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L’essor et la spécialisation de la population marchande dans la Lorraine du XVIIIe siècle

1. L’accroissement des échanges de marchandises au XVIIIe siècle

1.1. L’accroissement de la circulation des marchandises dans la province

Nancy est la seule localité de Lorraine centrale et méridionale pour laquelle nous disposons d’une série continue de données sur la circulation des marchandises autres qu’alimentaires. Seule la capitale ducale prélevait une « gabelle des marchands » sur les produits de mercerie : dans des localités aussi importantes que Lunéville, Remiremont ou Mirecourt, les ponctions sur la circulation des marchandises portaient uniquement sur les grains, les vins et eaux de vie et sur les bestiaux, la ville d’Epinal ne taxant quant à elle que les vins et autres boissons alcoolisées. L’évolution du montant de la « gabelle des marchands » au fil du siècle nous permet de prendre une première mesure de la circulation des marchandises dans l’espace lorrain central et méridional : la ville en était en effet le principal pôle commercial de la Lorraine, elle faisait fonction d’entrepôt pour la redistribution des marchandises dans la province, et les plus gros négociants des Duchés y résidaient. Pendant tout le XVIIIe siècle, les observateurs, arithméticiens politiques, calculateurs et faiseurs de projets s’accordaient ainsi à dire que la moitié des importations de la province étaient consommées ou transitaient par Nancy195. Ces données d’octrois sont cependant d’interprétation ambiguë, ne serait-ce que parce qu’elles ne permettent pas de distinguer clairement les marchandises lorraines des marchandises étrangères.

1.1.1. L’utilisation des données des octrois

A Nancy, le prélèvement de base sur les entrées de marchandises dans la ville était le même depuis le XVe siècle : la « gabelle des marchands » consistait en un droit ad valorem

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Les mémoires d’administrateurs ne manquent pas de le relever, et font ainsi du niveau des entrées des marchandises à Nancy un moyen d’évaluer l’ampleur du commerce de la province.

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sur les produits passant les portes de la cité, montant au 96e de la valeur des marchandises pour les Nancéiens (soit 1,04 %) et au 64e pour les forains (soit 1,56 %)196. Tous ceux qui faisaient entrer des marchandises à Nancy « (étaient) tenus d’en faire déclaration aux portes de ladite ville, au commis qui y serait préposé, et ensuite de les faire décharger et déballer dans la douane, où les factures seraient représentées, et où le fermier pourrait tenir un autre commis. »197 Les marchandises concernées par ce droit étaient toutes celles qui n’étaient pas assujetties aux autres levées aux portes de la ville : les grains étaient ainsi soumis à la « gabelle des Grands Moulins », les poissons à la « gabelle de la marée » et les cuirs à la « gabelle des cuirs ». Dans l’ensemble, on peut donc considérer que ce droit touchait l’ensemble des produits de mercerie vendus par les marchands que nous étudions.

Dans le dernier tiers du XVIIIe siècle, la perception des droits sur les marchandises s’est compliquée, avec l’introduction de nouvelles impositions. Un arrêt du Conseil d’Etat du 27 février 1769 accorde ainsi à la ville de Nancy un supplément de quatre sous pour livre sur les octrois, ce qui correspond à une hausse de 20 % des sommes à percevoir. Cette mesure, censée être temporaire, fut prolongée par un arrêt du Conseil du 17 décembre 1776 et par les lettres patentes du 15 juillet 1778198. En outre, par un édit d’août 1780, vint s’ajouter à ces levées une ponction exceptionnelle au profit du Roi de cinq sous pour livre en sus du montant des entrées. Dans tous les cas, le point de référence reste le 96e denier : dans les adjudications de baux dont nous disposons, il est toujours possible d’isoler le « canon » de l’octroi qui lui correspond.

Les données des octrois posent des difficultés d’utilisation importantes. La première tient à son assiette. Comme les bourgeois de Nancy payaient un droit sur les entrées de marchandises dans la ville inférieur aux forains, la valeur du coefficient multiplicateur retenu pour passer du montant des baux à une estimation du niveau des entrées peut varier grandement selon l’origine des marchands faisant entrer les produits à Nancy. Il se trouve en fait, si l’on en croit le relevé des six premiers mois de 1726, que les marchands forains étaient très peu nombreux à introduire des marchandises à Nancy : les seuls à le faire étaient de petits marchands ambulants, dont les stocks étaient de peu de valeur face aux grands opérateurs nancéiens. Au demeurant, les marchands importants des autres villes, qui faisaient transiter leurs marchandises par Nancy étaient francs de droits, le transit n’étant pas soumis à la « gabelle des marchands »199. On peut donc considérer que l’écrasante majorité des marchandises qui entraient dans la ville était soumise au 96e denier et à ses suppléments – et non à un droit majoré.

La deuxième difficulté est liée au mode de perception de la « gabelle des marchands ». Elle ne fut en effet perçue en régie par la municipalité qu’à la toute fin du XVIIIe siècle, étant affermée la plupart du temps à des groupes d’investisseurs locaux – ce qui du reste était la norme sous l’Ancien Régime. Il fallut des circonstances exceptionnelles pour faire renoncer le Corps de Ville à l’affermage à des sociétés de financiers : une première fois, dans les années 1720, un conflit éclata entre le corps des marchands et le fermier des droits d’entrée des marchandises, Jacques Huyn, lui-même commerçant. Ses collègues lui reprochaient notamment d’abuser de son droit de visite en demandant aux voituriers de faire ouvrir les ballots pour en vérifier la conformité avec les factures. Ils le suspectaient également, grâce à son droit d’inspection des factures, de s’informer des conditions d’achats de ses collègues :

196 AM Nancy, CC 794

197 AM Nancy, CC 794 198

AM Nancy, CC 797 et CC 803

199 Ce n’est qu’en 1769 que sera créé un droit de 15 sous sur les « balles et ballots de marchandises qui seront

déchargés à la Douane, lequel droit consiste à 15 s. pour chaque balle ou ballot de marchandises, de quels lieux ils puissent provenir s’ils sont destinés pour cette ville ou ses faubourgs, lequel droit sera néanmoins réduit à 6 s. pour les ballots dont la valeur sera au-dessous de 100 liv. ».

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cette entrave au « secret des affaires » entrainait à leurs yeux une concurrence déloyale. Le Corps de Ville finit par trancher en faveur des commerçants, et leur confia la gestion du droit entre 1726 et 1730, puis entre 1731 et 1738. Pour ces douze années, nous disposons donc du niveau réel des entrées dans la ville. Dans les années 1780, les droits d’entrée revinrent en régie : la compagnie de financiers qui avait affermé l’ensemble des droits en avril 1786 pour huit ans s’était en effet retirée de la perception dès la fin de l’année 1786, arguant du niveau trop élevé du canon des octrois – 320.000 liv. l.200 La compagnie ne disposant pas des ressources nécessaires à la bonne gestion de la ferme, ou bien ayant largement surévalué ses possibilités de gain, les octrois passèrent en régie municipale. Nous disposons ainsi d’un dossier d’enquête minutieux de la municipalité, qui nous fournit des indications précises sur le montant des collectes à la veille de la Révolution.

Mis à part ces deux épisodes, il n’existe pas de relevés annuels des entrées dans la ville, mais seulement de procès-verbaux d’adjudication de la ferme. On ne peut donc pas attendre de la reconstitution de la courbe du montant des baux au XVIIIe siècle des indications précises sur le niveau des entrées dans la ville de Nancy, mais bien plutôt une esquisse de leur évolution. C’est en réalité déjà beaucoup. Comme l’écrit Pierre Vilar, « au lieu d’un enregistrement mensuel ou annuel, portant sur des sommes effectivement relevées, les adjudications offrent un chiffre global, qui traduit (…) la prévision d’un groupe d’hommes d’affaires sur le rendement à attendre du droit dans les années à venir. Courbe-reflet plus que courbe-fait. Mais, en matière de conjoncture, quand le reflet de l’activité réelle sur la psychologie économique peut être chiffré par la concurrence, que souhaiter de plus significatif ? »201 Dans le cas de Nancy, ces documents nous procurent donc des indications non négligeables sur la conjoncture économique et financière de la place.

Une fois admise l’idée que l’on ne pourra reconstituer que des tendances, il faut se donner les moyens de les interpréter. La principale difficulté est posée par l’incertitude quant à la destination finale des marchandises entrant dans la ville. La hausse des entrées à Nancy peut en effet aussi bien correspondre à un fort accroissement de la consommation locale et à une stagnation de la quantité de marchandises redistribuées par les commerçants locaux dans la province, qu’à une stagnation de la consommation locale couplée à une forte augmentation de la quantité de marchandises à destination des marchands d’autres localités. Nous avons cependant rappelé plus haut que Nancy conserva sa place de pôle de redistribution des marchandises dans la province jusqu’à la fin du XVIIIe siècle : la présence de riches marchands dans la ville dans les années 1780 témoigne du maintien de ce rôle de coordination régionale des échanges. Tout au long du siècle, la courbe dit donc quelque chose de l’évolution du commerce de la province. Il n’empêche qu’elle peut tendre, comme toutes les séries locales, à surévaluer les dynamiques spécifiques au lieu d’observation202

.

1.1.2. Une forte hausse des entrées de commodités à Nancy

Deux points de référence : les années 1720 et les années 1780

Pour les années 1720 et les années 1780, nous disposons de données solides sur les entrées de marchandises dans la ville. Il s’agit en effet de chiffres réels, et non d’extrapolations à partir du montant des baux. Les tableaux suivants synthétisent les données.

200 AM Nancy, CC 797. 201

VILAR, La Catalogne dans l’Espagne moderne, tome 3, p. 17.

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A la fin des années 1720 et au début des années 1730, on peut ainsi estimer le niveau annuel des entrées de marchandises à Nancy à 2,6 millions de liv. l. environ. Le chiffre est soumis à des variations annuelles importantes : le montant pour 1726 est assez faible, avec 1,74 million de liv. l. seulement, et fut alors considéré comme un étiage. Sur cette douzaine d’années, il semblerait que l’on puisse discerner une tendance à la hausse en valeur de la quantité de marchandises entrantes : il atteint son point le plus élevé en 1732 avec 3,5 millions de liv. l., et entre 1733 et 1738 la moyenne annuelle ne descend pas en-dessous de 2,6 millions de liv. l. - son niveau des années 1720 - malgré les combats de la Guerre de Succession de Pologne qui affectèrent les relations commerciales avec les espaces germaniques entre 1733 et 1735. Signe de la poussée de la circulation des marchandises dans la province, le produit du 96e denier est nettement plus important à la fin du XVIIIe siècle.

Malgré des variations interannuelles assez fortes, il semble acceptable de retenir pour les années 1780 un montant moyen de 6 à 6,5 millions de liv. l. par an. C’est au demeurant le chiffre donné par le contrôleur des fermes à Nancy D’Auvergne en 1787 comme montant moyen pour la durée de l’exercice203

. En valeur nominale, le montant des entrées de

203 AM Nancy, CC 796, 797, 803 + Les intérêts de la Lorraine défendus contre ses marchands (1787), p. 63 et

64 : « Si des 100.000 liv. (du bail des fermes de la ville de Nancy) on en ôte 20.000 selon l’idée commune pour les droits de 15 s. et 6 s. par ballot, et que l’on confonde le 60e

et 4 s. pour liv. des forains, qui se réduit presque à rien depuis que les marchands ont expulsé ces forains, les 80.000 liv. restantes étant le produit du 96e et 4 s. pour

Années Montant des droits perçus en liv. l. Estimation du niveau des entrées en liv. l. Montant annuel moyen des entrées sur la période en liv. l. 1726 18 252 1 752 000 2 639 000 1727 28 307 2 717 000 1728 32 729 3 142 000 1729 30 679 2 945 000 1732 36 442 3 498 000 1733-1738 164 332 15 780 000 2 630 000 Années Montant des droits perçus en liv. l.

Sommes à défalquer pour calculer le montant du "96e denier" (en liv.

l.) Montant perçu au titre du "96e denier" en liv. l. Estimation du niveau des entrées en liv. l. "Cinq sous pour

livre" pour le Roi

"Quatre sous pour livre d'augmentation" au bénéfice de la Ville 1787 83 859 20 942 10 486 52 431 5 033 000 1788 96 402 19 205 12 866 64 331 6 176 000 1789 106 610 21 248 14 227 71 135 6 829 000

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marchandises à Nancy aurait donc été multiplié par un peu moins de 2,5 en l’espace d’un demi-siècle. Vu l’importance du prix des grains pour la formation des revenus des paysans et le niveau des dépenses des populations non-autosuffisantes en blé, il n’est pas absurde de recourir au prix des céréales pour procéder à la déflation des prix des commodités.

Entre les années 1730 et 1780, une hausse de 66 % du prix du blé est recevable204. En valeur déflatée, les entrées dans la ville à la fin du XVIIIe siècle monteraient ainsi à 3,6 ou 3,9 millions de liv. l. environ205. Cela correspond à une augmentation de 40 à 50 % environ des entrées dans la ville en l’espace d’un demi-siècle.

Trois poussées : années 1730, années 1750 et années 1780

Les comptes de la ville ainsi que les procès-verbaux des adjudications nous permettent de préciser les rythmes de progression du niveau des baux d’octrois. On relève trois périodes de très forte hausse de leur montant. La première se produit dans les années 1730, la deuxième dans les années 1750 et la dernière dans les années 1780. Les enchères étant à chaque fois disputées, on peut supposer que les financiers intervenant dans la gestion des fermes anticipaient une forte hausse du niveau des entrées dans la ville, sur la base de leurs observations des années écoulées. Ainsi, la montée brusque des baux à une date donnée traduit, transcrit et enregistre une poussée réelle dans la circulation des marchandises survenue dans les années précédentes. C’est d’autant plus net qu’une fois un palier franchi, les baux ne redescendent pas - ou seulement peu - en dessous du niveau atteint.

liv. c’est-à-dire du 85e (sic : le résultat correct est le 80e !) de la valeur des marchandises arrivant à Nancy pour y

être débitées par les marchands, il faut conclure que la totalité de ces marchandises est d’environ 6,5 millions argent de Lorraine revenant à environ 5 millions cours du Royaume », n. a p. 63 et 64. (N.B. : l’approximation donnée est correcte malgré l’erreur de calcul du multiplicateur).

204 Nous renvoyons pour la méthodologie et les calculs à l’annexe concernant l’évolution des prix des produits. 205

L’hypothèse 1 correspond à des entrées de 6 millions de liv. l., l’hypothèse 2 à des entrées de 6,5 millions de liv.l.

Evolution du montant de l'entrée des marchandises en millions de liv. l. Années 1730

Années 1780 (hypothèse 1) Années 1780 (hypothèse 2) Montant Coefficient

multiplicateur Montant

Coefficient multiplicateur 2,60 3,61 1,39 3,92 1,51

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Le montant des baux du « 96e denier », qui comprend le « canon » - somme principale - et les « pots de vins », suppléments exigés par le Corps de Ville, a rapidement crû entre les années 1720 et les années 1770. Le montant total des baux passe ainsi de 17.500 liv. l. en 1725, ce qui correspondrait à des entrées de 1,7 million de liv. l. minimum, à 50.600 liv. l. en 1752, ce qui suppose des entrées annuelles de 4,9 millions de liv. l.

En 1752 cependant, la forte hausse du bail est immédiatement suivie d’une demande de diminution du canon de 6.000 liv. l. de la part des financiers ayant emporté l’adjudication : l’anticipation de l’accroissement des entrées était sans doute trop optimiste de la part des investisseurs. Le montant des baux connaît alors à partir de 1759 un long palier jusqu’en 1779, pour demeurer au niveau de 42.400 liv. l. de canon (soit avec les pots de vin 44.387 liv. l. 10 s., ce qui correspond à des entrées de 4,2 millions de liv. l.). Comment interpréter cette stagnation ? On peut y voir l’effet des difficultés du temps, en particulier des guerres qui perturbent le commerce de gros. Par son arrêt du 15 avril 1764, la Chambre de Ville décide en effet de maintenir le Sieur Oriot dans la jouissance des fermes, sur les mêmes conditions que précédemment, arguant que lui et ses associés - les frères Jean, Pierre et André Boisserand, marchands de Nancy - n’ont pu gérer avec profit la ferme durant les années de la Guerre de Sept Ans. A cause du conflit, il est possible que les entrées aient été inférieures aux attentes, ce qui expliquerait que le Corps de Ville ne sollicite pas de hausse du canon206. Les autorités municipales accordent donc une prorogation du bail de six ans aux mêmes conditions : « par

206 AM Nancy, CC 797 : « le sieur Oriot (…) avait été chargé de la régie de sa ferme et de la perception des

droits dans ces temps de guerre plus longue et plus onéreuse qu’on n’avait pu le prévoir, ce qui diminuait beaucoup le nombre des habitants et des consommations dans la ville de Nancy, les uns obligés de suivre l’armée par leur état, les autres forcés de diminuer leur dépense pour soutenir leurs enfants ou leurs parents au service, ce qui joint à la diminution de l’agriculture qui en faisait une proportionnelle dans les revenus des personnes les plus opulentes, causait une grande diminution et une perte notable au commerce, qui amoindrissait d’autant le droit d’entrée sur les marchandises. Il est donc très probable que les fermiers de ce droit se sont trouvés en perte pendant toute la durée du bail, qui doit expirer à la fin de la présente année (1764). »

0,00 10000,00 20000,00 30000,00 40000,00 50000,00 60000,00 70000,00 80000,00 1704 1710 1715 1720 1730 1735 1740 1745 1750 1755 1760 1765 1770 1775 1780 1785

Evolution du montant du canon de la "gabelle des marchands"

en liv. l. (1704/1785)

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justice parce qu’il est de l’intérêt de la ville de ne confier ses fermes qu’à des gens solvables instruits des droits de la ville, exacts aux paiements et qui ne vexent point ceux qui sont sujets aux droits. »207. Leur successeur Rousseau, à qui la gabelle des marchands est adjugée le 13 août 1769 doit verser jusqu’en décembre 1779 un canon d’un montant équivalent208

. Notons cependant que dans les années 1750, 1760 et 1770 les baux se maintiennent à un niveau élevé. Rousseau n’ayant pas sollicité de diminution de son canon, il se peut donc qu’il ait réalisé de bonnes affaires lors de sa gestion : le niveau annuel des entrées est donc vraisemblablement bien supérieur à 4,2 millions de liv. l.

La lisibilité de l’adjudication effectuée en 1779 est plus faible. Sont en effet conjoints, faute de preneurs individuels, la gabelle des marchands - à laquelle s’ajoute un supplément de quatre sous pour livre au bénéfice de la ville -, un droit nouveau de 15 sous par ballot entrant dans la ville ou y passant en transit, ainsi que la ferme de la marée et du lard. Les enchères finissent par monter assez haut, dans la mesure où l’ensemble de ces droits est adjugé le 7 novembre 1779, hors pots de vin, à Claude-François Chapuis pour 75.200 liv. l. Quelle idée peut-on se faire de cette somme, nettement plus élevée que les 42.400 liv. de la dernière adjudication du 96e denier ? Notons d’abord que la progression n’est vraisemblablement pas due à l’adjonction des deux fermes de la marée et du lard, qui ne rapportaient à la ville que 400 liv. à elles deux dans les années 1770. Les 15 sous par ballot ne rapportent quant à eux que 10.000 liv. l. par an, si l’on en croit le représentant de la Fermé Générale à Nancy D’Auvergne. Le canon des entrées des marchandises en 1779 est donc compté pour 60.000 liv. au moins, hors francs-vins, mais 4 sous pour livre inclus. Cela correspond donc à un canon annuel du 96e denier de 50.000 liv. l. au moins, soit 52.340 liv. l. avec les pots de vin. On peut donc considérer que Chapuis et ses associés comptaient sur des entrées annuelles de 5 millions de liv. l. au minimum pour rentrer dans leurs frais. Cette forte hausse du montant du bail traduit donc l’accroissement de l’entrée des marchandises dans la ville dans la décennie précédente, qui laissait espérer la poursuite de l’augmentation les années suivantes. De fait, cette anticipation d’au moins 5 millions de liv. l. d’entrées dans la ville est largement inférieure aux chiffres de la fin des années 1780.