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1.20 POLYMORPHISMES, PHARMACOGÉNÉTIQUE ET PHARMACOGÉNOMIQUE

1.20.1 L'ÉPIGÉNÉTIQUE

Depuis la dernière décennie, une attention particulière fut portée vers un nouveau champ d'étude qui est issu directement du domaine de la génétique, soit l'épigénétique. L'épigénétique est l'étude de la transmission héréditaire de phénotypes qui se produit au-delà des changements dans la séquence d'ADN. Les mécanismes épigénétiques sont des facteurs génomiques flexibles qui peuvent changer la fonction du génome, entre autres suite à une influence exogène. De plus, ces mécanismes peuvent aussi fournir un substrat moléculaire qui permet la propagation stable des états d'expression des gènes d'une génération de cellules vers la suivante.

Plusieurs mécanismes épigénétiques furent récemment découvert, mais celle qui est la plus connue est la méthylation de l'ADN [134]. Celle-ci est représentée par une modification covalente de la chaîne d'ADN par un groupe méthyle, et ce principalement sur les cytosines qui sont suivis des guanines. Ce genre de modification est habituellement attribué à une inactivation

73 génique. La méthylation de l'ADN est également soupçonné de jouer un rôle dans le maintient de l'intégrité du génome. Le deuxième mécanisme épigénétique découvert fût l'altération des histones. Les modifications d'histones peuvent être diverses et incluent, entre autres: 1) méthylation, 2) acétylation, 3) phosphorylation, 4) ubiquitination et 5) sumoylation. Ces modifications changent l'interaction qu'ont les histones avec l'ADN. Conséquemment, une activation ou une répression de transcription pourrait être induite suite à une telle altération [135]. Le troisième mécanisme épigénétique reconnu est l'existence de courtes séquences en ARN (de l'anglais: microRNA ou miRNA ou miR) qui agissent comme des régulateurs de l'expression génique au niveau post-transcriptionnel [136]. La régulation de l'expression des protéines par les miRNAs est très complexe car plusieurs miRNAs différents peuvent cibler le même gène et plusieurs gènes différents peuvent être affectés par le même miRNA [136].

L'intérêt dans cette branche d'études provient du fait que, au-delà des variations en nucléotides entre divers individus, la variation épigénétique pourrait jouer un rôle dans le contrôle de l'expression génique et ainsi présenter un autre mécanisme pouvant expliquer des variations interindividuelles [137]. L'épigénétique semble représenter le lien critique entre le code génétique et l'expression phénotypique; un lien qui est sous une double influence, soit celle des facteurs génétiques et environnementaux.

Des données actuelles indiquent que des facteurs de risque cardiovasculaires pourraient influencer et remodeler le patron épigénétique [138]. À leur tour, les modifications épigénétiques pourraient contribuer aux maladies cardiovasculaires. L'épigénétique est intrinsèquement reliée à la génétique, puisque les modifications épigénétiques peuvent modifier l'expression des variations génétiques, de même que la variation génétique est l'un des déterminants de la

74 méthylation de l'ADN et des altérations des histones. Plus spécifiquement, des modèles animaux ont démontré que la méthylation d'ADN joue un rôle convaincant dans le développement de l'athérosclérose et des maladies cardiovasculaires. Des souris déficients en gènes codant pour des enzymes qui induisent la méthylation, tels que la DNMT (de l'anglais: DNA methyltransferases) qui établissent et répliquent la méthylation de l'ADN ou les MTHFR (de l'anglais: methylenetetrahydrofolate reductase) qui joue un rôle dans la genèse de donneurs du groupe méthyle, démontrent de l'hypométhylation de leur ADN. Cela se traduit par une expression accrue de médiateurs d'inflammation chez celles déficientes en DNMT [139] et une formation accrue des stries lipidiques aortiques chez celles déficientes en MTHFR [140]. Chez l'homme, l'hypométhylation semble être très prévalente au niveau de cellules musculaires lisses prélevées des plaques athérosclérotiques avancées [141]. À propos des modifications touchant les histones, la trichostatine A, un inhibiteur spécifique de l'histone deacetylase, augmente significativement la formation des stries lipidiques et l'infiltration des macrophages dans des lésions athérosclérotiques dans un modèle expérimental animal [142]. Turunen et al. [143] ont même suggéré que la dérégulation de modifications épigénétiques des histones pourrait s'avérer un mécanisme sous-jacent important dans le maintient d'un phénotype pro-inflammatoire au niveau des cellules musculaires lisses des vaisseaux chez des diabétiques.

L'épigénome, contrairement au génome, subit des changements dynamiques tout au long de la vie d'un organisme, qui pourraient entamer, contribuer à ou maintenir l'état d'une expression génique adaptative et/ou déviante. De plus, la fidélité de la méthylation de l'ADN suite aux réplications cellulaires n'est pas parfaite et se situe dans les environs de 97-99.9% par mitose [138]. Par ailleurs, la méthylation de novo se produit dans les cellules somatiques adultes dans jusqu'à 3-5% de mitoses, générant des changements épigénétiques additionnels [138]. Au courant

75 d'une vie d'un humain, un déclin longitudinal de la méthylation de l'ADN moyenne fût rapporté par Bollati et al. [144], tandis que Bjornsson et al. [145] ont constaté à la fois des pertes et des gains d'une telle méthylation au fil du temps, selon le locus étudié. Certains changements de la méthylation de l'ADN semblent aussi être influencés par des facteurs environnementaux, tels l'exposition aux polluants ou à la fumée secondaire [138] ou même par des facteurs stressants lors d'exposition in utero [146].

Globalement, l'étude de modifications épigénétiques est un domaine de plus intéressants, car ceux-ci pourraient dévoiler de nouveaux mécanismes pathologiques qui pourraient aider à expliquer comment l'environnement et les habitudes de vie imposent des profils d'expression génique aberrants, ce qui peut se traduire par un risque accru d'incidents cardiovasculaires. Cependant, le domaine cardiovasculaire n'est pas aussi avancé que d'autres (ex. domaine d'oncologie) en termes de recherche reliée à l'épigénétique. Conséquemment, beaucoup de questions restent sans réponse dans l'épigénétique cardiovasculaire.

Les études touchant l'épigénétique chez l'homme sont principalement basés sur des échantillons facilement disponibles, tels les leucocytes sanguins. En raison d'un rôle établi de l'inflammation et des leucocytes dans l'athérosclérose, et par extension diverses maladies cardiovasculaires, ce type de biospécimen représente un échantillon pertinent dans le domaine cardiovasculaire. Par contre, les marqueurs épigénétiques démontrent des divergences entre les tissues provenant d'un même organisme [138]. L'ampleur à laquelle les tissus périphériques, tels que les leucocytes, reflètent les signatures épigénétiques dans des tissus cardiovasculaires devra être établie dans les recherches futures. Deuxièmement, dans quelle mesure le patron épigénétique varie en fonction de l'âge, le sexe et l'ethnicité devra aussi être abordée.

76 Troisièmement, il sera important de mieux comprendre le regroupement familial du patron épigénétique, soit: comprendre quelles empreintes épigénétiques sont héritables et comment. Et finalement, il s'agit aussi de déceler si les signatures épigénétiques sont des épiphénomènes, des facteurs précurseurs ou faisant seulement parti de la pathophysiologie "naturelle" sans contribution intrinsèque.

L'épigénétique est un nouveau domaine d'étude excitant procurant un potentiel incroyable pour l'avancée de la science fondamentale dans plusieurs champs pathologiques, métaboliques, cellulaires, tissulaires, pharmacologiques, pharmaceutiques et physiologiques, entre autres, et ce dans plusieurs organismes divers. L'intérêt que la communauté scientifique y porte est clairement démontré par le nombre exponentiel de publications y référant qui furent publiées depuis la dernière décennie. Cependant, même si la génétique est très liée à l'épigénétique, cette dernière devrait dorénavant être considérée comme un champ d'étude à part, et non comme une ramification de la génétique. Conséquemment, même si l'épigénétique pourrait influer sur les portées d'études génétiques, trop peu est pour l'instant connu pour pouvoir élaborer davantage.