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Chapitre 4 : Conclusion

4.3 Implications pour la pratique clinique

En plus de ses implications au plan de la recherche, la thèse apporte également des contributions au plan de la pratique clinique, notamment concernant le dépistage et la prévention. Compte tenu que les SA et les SD sont connus pour avoir des répercussions sur le plan du fonctionnement académique et social même à un niveau sous-clinique, (Boivin,

Hymel, & Bukowski, 1995; Duchesne et al., 2008; Coplan & Ooi, 2003), leur identification précoce pourrait permettre la mise en place d’interventions visant à prévenir leur intensification.

Premièrement, en ce qui a trait au dépistage, les contributions longitudinales entre les SA et les SD mises en évidence particulièrement dans le deuxième article de la thèse soulignent aux cliniciens la nécessité d’évaluer les deux types de symptômes lorsqu’un enfant en présente un des deux. En effet, comme les résultats indiquent que les SD seraient associés aux SA ultérieurs de manière plus constante que l’inverse, il apparait souhaitable d’évaluer systématiquement la présence de SA lors de l’évaluation d’un enfant présentant des SD et particulièrement lors des suivis ultérieurs. La thèse souligne également la pertinence d’outils rapides à administrer et ne comprenant qu’un petit nombre d’items pour évaluer la présence d’anxiété et de dépression, tels que ceux qui sont souvent utilisés en pratique clinique (p.ex. Child Behavior Checklist; Achenbach, 1991).

Deuxièmement, la thèse appuie l’idée selon laquelle l’anxiété et la dépression constitue des entités distinctes, tel que le propose le DSM-5 (American Psychiatric Association, 2013), mais souligne la présence de leur association. Cette association peut se traduire par une comorbidité fréquente entre les différents diagnostics d’anxiété et la dépression au niveau clinique, ce qui devrait être pris en compte pour le développement, le choix et l’application d’interventions.

Considérant la comorbidité entre l’anxiété et la dépression, certains soutiennent que l’utilisation de manuels ou de traitements psychologiques spécifiques à chaque diagnostic n’est pas toujours efficient et aisé à mettre en application dans un contexte d’intervention clinique (Craske, 2012). Dans le cas d’anxiété et de dépression primaires cooccurrentes, une approche transdiagnostique qui cible les points communs entre les différents diagnostics pour traiter les perturbations émotionnelles, cognitives et comportementales de l’anxiété et de la dépression pourraient être préconisée (Craske, 2012; Cummings et al., 2014; Kring & Mote, 2016). Ces points communs ciblés par une approche transdiagnostique réfèrent à la composante intériorisée qui a été mis en évidence dans le cadre de la thèse comme rendant compte de l’association, et donc probablement des mécanismes, à l’origine de l’association entre l’anxiété et la dépression. Plusieurs traitements transdiagnostiques basés sur une

adaptation de stratégies cognitives et comportementales ou sur des stratégies d’acceptation et d’engagement ont été présentés dans la littérature. Ces traitements tendent à avoir des effets positifs, mais n’ont pas obtenu jusqu’à maintenant des résultats supérieurs en présence de comorbidité comparativement aux traitements ciblant un diagnostic spécifique (Craske, 2012).

Dans un contexte de prévention, des interventions transdiagnostiques pourraient toutefois être plus avantageuses que des interventions visant spécifiquement les SA ou les SD, puisqu’ils pourraient cibler un plus grand nombre d’enfants. En ce sens, les résultats de la thèse permettent de suggérer que des interventions préventives puissent être instaurées dès le début de l’âge scolaire pour prévenir la chronicisation et l’amplification des symptômes à un niveau clinique. Ce constat est particulièrement pertinent pour les SA qui apparaissent moins stables au cours de la première moitié du primaire. Il pourrait s’agir d’une fenêtre d’intervention préventive optimale.

Un programme de prévention transdiagnostique nommé EMOTION a d’ailleurs été développé spécifiquement pour cibler les SA et les SD chez les enfants dans un format de groupe (Kendall, Stark, Martinsen, O'Neil, & Arora, 2013). Il inclut les composantes principales de traitements cognitivo-comportementaux spécifiques pour l’anxiété et la dépression qui sont supportés empiriquement (programme Coping Cat pour l’anxiété (Kendall & Hedtke, 2006) et le programme Taking ACTION pour la dépression (Stark et al., 2007). Ce programme de prévention propose des interventions généralement utilisées à la fois pour le traitement de l’anxiété et de la dépression, telles que la psychoéducation à propos des symptômes, la résolution de problème et la restructuration cognitive qui doivent être appliquées de manière flexible pour travailler sur les difficultés différentes des enfants présentant des SA et ceux présentant des SD. Le programme prévoit également l’application de stratégies d’activation comportementales et d’exposition pour cibler les comportements de retrait social et d’évitement qui peuvent être des facteurs de maintien tant pour les SA que pour les SD. Bien qu’une étude ait montré l’acceptabilité et la faisabilité de la mise en application de ce programme de prévention dans le contexte scolaire (Martinsen, Kendall, Stark, & Neumer, 2016), les résultats provenant d’études randomisées contrôlés concernant son efficacité ne sont pas encore disponibles (Patras et al., 2016).

Davantage d’études sur l’efficacité, mais également sur la mise en application de telles interventions dans le contexte québécois sont nécessaires. D’un point de vue de la santé publique, le développement d’interventions ciblant les difficultés intériorisées pourraient permettre d’économiser des ressources et du temps, tant pour les cliniciens que pour le bénéficiaires (Garber et al., 2016). De plus, les efforts de prévention pour réduire l’incidence de troubles mentaux pourraient contribuer à réduire les couts associés au recours ultérieur à des traitements prodigués en deuxième et troisième ligne (Martinsen et al., 2016).

4.3.2 Rôle des enseignants et importance de l’environnement scolaire

La thèse permet de mettre de l’avant la pertinence d’impliquer les enseignants pour le dépistage de l’anxiété et de la dépression chez les enfants. L’utilisation de ces informateurs qui changent à chaque année au cours du développement de l’enfant permet de tirer profit du fait qu’ils côtoient un grand nombre d’enfants et sont ainsi capables de les comparer. Les résultats ont montré que les enseignants étaient non seulement en mesure de rapporter des différences de fréquence de manifestations anxieuses et dépressives chez les enfants, et qu’il y avait un certain accord entre eux, mais également de bien discriminer ces deux types de symptômes. Ce constat est particulièrement intéressant dans une optique de dépistage où on souhaite l’identification d’enfants manifestant des niveaux plus préoccupants de SA ou de SD.

L’école pourrait donc être un milieu propice au dépistage précoce des enfants à risque de développer des difficultés liées à l’anxiété ou à la dépression, mais également un contexte favorisant la mise en place d’interventions de prévention pouvant cibler un grand nombre d’enfants. Les résultats de la thèse suggèrent, qu’outre les vulnérabilités génétiques, les expériences uniques vécues par les enfants contribuent substantiellement au développement de l’anxiété et de la dépression. On peut penser que le milieu scolaire où les enfants passent beaucoup de temps et les nombreuses expériences nouvelles qui y vivent, tant au plan scolaire qu’interpersonnel, font partie de ces expériences uniques. Le milieu scolaire est donc un environnement central pour la promotion de la santé mentale et l’accompagnement dans le développement d’outils pour gérer les stresseurs (Weare & Nind, 2011). Il a été montré que les interventions devraient être instaurées précocement pour aider les enfants à développer

s’étaler sur plusieurs années pour consolider les apprentissages et faire perdurer les effets de l’intervention (Weare & Nind, 2011). Le contexte scolaire serait donc un milieu idéal pour suivre des enfants en groupe sur plusieurs années pour leur offrir d’abord une intervention préventive plus intensive, puis un suivi, régulier ou non.

En ce sens, l’implication des enseignants pourrait également être mise à profit dans la mise en place d’interventions préventives dans le contexte scolaire. Une revue systématique de la littérature sur les programmes visant la promotion de la santé mentale et les interventions préventives en milieu scolaire a mis en évidence que les enseignants doivent être impliqués au cours de l’intervention pour que cette dernière soit viable dans le milieu scolaire et qu’elle affecte positivement la réussite scolaire (Weare & Nind, 2011). Comme l’ont souligné Martinsen et al. (2016), la réalisation de l’intervention par le personnel enseignant n’est pas nécessairement réaliste compte tenu du temps considérable que demandent la formation et les séances d’intervention, mais l’implication des enseignants dans la démarche de manière plus indirecte pourrait permettre aux enfants de bénéficier des renforcements de l’enseignant qu’ils côtoient au quotidien (Martinsen et al., 2016).