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d’organisation de la société anonyme (section I), avant de présenter, dans un deuxième temps, les fonctions du droit de vote des actionnaires (section II).

Section I L’analyse économique du droit comme cadre théorique de référence

L’analyse économique du droit (law and economics) applique les outils des théories microéconomiques à l’analyse des règles de droit. Cette approche consiste, pour reprendre les termes de NOBEL, en une imbrication des théories et méthodes des sciences juridiques et économiques permettant une vision pratique et globale de la réglementation des marchés, des entreprises et de leurs acteurs.49 Si, d’un point de vue théorique, l’analyse économique du droit peut s’appliquer à l’ensemble des domaines juridiques, 50 force est de constater que la réflexion économique prend une signification particulière en droit des sociétés eu égard à sa connexion étroite avec l’économie.51

La présente section vise à fournir les bases nécessaires des théories de l’analyse économique du droit pour la compréhension de l’objet du présent travail, à savoir, la prise de décisions collectives par les investisseurs institutionnels et, plus particulièrement, l’exercice de leurs droits de vote d’actionnaires. Les fondements théoriques exposés dans cette section font partie de l’approche économique néo-institutionnelle. Toutefois, comme le souligne MAIZAR, il s’agit de considérer que l’analyse économique du droit ne constitue pas une théorie unitaire, mais qu’elle réunit plutôt différentes approches

49 Traduction de l’auteure. Version originale en allemand: « Law & Economics lässt sich sowohl umschreiben al seine Verzahnung von Theorien und Methoden beider Nachbarwissenschaften als auch die praxisorientierte ganzheitliche Betrachtung vonRegelungs- und Gestaltungsfragen in Bezug auf Märkte und Unternehmen », NOBEL (2017), § 1 N 151.

50 MAIZAR (2012), 187.

51 NOBEL (2017), N 160.

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interconnectées qui, d’un point de vue méthodologique, se recoupent, se différencient, se rapportent les unes aux autres et se complètent mutuellement.52

1. La justification de l’application des théories de l’analyse économique du droit

Les différentes théories économiques néo-institutionnelles ont en commun la prémisse de base de l’homo oeconomicus qui décrit un être modèle agissant de manière parfaitement rationnelle.53 Sans entrer ici dans les détails du modèle de comportement économique, on peut supposer que l’homo oeconomicus choisira l’option qui lui rapportera le plus grand profit puisqu’il vise toujours à retirer le maximum de bénéfices possibles.

L’applicabilité du modèle de l’homo oeconomicus doit néanmoins être relativisée, dans la mesure où la supposition d’une prise de décision rationnelle est fondée à son tour sur l’hypothèse que l’homo oeconomicus dispose de toutes les informations pertinentes.54 Influencée par la psychologie sociale, la discipline de l’économie comportementale (Behavioral Econonmics) porte un nouveau regard sur les théories classiques de l’analyse économique du droit, en observant empiriquement que le comportement des individus diverge systématiquement du comportement purement rationnel de l’homo oecnonmicus.55 Dans le présent contexte, la référence aux théories classiques de l’analyse économique du droit reste pertinente sachant qu’elles permettent, au moins dans une mesure limitée, de rendre le comportement des investisseurs traçable.

2. Les théories de l’analyse économique du droit pertinentes

A. La théorie des coûts de transaction

La théorie des coûts de transaction remonte aux réflexions de Ronald COASE

dans les années 1960 selon lesquelles le recours au marché par le biais de l’exploitation d’une entreprise engendre des coûts (comme d’ailleurs toute transaction économique), dans la mesure où les différentes parties doivent se coordonner entre elles.56 Les coûts de transaction peuvent prendre des formes multiples : la recherche d’un partenaire contractuel et la quête d’informations pertinentes le concernant; la conduite des négociations afin d’aboutir à un

52 Ibid. en se référant notamment à PICOT/DIETL/FRANCK (2008), 46.

53 Sur la notion de l’homo oeconomicus, voir notamment MAIZAR (2012), 187 ; NOBEL (2016), N 153.

54 NOBEL (2016), N 155; MATHIS/STEFFEN, in: Mathis (2015), 31.

55 NOBEL (2016), N 157; MATHIS/STEFFEN, in: Mathis (2015), 31.

56 COASE (1960), 1 ss.

accord ; la rédaction d’un contrat ou encore l’exercice d’une surveillance adéquate pour s’assurer que les termes du contrat soient respectés.

En termes très simples, l’objectif du théorème de Coase consiste à réduire ces coûts de transaction afin d’aboutir à une allocation optimale des ressources.

Appliquées spécifiquement à l’organisation des entreprises, les coûts de transaction se traduisent par des coûts liés à la fondation et à la gestion, ainsi que par des coûts d’agence entre bailleurs de fonds propres et dirigeants.57 Dans cette perspective, la mission du droit des sociétés est de limiter les coûts de transaction inutiles afin de garantir une allocation efficace des ressources du marché.58 Les coûts de transaction ne peuvent pourtant pas être éliminés totalement, étant donné que celles-ci sont indispensables pour l’existence de l’entreprise ou, pour reprendre les mots de COASE, « in the absence of transaction costs, there is no economic basis for the existence of the firm ».59

B. La théorie du réseau des contrats

La théorie du réseau des contrats, plus connue sous la dénomination anglaise de nexus-of-contracts theory, conçoit les sociétés commerciales comme des ensembles de contrats explicites et implicites entre différentes parties.60 Selon cette perspective, la société commerciale n’est pas une entité juridique indépendante et détachée du marché, mais correspond plutôt, pour reprendre les termes de JENSEN et MECKLING, à une sorte de fiction légale qui sert de point de connexion aux relations contractuelles entre les différents individus.61 La théorie du réseau des contrats s’articule ainsi autour des liens unissant les différents groupes de personnes qui contribuent au bon fonctionnement de la société anonyme en fournissant des apports.62 Bailleurs de fonds propres, créanciers, fournisseurs, dirigeants salariés et les intermédiaires financiers forment ainsi un réseau complexe de relations contractuelles qui interagissent dans les divers marchés (marché de travail, marché des produits et marché des

57 MAIZAR (2012), 192.

58 GOTSCHEV (2005), N 22; RUFFNER (2000), 19.

59 COASE (1988), 14.

60 EASTERBROOK/FISCHEL (1991), 12; JENSEN/MECKLING (1976); KORNHAUSER (1989); 305 ss ; HART (1989), 1765 ss ; MACEY (2010), 42; RUFFNER (2000), 136 ; GOTSCHEV (2005), N 28 ; MEIER-HAYOZ/FORTSTMOSER (2012), §2 N 19; critique : ARMOUR/HANSMANN/KRAAKMAN, in: Kraakman et al. (2009a), 6 qui estiment que la société devrait plutôt être conçue comme un nexus for contracts, soit une entité juridique qui elle-même n’est pas contractuelle, mais qui sert comme facteur de rattachement pour un grand nombre de contrats ; en ce sens: VOGT/BASCHUNG (2013), 14.

61 Traduction de l’auteure. Version originale de JENSEN/MECKLING (1976), 308: «The private corporation or firm is simply one form of legal fiction which serves as a nexus for contracting relationships […]».

62 FAMA (1980), 291.

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capitaux) en vue de poursuivre leurs intérêts, qui peuvent être aussi bien convergents que divergents.63

Les droits de chaque partie, mais également ses parts au bénéfice, ainsi que ses devoirs et obligations dans l’entreprise, sont contractuellement définis.64 Selon la théorie du nexus-of-contracts, chaque partie supporte une partie du risque de l’activité commerciale de la société, mais seuls les actionnaires supportent le risque pour la totalité de leur investissement.65 C’est pourquoi les intérêts des actionnaires occupent une place particulière dans le fonctionnement du réseau de contrats. Considérant leur statut particulier de créanciers résiduels, les actionnaires forment le seul groupe dans le réseau de contrats ayant un intérêt à ce que la valeur de la société soit maximisée. Cela étant, les actionnaires disposent d’incitatifs uniques pour surveiller la gestion des activités de la société puisque, pour emprunter les mots de BIRON, « plus la valeur résiduelle est importante, plus la partie qui leur revient au moment de la liquidation de la société l’est aussi ».66

L’approche du nexus-of-contracts soulève des questions essentielles quant à la nature des règles du droit des sociétés.67 Dans la mesure où les relations contractuelles à long terme sont forcément incomplètes et imprévisibles, il est impossible que le cadre normatif anticipe toutes les questions juridiques qui peuvent surgir entre les différentes parties de la société. Selon MACEY,le droit de la société anonyme devrait être construit de manière à habiliter les différentes parties prenantes à aménager eux-mêmes leurs relations contractuelles au cas par cas au lieu d’imposer des obligations : « Corporate law should be enabling rather than mandatory […] ».68 Ces considérations expliquent pourquoi les dispositions du droit des sociétés relèvent essentiellement du droit dispositif.

On peut ensuite en déduire de l’approche du nexus-of-contracts que la fonction du droit des sociétés consiste à déterminer des paramètres permettant de réduire les coûts de négociation entre les différentes parties prenantes de la société.69 En ce qui concerne en particulier la relation entre l’assemblée générale

63 RUFFNER (2000), 156; GOTSCHEV (2005), N 28.

64 MACEY (2010), 42: « The core insight of this nexus of contracts paradigm is that contract defines each participant’s rights, benefits, duties, and obligations in the corporate endeavour».

65 Ce point de vue est contesté par les partisans de la Team Production Theory pour qui d’autres parties prenantes devraient également être considérés comme des créanciers résiduels de l’entreprise. Infra, première partie, chapitre 2, section III 2.

66 BIRON (2014), 828.

67 RUFFNER (2000), 293 ; MAIZAR (2012), 188.

68 MACEY (2010), 44 ; voir également EASTERBROOK/FISCHEL (1991), 66 et seq ;RUFFNER (2000), 159 et seq et 170 ; MAIZAR (2012), 188.

69 POSNER (2014), 563.

et les organes dirigeants de la société, les statuts peuvent être adaptés, dans les limites de la loi, aux circonstances concrètes de chaque société.

À certains égards, des normes impératives s’avèrent néanmoins nécessaires, dans la mesure où elles concèdent une réduction des coûts de négociation tout en garantissant une meilleure efficacité. Tel est notamment le cas des normes qui visent à réduire les asymétries d’information et à établir des procédures uniformes pour la détermination de la volonté sociale.70 En outre, les dispositions impératives permettent de fixer des limites à la position de pouvoir du conseil d’administration et de contrôler un comportement potentiellement opportuniste.71

C. La théorie des droits de la propriété

Tandis que la théorie des coûts de transaction met au centre le transfert des droits de disposition, la théorie des droits de propriété (property rights theory) s’intéresse à l’aménagement des droits de disposition.72 Selon la théorie des droits de propriété, les biens doivent non seulement être évalués sur base de leur valeur intrinsèque, mais également à la lumière de l’étendue, la répartition et la possibilité de mettre en œuvre les droits de disposition rattachés à ces biens.73 Appliqués au contexte de la société anonyme, les droits de propriété des actionnaires doivent être compris comme des mécanismes pour déterminer les incitations économiques pouvant influencer directement l’allocation des biens et des ressources.74 Dans cette optique, le droit de vote des actionnaires joue un rôle primordial, dans la mesure où il habilite ses titulaires à prendre des décisions fondamentales pour l’entreprise et à disposer ainsi de leur bien commun, à savoir l’entreprise.

Section II Les théories et modèles relatifs à la position de