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E. Exemples de commentaires d’auteurs du corpus sur Rabelais

3. L’ambivalence dans la lecture

On a ainsi vu quelques exemples d’actualisations de la démesure rabelaisienne avec Salammbô de Flaubert (où l’on constatait la démesure du banquet), mais aussi dans

La Peau de chagrin de Balzac et L’Assommoir de Zola (avec le phénomène de l’altération,

propre à la démesure des bons vivants rabelaisiens). On peut observer, dans les deux derniers exemples, une certaine ambivalence dans la lecture. Il semble que les narrateurs mis en place par Balzac et Zola s’expriment avec une autre voix dans ces passages. Il y a à ce sujet, durant le repas chez Taillefer, une courte phrase qui semble placée innocemment, mais allant dans le sens de notre analyse :

Il semblait que chacun eût deux voix361.

Il s’agit certes, au premier degré, de désigner les convives se transformant sous l’effet de l’ivresse. Néanmoins, rien ne dit que cette observation ne s’applique qu’aux personnages de la scène. Le narrateur, en effet, pourrait lui-même avoir une deuxième voix lors de l’altération pantagruélique. Durant le passage, il adopte plutôt une attitude de narrateur externe :

Le notaire se recueillit pendant un moment et se remit bientôt à boire en laissant échapper un geste authentique, par lequel il semblait avouer qu’il lui était impossible de rattacher à sa clientèle les villes de Valence, de Constantinople, Mahmoud, l’empereur Valens et la famille des Valentinois362.

Le choix du verbe « sembler » à la troisième personne du singulier (dans la seconde partie de la phrase) montre que, dans le jeu stylistique auquel se livre Balzac, le narrateur n’est pas certain des intentions du notaire. Dans le cas d’un narrateur zéro, il y aurait eu certitude. La phrase aurait dès lors pu ressembler à ceci :

[…] par lequel il avouait qu’il lui était impossible […].

Mais étant donné que le narrateur n’a pas de caractère omniscient dans le passage, il est donc plus proche du degré de perception de Raphaël. Cette perception reposant sur une incertitude363, le narrateur prend dès lors une apparence très humaine ; le talent de Balzac, dans le cas présent, est d’avoir réussi à mettre en place un narrateur qui, par cette dimension réaliste, semble atteint d’une perfectibilité. Tout comme la perception est toujours subjective et incertaine, les traits humains du narrateur impliquent que celui-ci

361 Honoré de Balzac, La Peau de chagrin, op. cit., p. 98. 362 Ibid., p. 99.

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puisse réagir comme un être normal, et qu’il n’est pas cette sorte de narrateur divin, omniscient que peut être le narrateur zéro. Etant proche des personnages, le narrateur peut dès lors être lui-même affecté par la pantagruélisation du passage. D’où un caractère à la fois très complaisant de la narration, ainsi qu’un certain regard désabusé, proche de la lucidité : le narrateur, lui aussi, semble avoir deux voix. On peut constater la différence de ton entre deux passages représentatifs. Le premier, cité plus haut, est celui de l’arrivée de Raphaël et de son ami chez Taillefer.

Les deux amis s’assirent en riant. D’abord et par un regard plus rapide que la parole, chaque convive paya son tribut d’admiration au somptueux coup d’œil qu’offrait une longue table, blanche comme une couche de neige fraîchement tombée, et sur laquelle s’élevaient symétriquement les couverts couronnés de petits pains blonds. Les cristaux répétaient les couleurs de l’iris dans leurs reflets étoilés, les bougies traçaient des feux croisés à l’infini, les mets placés sous des dômes d’argent aiguisaient l’appétit et la curiosité. Les paroles furent assez rares. Les voisins se regardèrent364.

On peut constater que le texte est entièrement orienté vers la description de la salle, dans une peinture minutieuse et scintillante, véritablement miroitante (« une longue table […] blanche […] sur laquelle s’élevaient symétriquement les couverts couronnés de petits pains blonds. Les cristaux répétaient les couleurs de l’iris dans leurs reflets étoilés […] ») où Balzac entretient un certain détachement dans la bouche du narrateur, en particulier visible par l’usage de syntaxes simples (« Les voisins se regardèrent. Le vin de Madère circula ») tout en faisant de la description de la table une pause poétique et contemplative dans le récit en décalage avec la gêne des convives. Le second extrait serait celui de l’« aurore de l’ivresse »365, où le narrateur devient bien plus proche du lecteur du XIXe, avec notamment le choix de la première personne du pluriel (« Celui-ci [le seizième siècle] apprêtait une destruction en riant, le nôtre [le dix-neuvième siècle] riait au milieu des ruines »).

Il semblait que chacun eût deux voix. Il vint un moment où les maîtres parlèrent tous à la fois, et où les valets sourirent [...]. C’était tout à la fois un livre et un tableau. Les philosophies, les religions, les morales, si différentes d’une latitude à l’autre, les gouvernements, enfin tous les grands actes de l’intelligence humaine tombèrent sous une faux aussi longue que celle du Temps, et peut-être eussiez-vous pu difficilement décider si elle était maniée par la Sagesse ivre, ou par l’Ivresse devenue sage et clairvoyante. Emportés par une espèce de tempête, ces esprits semblaient, [...] vouloir ébranler toutes les lois entre lesquelles flottent les civilisations [...]. Furieuse et burlesque, la discussion fut en quelque sorte un sabbat des intelligences.

364 Passage cité plus haut. Ibid., p. 97. 365 Ibid., p. 97 et suivantes.

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Entre les tristes plaisanteries dites par ces enfants de la Révolution à la naissance d’un journal, et les propos tenus par de joyeux buveurs à la naissance de Gargantua, se trouvait tout l’abîme qui sépare le dix-neuvième siècle du seizième. Celui-ci apprêtait une destruction en riant, le nôtre riait au milieu des ruines366.

Dans ce passage, également cité plus haut, on peut constater un emballement stylistique insistant sur la dualité. Le jeu sur le double est omniprésent, qu’il s’agisse des figures stylistiques telles que plusieurs chiasmes (comme « la Sagesse ivre, ou l’Ivresse devenue sage ou clairvoyante » ou encore celui sur les seizième et dix-neuvième siècles), des observations plus synthétiques (« C’était tout à la fois un livre et un tableau. », « Furieuse et burlesque ») ou d’une profusion baroque du texte (avec notamment la juxtaposition répétée : « Mais cette mêlée de paroles où les paradoxes douteusement lumineux, les vérités grotesquement habillées se heurtèrent à travers les cris, les jugements interlocutoires, les arrêts souverains et les niaiseries […] »). Le style d’écriture, très différent de celui de l’ouverture de l’orgie, tend ainsi à montrer que le narrateur lui-même voit s’éveiller en lui une deuxième voix, laquelle oscille entre un élan de joie, à la manière de celle de convives transfigurés367, et une vision plus sombre et lucide sur le rapprochement difficile entre le seizième et le dix-neuvième. Ce double mouvement, qui conclut l’extrait, participe encore de la dualité narrative, et a pour conséquence un texte qui ne peut être clairement explicite. Il est possible que cela soit pour Balzac un hommage à la lecture toujours multiple du texte rabelaisien.

Dans L’Assommoir de Zola, l’ambivalence est aussi perceptible. On propose ici un commentaire assez subjectif, mais le choix du terme « gargotier » ne paraît pas innocent.

La société, qui l’attendait, se tordit de nouveau. Ça, ça la lui coupait au gargotier ! Quel sacré zig tout de même, ce Mes-Bottes ! Est-ce qu’un jour il n’avait pas mangé douze œufs durs et bu douze verres de vin, pendant que les douze coups de minuit sonnaient ! On n’en rencontre pas beaucoup de cette force-là. 368

Outre l’idée d’un restaurant mal tenu, on voit en effet la similitude orthographique et sonore entre « gargotier » et « Gargantua ». Ce qui voudrait dire, dans ce cas, que même Gargantua pourrait s’ébahir de l’appétit de Mes-Bottes ! De la même manière, on a vu que l’on ne peut pas clairement différencier les commentaires des personnages de celui du narrateur. Le lecteur a le sentiment que le narrateur se mêle aux convives au point

366 Ibid, p. 97 à 99.

367 Par rapport à l’apparente solennité du début de l’orgie. 368 Emile Zola, L’Assommoir, op. cit., p. 134.

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d’être presque physiquement présent. Dès lors, on ne sait plus quel regard de la scène le narrateur peut refléter. Si l’on le considère comme extérieur au banquet de noces, alors il ne s’implique pas et se contente de rapporter la conversation fictive. Néanmoins, si l’on estime qu’il s’implique dans le récit, alors il semble être dans un élan de sympathie avec Mes-Bottes.

L’ambivalence, typique du discours indirect libre, suscite le doute. On ne sait si l’usage de l’argot (« sacré zig »), du langage familier (« gargotier ») et des constructions syntaxiques volontairement maladroites, propres au langage parlé (« Ça, ça la lui coupait ») sont à attribuer aux convives ou au narrateur lui-même. Il semble que les deux interprétations soient possibles, d’où l’indécision du texte, introduite ici par la mise en scène d’une figure de bon vivant. Il ne s’agit certes pas du seul cas de figure dans lequel Zola brouille les frontières du discours par le style indirect libre dans le but d’entretenir une ambivalence dans la lecture, mais dans le cas présent, le brouillage est d’autant plus efficace que Mes-Bottes est un personnage sympathique.

La désignation de l’aubergiste sous le nom de « gargotier » pourrait signifier que Mes-Bottes serait une forme de réincarnation du bon vivant rabelaisien, si l’on considère ce nom donné au restaurateur comme un indice de l’héritage rabelaisien en raison de la consonance commune avec Gargantua. L’idée d’un Mes-Bottes comme réactualisation zolienne du bon vivant rabelaisien est assez plausible en raison du caractère proche du mythe de la figure de Mes-Bottes (lors de l’évocation de la dévoration grotesque et comique lors des douze coups de minuit369), ainsi que pour ses traits, typiques du bon vivant rabelaisien (joyeux, et altérant les convives).

On a pu voir différentes adaptations de la démesure du bon vivant rabelaisien. A ce stade de l’analyse, on peut d’ores et déjà commencer à comparer les résultats de ces premières investigations avec le récapitulatif des principales caractéristiques de la démesure selon Rabelais. Les différents éléments de la démesure rabelaisienne sont ainsi appliqués (ou non) :

369 « Est-ce qu’un jour il n’avait pas mangé douze œufs durs et bu douze verres de vin, pendant que les douze coups de minuit sonnaient ! ». Ibid., loc. cit.

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La démesure physique (touchant la taille des géants et celle de leurs banquets, et qui amène l’altération et un style hyperbolique) est en partie retranscrite : les personnages du corpus du XIXe ne sont pas des géants. Néanmoins, ils peuvent se muer en une joyeuse compagnie lors de l’arrivée d’un bon vivant (ex : Mes-Bottes chez Zola). Chez Balzac (La Peau de chagrin) et Flaubert (Salammbô), la démesure et l’hyperbole concernent les fastueux banquets plutôt que les convives. Pour autant, les convives du repas chez Taillefer sont plus proches des bons vivants de Rabelais que les mercenaires de Salammbô, qui quant à eux ne partagent que peu de traits avec les bons vivants rabelaisiens (c’est le banquet en lui-même qui est démesuré). En revanche, l’élasticité des géants n’est plus à l’ordre du jour dans la littérature du XIXe siècle.

L’action de la démesure sur le temps est également partiellement restituée, car si les bons vivants du XIXe n’ont pas le pouvoir d’influer directement sur le déroulement chronologique de l’histoire, leur introduction coïncide avec une pause dans le récit. L’allongement du temps est donc tout de même présent à l’échelle de l’écriture. Concernant la longévité des humains bons vivants, il serait au XIXe absurde d’imaginer des personnages survivant des siècles dans des sujets d’écriture tels que ceux du corpus. Le contact avec un bon vivant altère simplement les autres personnages (chez Balzac, le bon vivant serait sans doute Taillefer ; chez Zola, le plus emblématique serait Mes-Bottes). Ce phénomène ne s’applique pas dans le cas de Salammbô, car il n’y a pas de véritable bon vivant dans le banquet qui nous est présenté.

On peut constater une divergence majeure dans l’adaptation de la figure du bon vivant rabelaisien : en effet, alors que chez Rabelais la démesure du géant ne mène pas pour autant à une hubris comportementale grâce à son éducation, il y a bien hubris dans nos différents exemples issus de la littérature du XIXe siècle. Cette différence pourrait s’expliquer par le fait que pour compenser l’impossibilité de la démesure physique, les auteurs l’ont retranscrite en une démesure comportementale.

Pour autant, il est un élément de la démesure du géant rabelaisien qui ne change pas dans son actualisation. Il s’agit de la multiplicité des interprétations induites par cette démesure. Dans les trois exemples cités, il y a effectivement différents niveaux de lecture. Chez Balzac, le narrateur exprime un cri du cœur rabelaisant, assorti d’un sentiment d’échec. Dans Salammbô (Flaubert), les nourritures s’accumulent en telles quantités qu’elles s’écroulent, et semblent annoncer la défaite à venir

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des mercenaires. Enfin, dans le banquet de noces proposé par Zola, l’arrivée de Mes-Bottes a pour conséquence de changer du tout au tout la manière dont le narrateur décrit la scène : il partait d’un point de vue très négatif, et l’on passe brutalement dans une tonalité très joviale. Le style indirect libre a pour conséquence le doute. On ne sait pas si ce caractère jovial est celui des personnages, dont le discours serait rapporté indirectement, ou s’il s’agit d’une impression du narrateur lui-même.

Le tableau à la page suivante détaille par œuvre les différents aspects de la démesure du bon vivant selon François Rabelais, et la compare à l’adaptation du personnage au XIXe siècle.

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Tableau de l’adaptation de la démesure XIXe siècle (par œuvre)

Œuvres (ci-dessous) \ Démesure (à droite) Démesure physique, hyperbole et altération des convives Elasticité du corps du person-nage Elasticité du temps Change-ments dans la longévité des amis du bon vivant Comporte-ment marqué par une hubris contrôlée La démesure cache des significa-tions particulières Les Cent Contes drolatiques (Balzac) En partie vrai (mais pas de gigantisme) Non En partie vrai (pause) En partie vrai (pas dans un allongement de vie, mais par l’altération) Non Oui La Peau de chagrin En partie vrai (mais pas de gigantisme) Non En partie vrai (pause) En partie vrai (pas dans un allongement de vie, mais par l’altération) Non Oui Le Grand Dictionnaire de cuisine (Dumas)

Non Non En partie vrai

(pause) Non Non Oui

Les Trois Mousque-taires Rarement vérifiable Non En partie vrai

(pause) Non Non Oui

Mémoires d’un médecin (tome 1, « Joseph Balsamo »)

Non Non Non Non Non Oui

Madame Bovary

(Flaubert) Non Non

En partie vrai (pause) En partie vrai (pas dans un allongement de vie, mais par l’altération) Non (elle l’est, mais indirecte-ment) Oui

Salammbô En partie vrai Non En partie vrai

(pause) Non Non Oui

Le Capitaine Fracasse

(Gautier) Oui Non

En partie vrai (pause) En partie vrai (pas dans un allongement de vie, mais par l’altération) Non Oui La Curée (Zola) En partie vrai, mais pas immédiate-ment (et pas

de gigantisme)

Non En partie vrai (pause) Rarement vrai (pas dans un allongement de vie, mais par l’altération), Non Oui

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et une seule occurrence

L’Œuvre Non Non Non Non Non Oui

Le Ventre de

Paris Non Non Non Non Non Oui

L’Assom-moir En partie vrai (pas de gigantisme) Non En partie vrai (pause) En partie vrai (pas dans un allongement de vie, mais par l’altération) Non Oui Histoire du roi de Bohème et de ses sept châteaux (Nodier)

Non Non Non Non Non Oui

L’Homme de la Croix-aux-Bœufs (Cladel)

Non Non En partie vrai (pause) En partie vrai (pas dans un allongement de vie, mais par l’altération Non Oui

Il ressort de la comparaison un certain nombre de points communs, sans pour autant qu’il y ait totale adéquation. Ce jugement s’appuie sur les proportions de ressemblance ou de non-ressemblance, entre la démesure des personnages de bons vivants chez Rabelais et l’adaptation de ces traits par les écrivains du XIXe. Sur les six sous-catégories, deux ne se vérifient pas, trois se retrouvent en partie, et une peut être jugée comme fidèlement retranscrite.

Le tableau permet de discerner quelques éléments. Le premier constat est le refus, dans les œuvres étudiées, d’appliquer des caractéristiques trop typiques du merveilleux. Aussi, les auteurs n’ont pas voulu retranscrire dans un cadre contemporain la capacité des géants qui leur permet de grandir ou rapetisser. De même Balzac, Flaubert et Zola ont fait l’impasse sur la différenciation des catégories de démesures physiques ou comportementales. Les géants de Rabelais naissent démesurés aussi bien par leurs corps que par la pensée, mais l’enseignement qui leur est prodigué leur inculque la retenue et la sagesse. Dans le roman du XIXe siècle, ce sujet n’est plus d’actualité. Les écrivains ont pu considérer que la question de l’apprentissage aurait pu faire l’objet d’un autre roman, à part entière ; ils ont aussi peut-être pensé que ce type de sujet n’aurait pas pu s’insérer dans leurs œuvres respectives… De manière plus probable, un tel sujet aurait peut-être dépassé le cadre de

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la pause dans le récit que constitue presque toujours l’apparition d’un bon vivant (pause qui a par définition un aspect très momentané). Les œuvres citées ne sont pas pensées comme des pastiches à part entière. Lorsqu’il est question de faire un pastiche, il ne s’agit que de faire ce travail durant un chapitre ou deux, et non de tenter d’actualiser Rabelais à l’échelle du livre entier.370

La seconde observation que l’on peut faire est que la plupart des traits de la démesure des bons vivants selon Rabelais se retrouvent en partie chez Balzac, Flaubert et Zola. Aussi, ces liens forts à la source rabelaisienne montrent qu’il y a adaptation. On insiste sur ce terme : il s’agit bien d’adapter la démesure du personnage à l’air du temps, non de la transposer. C’est ainsi que les personnages des œuvres du corpus du XIXe n’ont pas de caractère aussi nettement merveilleux que peut l’être la taille des géants d’Alcofribas Nasier. La grandeur hyperbolique est en fait déplacée vers la description du festin. Puisque le merveilleux est évincé au profit d’un sujet d’écriture relativement plausible (mis à part l’image surnaturelle de la Peau de chagrin), alors il n’est plus question d’introduire des géants dans le texte. Pour autant, il demeure en filigrane chez le bon vivant un trait tout à fait caractéristique : l’altération. Au contact d’un bon vivant (qui se manifeste au moment de passer à table), les personnages se muent en une joyeuse compagnie. Ceci se produit même dans des cas où l’ambiance du repas était délétère juste avant l’apparition du personnage, comme on a pu le voir dans L’Assommoir.

En outre, les écrivains ont, peut-être sans s’en rendre compte, conservé l’idée du rapport particulier au temps lorsqu’un bon vivant est présent. Chez Rabelais, le personnage peut modifier le cours du temps à sa guise. Ici, le temps est altéré non par la volonté du bon vivant, mais par l’introduction du personnage. Ce phénomène est constaté au niveau de l’écriture, car l’apparition d’un bon vivant est toujours synonyme d’une pause dans le récit, la longueur de la pause variant d’un auteur à l’autre. Dans l’écriture zolienne, le glauque banquet de noces s’illumine lors de l’arrivée de Mes-Bottes ; chez Balzac, c’était près de