « passion » complémentaire et simultané de l’agentivité : le ventriloque et les entités qu’il exprime ne sont pas dans un rapport univoque d’animateur à animé. Autant celui qui parle, par sa passivité, est mû par quelque agent, autant il mobilise ce ou ces agents pour donner du poids à sa parole : c’est ainsi qu’un macroacteur peut s’exprimer dans l’interaction. En somme, pour saisir l’organisation, F. Cooren invite à ne pas regarder les interactions uniquement sous l’angle de ce qu’elles accomplissent mais aussi de ce qu’elles mettent en présence. Toute interaction organisationnelle est tenue pour avoir un caractère disloqué : elle met en présence des êtres qui peuvent être absents mais influencent le déroulement de l’interaction, par exemple en permettant un effet d’autorité [Benoît-Barné & Cooren, 2009].

Indissociables de l’acteur collectif, des « figures » sont implicitement à l’œuvre dans les interactions, entités de toutes natures qui contribuent à influencer à leur déroulement : des personnes, des collectifs, des faits, des valeurs, des principes, et même des attitudes [Van Vuuren & Cooren, 2010]. Une proportion importante de ces travaux est consacrée à légitimer une pleine reconnaissance de l’agentivité des diverses figures. Nous allons comprendre comment les figures entrent en jeu dans l’analyse, à partir d’un travail empirique de Cooren : une interaction en République Démocratique du Congo entre un directeur d’hôpital et deux représentants de Médecins Sans Frontière [Cooren, 2010a. La transcription s’ouvre sur les propos d’un des représentants :

« En même temps aussi euh on va certainement reprendre deux hygiénistes (.) en plus pour le bloc (0.5) pour travailler sur la sté (.) et sur le::: et sur l’hygiène en fait parce que:: (0.5) là les deux personnes sont (0.5) elles vont plus suivre. - Débordées ? - Ouais débordées (.) y’a beaucoup de de ben y’a plus d’opérations donc plus de sté à faire » [Cooren, 2010a : 6].

Du premier locuteur, il est dit qu’il « se positionne ici implicitement comme parlant au nom des intérêts du personnel de stérilisation et de l’hygiène de l’hôpital » [Cooren, 2010a : 7]. Plusieurs dimensions de l’interaction sont indistinctement traitées : d’abord le locuteur « se positionne », autrement dit se produit en tant qu’agent relativement aux autres participants co-présents ; ensuite il agit de concert avec des entités absentes, « parler au nom

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de » ; enfin ces dernières, figures qui parlent par son truchement et « donn[ant] du poids à son propos » sont nommées [Cooren, 2010b : 4] : les intérêts d’un collectif (le personnel de stérilisation) et ceux d’un principe ou notion abstraite attachée à une institution (l’hygiène de l’hôpital). Les deux premières dimensions portent sur l’interaction comme déploiement d’actions entre les participants telles qu’elles sont localement observables ici et maintenant ; la troisième procède d’un autre travail de la part de l’analyste, elle consiste à introduire les figures qui donnent son caractère disloqué à la situation interactionnelle. Souvent appelée « décentrement », cette opération revient à ne plus faire reposer l’analyse sur ce qui est directement observable, elle est au fondement du caractère novateur des travaux de Cooren.

« La scène interactionnelle peut donc être conçue comme une scène constamment disloquée, une scène où s’anime exo-endogénétiquement une pléthore d’agentivités aux ontologies variables » [Cooren, 2010b : 51].

Les données naturelles sont donc mobilisées à des fins encore différentes de celles de Rick Iedema et de l’analyse de conversation. Le fossé micro-macro est franchi d’un bond en invitant des actants induit par les connaissances de sens commun supposées mais qu’aucun élément dans la situation ne pointe nommément. Nous allons procéder à une analyse critique de la démarche de F. Cooren, d’abord à partir de l’ANT sur le point de l’interprétation inhérente à ses concepts, puis en comparaison avec les principes de l’analyse de conversation. Le point central de notre critique repose sur la façon dont sont établies les associations entre ce qui se passe dans l’interaction en cours ici et maintenant et les figures, et le choix de ces dernières. Avec sa démarche historique et documentaire qui permet de déployer un réseau déclinable et extensible à l’infini, au fil d’associations parfois lointaines, l’ANT démontre les effets dans l’action : par exemple, le fait que l’automobiliste ralentisse à l’approche d’un gendarme couché actualise l’intentionnalité du réseau socio-technique à l’origine de ce même gendarme quand bien même il n’est pas présent sur le lieu et au moment de l’action. On saisit donc l’effet constaté du gendarme couché, alors que la ventriloquie affirme la réalité de ces figures en s’autorisant de leur seule phénoménalité sensible, intuitive, et sans distinction de points de vue : « elles n’ont pas besoin d’être exprimées verbalement pour être ressenties dans l’interaction » [Cooren, 2010b : 49]. L’association prend dès lors un caractère indémontrable et invérifiable.

Nous avons vu à travers l’exemple de Médecins sans Frontières comment le chercheur rend compte de ce qui anime les acteurs. En nommant des figures dans ses propres termes en

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lieu d’analyse, il introduit des catégories externes absentes du matériau empirique tel qu’il nous est rapporté (« [les] intérêts du personnel de stérilisation et de l’hygiène de l’hôpital » [Cooren, 2010a : 7]). Le raisonnement par analogie vient ensuite ajouter une épaisseur de sens dont rien ne montre qu’elle est pertinente pour les acteurs :

« En invoquant implicitement l’hygiène de l’hôpital, mais aussi le bien être et les intérêts de son personnel de stérilisation, tout se passe donc comme si Marius cherchait à s’allier à des principes ou des valeurs (un dispositif normatif, donc) qui l’autoriseraient donc à réaliser une telle embauche. »7 [Cooren 2010a : 7]

A ce titre, il pourrait s’agir tout autant par exemple de l’intérêt des patients, du respect du protocole de stérilisation, ou de tout autres principes, règles ou collectifs disponibles dans une connaissance de sens commun de l’institution hospitalière. Par conséquent les catégories externes introduites d’une part ne sont pas nécessairement pertinentes pour les acteurs ; d’autre part leur choix détermine considérablement le résultat de l’analyse : chaque interprétation possible fait surgir des représentations différentes, éventuellement incompatibles, de l’action en cours. Que permettent-elles donc d’affirmer quant aux processus organisationnels à l’œuvre ?

Par ailleurs, l’auteur fait le choix de ne pas prendre en compte le caractère séquentiel de l’interaction, ses orientations rétrospective et prospective au cœur de l’analyse de conversation. En supposant que la comparaison sera heuristique, nous allons tenter d’en dégager les implications avant de procéder à une analyse séquentielle, alternative, de la transcription telle qu’elle est disponible.

Dans l’extrait reproduit plus haut et les lignes qui suivent, le premier locuteur continue à justifier son projet d’embauche pendant que le directeur reste silencieux, silence analysé indépendamment de ce qui se passe par ailleurs pendant sa durée. Cela signifie qu’il est d’abord analysé isolément des propos tenus par les deux autres locuteurs, dont les énoncés sont donc sémantiquement analysés avec un effet de focalisation sur le locuteur. Une démarche séquentielle amènerait à inclure la dimension collaborative et progressive de la production de ces tours : non que l’effet de ce silence sur les autres participants soit négligé, mais il analysé pour lui-même, indépendamment.

Le tour affirmatif mais mitigé par lequel Marius annonce ces embauches (« on va certainement reprendre… ») est suivi d’une justification minimale (« parce que:: (0.5) là les

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deux personnes sont (0.5) elles vont plus suivre ») puis d’une relance par son collègue après laquelle seulement il produit une série de justifications. De nombreux espaces de transition potentiels ainsi que plusieurs silences d’une seconde ou moins sont disponibles sans que le directeur parle, ce qui fait de son silence une forme marquée de participation à l’interaction. Or ce silence est indissociable de son placement séquentiel : en l’analysant au moment où il se manifeste et non à part, on s’aperçoit de la participation du directeur à la relance du collègue de Marius (« Débordés ? ») et en sus à ce que cette dernière entraîne. Chaque tour contribue à montrer que l’annonce en début de séquence « En même temps aussi euh on va certainement reprendre deux hygiénistes » projette une élaboration, ou pour le dire autrement, que Marius est progressivement et dans l’interaction amené à justifier son annonce : le silence contribue à inciter le collègue de Marius à relancer ce dernier, et ce dernier est incité par les deux autres participants à produire des justifications. Les justifications n’ont donc pas le même statut que lorsqu’elles sont analysées indépendamment : elles apparaissent parce que les participants se font valoir et négocient des droits et obligations réciproques. Alors que l’élaboration conjointe des droits et obligations entre membres nous paraît un intérêt majeur de l’analyse des interactions, cette question n’est pas abordée par l’auteur.

Un peu plus loin, Marius produit un nouveau tour, introduit par un marqueur conclusif : « Donc nous on a déjà deux, deux personnes (1.0) d’identifiées – Hmm » : le directeur ponctue d’une forme de ratification neutre, ou continuateur, par laquelle il ne manifeste ni affiliation ni désaccord mais permet à Marius de poursuivre : « pour travailler avec nous déjà sur l’hôpital pour des nettoyages là qui sont des personnes que- ». S’ensuit un silence d’une seconde et demie, pendant lequel on ignore ce qui peut se passer physiquement. Le directeur produit un nouveau tour : « Mais il faudrait qu’on puisse les voir (.) selon les euh l’esprit du protocole » [Cooren, 2010a : 6]. L’analyse de Cooren apparaît peu critiquable puisqu’aucune interprétation n’est nécessaire pour nommer une figure explicitement présente dans le matériau : « Remarquons tout d’abord comment l’invocation (de l’esprit) du protocole lui permet de justifier ce qui apparaît avant tout comme une objection. » [Cooren, 2010a : 8]. L’analyse consiste donc à dire ce que la figure permet de faire à son porte-parole, et plus loin d’insister sur les courants ascendant et descendant de l’agentivité : en même temps qu’il donne du poids à son propos en invoquant le protocole, le directeur est animé par l’esprit du protocole. Une analyse séquentielle montrerait tout d’abord que le tour immédiatement suivant de Marius : « Bien sûr Ah mais c’est pour ça nous on a identifié maintenant on va vous proposer » traite effectivement celui du directeur comme une objection, mais une objection au degré d’affirmation de la proposition et non à la proposition elle-même, ce qui ne

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remet pas fondamentalement en cause l’analyse de l’auteur mais la précise : le directeur ne s’oppose pas aux embauches, il fait valoir qu’il n’appartient pas à son interlocuteur d’en décider seul et manifeste sa prérogative. Enfin par sa réponse, Marius contribue à produire la décision d’embauche comme étant une prérogative du directeur (associé à un collectif, « vous ») tout en maintenant son propre droit à émettre une proposition : c’est dans la production interactionnelle des droits et obligations réciproques entre participants qu’apparaissent les processus organisants, parce que les participants produisent et s’appuient sur l’institution, là où l’analyse de l’auteur a tendance à réduire l’organisation à un face-à- face.

Nous avons vu que la ventriloquie implique une part d’interprétation à laquelle l’ANT n’a pas besoin de recourir, elle est par ailleurs incompatible avec la perspective de membre qu’adopte strictement l’ethnométhodologie quoique Cooren s’en réclame. Tout en reproduisant des données naturelles qui donnent accès à la séquentialité, l’analyse n’en tient pas compte. En somme ce que vise le recours à l’interprétation serait peut-être autrement disponible dans le matériau lui-même avec une méthodologie plus adéquate, car c’est bien pas à pas, alors que se dessinent des positions et des projets, que les participants enrôlent l’une ou l’autre figure, tissent, actualisent ou renforcent des réseaux dont leur monde est virtuellement foisonnant. A l’instar de la façon dont les travaux de Iedema sont motivés par une perspective critique qui impose une certaine grille de lecture sur les situations, la volonté de combler d’un coup le fossé entre micro et macro incite Cooren à recourir à des données naturelles tout en les interprétant d’une manière qui nous semble spéculative. Et en effet, cet éloignement des accomplissements observables coïncide avec l’accent mis sur la manifestation de l’organisation comme macroacteur plutôt que sur les processus organisants. En persistant à concevoir l’organisation comme un être collectif, un macroacteur8, Cooren néglige paradoxalement la nature profondément relationnelle du réseau comme entité agentive. Or l’attribution dans le langage commun d’une agentivité, d’un pouvoir ou d’une intention à l’organisation ne permet pas pour autant de la rabattre sur la conception étendue de l’agentivité défendue par la théorie de l’acteur-réseau.

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Pour une illustration explicite, les premières lignes d’un résumé d’article : “How is an organization constituted as an actor ? This article explores the property of communication that explains how organization is able to enter the field of discourse, express an intention, and be accorded a voice there”. [Taylor & Cooren, 1997].

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“The challenge consists of never leaving the terra firma of interaction while extending what we mean by interaction to include forms of agency that are not accounted for in traditional analysis of organizational interaction.” [Benoît-Barné & Cooren, 2008 : 11]

La démarche développée au sein de l’Ecole de Montréal pose des problèmes qui montrent bien en somme la difficulté à mobiliser des données en situation d’interaction pour voir démontrablement à l’œuvre des processus organisationnels. La description d’un macroacteur comme s’il était de chair et d’os nous paraît peu compatible avec une ligne de conduite qui consiste à rester sur la terre ferme des interactions. Cette réalisabilité reste suspendue à deux problèmes indissociables : quelle problématisation de l’organisation et quels moyens adaptés.

Eloignons-nous maintenant de l’Ecole de Montréal pour considérer un auteur à part dans les MOS qui mobilise de façon unique des données naturelles d’interaction. Cruciale pour les organisations, la stratégie est depuis toujours un objet de recherche privilégié des MOS, sur laquelle une série de travaux relevant du tournant des pratiques s’est spécialisée en tant que “strategy-as-practice (SasP) ou strategizing. Dans l’ensemble, ils tentent d’établir les connexions entre la pratique et des phénomènes organisationnels macro, de façon souvent programmatique [Jarzabkowski, 2004 ; Whittington, 2003 ; Denis et al., 2007] parfois empiriquement appuyé sur une méthodologie conventionnelle [Denis et al., 2006 ; Rouleau, 2005], mais certains auteurs s’y sont démarqués en mobilisant des données naturelles de conversation.

Les travaux de Samra-Fredericks sont une des rares exceptions dans le domaine des MOS à revendiquer une perspective alliant ethnométhodologie et analyse de conversation. A partir d’un matériau composé d’interactions entre membres de l’élite managériale d’une grande compagnie britannique, l’auteure explore différents thèmes dégagés dans l’activité stratégique telle qu’elle se fait dans le détail à partir de séquences d’interactions verbales reproduites et d’un important travail ethnographique. Une contribution majeure dans le domaine de la strategy-as-practice est selon nous l’article dans lequel l’auteur montre comment la complémentarité des rôles de stratège novice et de stratège expérimenté permet l’accomplissement d’un enactment au sens de Weick dans la situation interactionnelle [Samra-Fredericks : 2010], qui rappelle la façon dont Schegloff a développé le concept des continuateurs pour montrer le discours comme accomplissement interactionnel [Schegloff, 1979].

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L’approche conversationnaliste s’est progressivement introduite dans les écoles de management avec des auteurs comme Jan Svennevig ou Mie Fiemo Nielsen [Nielsen, 2013]. Mais pour comprendre la contribution de ces auteurs, il faut également souligner qu’ils se démarquent de l’analyse de conversation issue de l’ethnométhodologie sur plusieurs points. Tout d’abord les transcriptions d’interaction et leur analyse sont enchâssées, voire secondaires, dans la réflexion sur un processus global, étalé dans le temps et dans l’espace, auquel la séquence d’interaction est tenue pour contribuer, selon les connaissances d’arrière- plan du chercheur. Ensuite, les énoncés sont compris moins comme des actions conversationnelles à travers leur orientation prospective et rétrospective que comme des contenus linguistiques, ou expressifs. Enfin, les séquences d’interaction sont mobilisées à des fins d’illustration de la thèse présentée en amont et étayée par la littérature existante : l’analyse vient enrichir une question spécifique.

Pour explorer par exemple la question de la mobilisation de l’émotion dans ces réunions stratégiques, par laquelle les membres suscitent l’empathie du collectif autour du thème de la survie de l’entreprise [Samra-Fredericks, 2004], l’auteur reproduit dans le troisième tiers de l’article trois brefs extraits d’enregistrement audio et décrit les actions corporelles qui les accompagnent, rendant compte de manière très vivante de ce qui se passe dans la situation. Mais l’analyse est centrée sur ce que dit le locuteur principal et ce qu’il est censé être en train d’accomplir à travers les émotions qu’il est supposé susciter. Le dialogue avec la littérature existante sur les émotions prend le devant. Dans un autre article fondé sur un dialogue avec théorie de Jürgen Habermas, l’auteur distingue différentes formes de prétention à la validité (validity claims) que des acteurs en compétition déploient pour imposer leur perception du monde et une voie à suivre [Samra-Fredericks, 2005]. La perspective est ici de retracer un processus étalé dans le temps et l’espace de production de rapports interpersonnels : l’extrait d’interaction vient illustrer les interactions récurrentes qui contribuent à la constitution d’effets de pouvoir. En d’autres termes, mobiliser des données naturelles ne signifie pas nécessairement adopter une perspective de membres, qui consisterait à montrer comment les membres rendent reconnaissables qu’ils sont en train de faire de la stratégie. L’auteur a tendance parfois à s’en tenir à s’attacher au contenu discursif plutôt qu’à ce qui est conjointement et collaborativement produit au cours de l’interaction : au-delà du rapport au matériau enregistré, pour lequel est adopté un système de transcription simplifié, elle ne mobilise pas les outils analytiques de l’analyse de conversation et ainsi se donne peu de chances de mettre au jour des accomplissements particulièrement interactionnels.

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En s’inscrivant explicitement dans une approche EM/AC, Samra-Fredericks affronte une incompréhension récurrente du côté des MOS qui lui reproche de se limiter à du micro et de ne pas savoir monter en généralité. Elle l’a surmontée en adaptant leur démarche,

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