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Chapitre 1 : Introduction

1.4 Les hypothèses explicatives de l’association entre les symptômes anxieux et les

1.4.3 L’étiologie des symptômes anxieux et des symptômes dépressifs

L’association entre les SA et les SD pourrait s’expliquer par un manque de spécificité et de distinction entre les deux ensembles de symptômes et par une séquence développementale selon laquelle un ensemble de symptômes prédirait une augmentation ou une diminution de la présence ultérieure de l’autre ensemble de symptômes. Une autre possibilité évoquée est que des facteurs étiologiques communs puissent expliquer l’association entre les SA et les SD.

1.4.3.1 Les déterminants communs aux symptômes anxieux et aux symptômes dépressifs Divers déterminants ont été identifiés comme prédicteurs des SA et des SD, dont certains provenant de l’environnement, tels que la dépression chez un parent (Axelson & Birmaher, 2001; Côté et al., 2009; Sterba et al., 2007), le fonctionnement de la famille et les pratiques

parentales (Côté et al., 2009; Gilliom & Shaw, 2004; Oldehinkel, Veenstra, Ormel, de Winter, & Verhulst, 2006; Wood, McLeod, Sigman, Hwang, & Chu, 2003) et les relations avec les pairs (Boivin, Hymel, & Bukowski, 1995; Greco & Morris, 2005; Strauss, Lahey, Frick, Frame, & Hynd, 1988). De manière plus distale, le statut socio-économique de la famille (revenu familial et niveau d’éducation), ainsi que l’âge de la mère à la naissance de l’enfant sont souvent associés aux SA et aux SD chez les enfants. Par contre, ces associations ne sont pas toujours observées (Brendgen, Lamarche, Wanner, & Vitaro, 2010; Côté, Tremblay, Nagin, Zoccolillo, & Vitaro, 2002; Letcher, Sanson, Smart, & Toumbourou, 2012; Roza et al., 2003). En fait, ces déterminants plutôt de type démographique pourraient jouer un rôle dans l’émergence de SA ou de SD en favorisant l’apparition d’autres facteurs de risque plus proximaux comme les conduites parentales, les conditions de vie précaires etc. (Goodyer, Wright, & Altham, 1990).

D’autres déterminants propres à l’enfant seraient communs au développement des SA et des SD. D’abord, de nombreuses études ont mis en évidence des différences selon le sexe, les femmes étant plus à risque, dans le développement de SA et de SD durant l’adolescence et l’âge adulte (Bekker & van Mens-Verhulst, 2007; Roza et al., 2003). Alors que plusieurs études n’ont pas observé de différences selon le sexe durant l’enfance (Duchesne, Larose, Vitaro, & Tremblay, 2010; Duchesne et al., 2008; Mesman & Koot, 2000), certaines ont montré que les filles présentaient davantage de SA (Letcher et al., 2012) et de SD (Bergeron et al., 2007; Brendgen et al., 2010; Brendgen, Wanner, Morin, & Vitaro, 2005) que les garçons durant la transition entre l’enfance et l’adolescence. La différence selon le sexe quant à la présence de SA et de SD au cours de l’adolescence et de l’âge adulte a le plus souvent été attribuée à la survenue de la puberté (Angold & Worthman, 1993). Le tempérament de l’enfant a également été mis en cause à plusieurs reprises dans le développement des SA et des SD, notamment à travers les concepts de névrosisme ou d’émotionalité négative (Brendgen et al., 2005; Clark, Watson, & Mineka, 1994; Compas, Connor-Smith, & Jaser, 2004; Gilliom & Shaw, 2004; Nigg, 2006; Schmitz et al., 1999), de tempérament difficile (Côté et al., 2009; Guerin, Gottfried, & Thomas, 1997) et de l’inhibition comportementale (Crockenberg & Leerkes, 2005; Hudson, Dodd, & Bovopoulos, 2011). En particulier, le tempérament difficile a été lié à la présence de symptômes intériorisés durant les périodes préscolaire et primaire (Crockenberg & Leerkes, 2005; Hudson, Dodd, & Bovopoulos, 2011).

Les enfants avec un tempérament difficile auraient tendance à réagir de manière négative et intense (ce qui peut référer à l’émotionalité négative), à avoir des routines irrégulières et à s’adapter plus difficilement aux nouvelles expériences que les autres enfants (LaFreniere, 2000). L’inhibition comportementale, quant à elle, est définie comme étant de l’hypervigilance à l’environnement (Degnan, Almas, & Fox, 2010). Les enfants présentant cette caractéristique réagiraient plus intensément aux situations nouvelles ou peu familières. Ils auraient tendance à se retirer des interactions sociales et à adopter un comportement de réticence, voire de peur (Degnan, Almas, & Fox, 2010). L’inhibition comportementale a été associée à la présence de symptômes anxieux et internalisés durant la période préscolaire (Crockenberg & Leerkes, 2005; Hudson, Dodd, & Bovopoulos, 2011) et à des symptômes anxieux à l’âge scolaire (Biederman et al., 2001; Kiff, Lengua, & Bush, 2011). L’association entre ces traits ou ces tempéraments est toujours à être clairement établie, mais il est possible que chacun d’entre eux représente partiellement la vulnérabilité biologique générale à développer un trouble émotionnel (Barlow, 2002).

1.4.3.2 La contribution des facteurs génétiques et environnementaux aux symptômes anxieux et aux symptômes dépressifs : les études de jumeaux

Plusieurs déterminants, qu’ils soient de nature biologique ou environnementale, ont été identifiés comme étant des prédicteurs des SA et des SD, donc pouvant possiblement prédisposer ou précipiter leur développement. Par contre, il est difficile de mesurer leur impact relatif ou de confirmer leur rôle causal dans le développement des SA et des SD et leur association au cours du développement. En effet, seule la méthode expérimentale, par laquelle il est possible de manipuler les variables, peut nous informer à ce sujet. Alors qu’il est éthiquement et pratiquement impossible de manipuler le patrimoine génétique d’une personne pour en mesurer l’influence sur son développement, certaines situations naturelles produisent des variations génétiques et environnementales systématiques qui peuvent être mises à profit dans des devis quasi-expérimentaux. L’une d’entre-elles est la naissance de jumeaux, qui permet la mise en application d’une méthodologie particulière : le devis de jumeaux.

individuelles quant à un phénotype. Cette méthodologie repose sur le principe que les jumeaux monozygotes (MZ) et les jumeaux dizygotes (DZ) diffèrent quant à la proportion de bagage génétique qu’ils partagent. En effet, alors que les premiers sont identiques au plan génétique, les seconds partagent environ 50% de leurs gènes. En comparant la ressemblance intra paire entre ces deux types de jumeaux, il est possible de départager l’influence relative des facteurs génétiques additifs (A), de l’environnement commun (C) (celle qui rend les enfants semblables, au-delà de leur ressemblance génétique) et de l’environnement unique (E) (celle qui rend les enfants différents malgré leur ressemblance génétique ou environnementale) sur les différences individuelles quant à un phénotype donné. Cette méthode ne permet toutefois pas de mesurer l’influence de déterminants spécifiques (p.ex. un gène précis, des caractéristiques du tempérament ou des pratiques parentales), mais permet plutôt de mettre en évidence des patrons généraux d’influences génétiques et environnementales qui sont à la base d’hypothèses en lien avec des déterminants spécifiques. Le devis de jumeaux permet également d'étudier l’influence relative des facteurs étiologiques communs (génétiques ou environnementaux) dans l’association entre deux phénotypes. Le recoupement entre les facteurs qui influencent l’un et l’autre phénotype est exprimé en termes de corrélation, soit la corrélation génétique (rA), la corrélation d’environnement commune (rC) et d’environnement unique (rE). Compte tenu de ce qui précède, la présente thèse tire profit de cette méthodologie particulière pour documenter l’association entre les SA et les SD à l’enfance en examinant leur étiologie génétique et environnementale respective et commune.

La contribution des facteurs génétiques et environnementaux aux différences individuelles des SA et des SD à l’enfance est bien documentée (Franić, Middeldorp, Dolan, Ligthart, & Boomsma, 2010). En général, les études génétiquement informatives rapportent une héritabilité modérée des deux ensembles de symptômes (Eley, 1999; Gregory & Eley, 2007), même si les estimés varient grandement d’une étude à l’autre (Axelson & Birmaher, 2001). En effet, les résultats de diverses études montrent que la contribution génétique aux différences individuelles dans la présence de SA varierait de 5% à 71% à l’enfance (Kendler, Gardner, Annas, et al., 2008; Lau, Gregory, Goldwin, Pine, & Eley, 2007; Thapar & McGuffin, 1995). De la même façon, une proportion considérable de la variance des SD semble s’expliquer par des facteurs génétiques, mais avec des variations importantes (8% à

48%) (Brendgen et al., 2009; Brendgen et al., 2013; Eley & Stevenson, 1999b; Scourfield et al., 2003). La nature des influences environnementales dans l’explication des différences entre enfants est toutefois moins claire. En effet, certaines études ont trouvé que l’environnement commun contribuerait significativement aux SA (Eley & Stevenson, 1999a; Kendler, Gardner, Annas, et al., 2008) et aux SD (Eley & Stevenson, 1999a). Au contraire, d’autres ne détectent pas de contribution significative de l’environnement commun, l’ensemble de la variance non attribuée à l’héritabilité l’étant donc à l’environnement unique (Brendgen et al., 2009; Brendgen et al., 2013; Lau et al., 2007).

Non seulement la contribution relative des différents facteurs a été mesurée pour les SA et les SD, mais l’implication de ces facteurs dans leur association a aussi été l’objet d’études. La plupart d’entre elles ont utilisé des échantillons d’adultes. En général, chez cette population, la covariation entre les SA et les SD s’explique par des facteurs génétiques communs aux deux types de symptômes (Hettema, 2008). Les résultats seraient comparables pour les études utilisant des données catégorielles (présence ou non de troubles anxieux ou dépressifs) et celles utilisant des données dimensionnelles (Middeldorp, Cath, Van Dyck, & Boosma, 2005).

La contribution des facteurs étiologiques à l’association entre les SA et les SD à l’enfance demeure toutefois plus controversée : d’une part, une base génétique commune importante à leur covariation ponctuelle est documentée par les résultats de plusieurs études (Eley & Stevenson, 1999a, 1999b; Thapar & McGuffin, 1997), mais aussi d’autre part, certains résultats indiquent que les SA et les SD auraient une étiologie génétique qui leur est spécifique à l’enfance (Waszczuk et al., 2014). Dans l’étude de Thapar & McGuffin, 1997, un modèle génétique montre que des facteurs génétiques communs sont responsables de 56% et 52% de la variance respective des SA et des SD dans leur échantillon de jeunes de 8 à 16 ans. Des facteurs génétiques additionnels spécifiques aux SD ont été identifiés (25% de leur variance), alors qu’aucun facteur génétique spécifique n’a été trouvé pour les SA. L’étiologie de la covariation entre les symptômes a également été attribuée à l’influence de l’environnement unique, mais elle explique dans une moindre mesure la variance de chaque phénotype (15% pour les SA et 14% pour les SD). De manière similaire, Eley and Stevenson (1999a) ont identifié que les facteurs génétiques sont responsables d’une proportion

substantielle de la covariation des symptômes chez les enfants de 8 à 11 ans (28% pour les garçons et 30% pour les filles). Les influences environnementales expliquent une plus grande portion de la covariation : le rôle de l’environnement unique semble un peu plus important que celui de l’environnement commun chez les garçons (46% et 26% respectivement), tandis que les deux facteurs expliquent des proportions similaires de variance chez les filles (36% et 34% respectivement). Waszczuk et al. (2014) ont plutôt trouvé que l’étiologie des SA et des SD est distincte dans leur sous-échantillon d’enfants de 8 à 10 ans.

Il apparait donc que les résultats concernant l’étiologie de l’association ponctuelle entre les SA et les SD divergent, non seulement quant à la nature de la contribution environnementale à cette association, mais également quant au rôle relatif des facteurs génétiques. L’absence de réplication ajoutée à certaines limites inhérentes aux études (grands intervalles de confiance, petit nombre de sujets dans chaque groupe, par exemple) limite la généralisation des résultats. De plus, dans les études documentant l’étiologie génétique et environnementale respective et commune des SA et des SD, les chercheurs regroupent les résultats de l’ensemble des enfants de l’échantillon pour rapporter des résultats couvrant la période de l’enfance. Lorsque les résultats associés à plusieurs temps de mesure sont rapportés, ceux-ci couvrent généralement une longue période du développement, ne permettant donc pas d’identifier si des processus étiologiques sont impliqués dans le développement rapproché des symptômes au cours de l’enfance même et qui pourraient expliquer l’inconstance des résultats antérieurs.

1.4.4 La contribution des facteurs étiologiques à l’association longitudinale entre les