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L’émergence du modèle agro-exportateur almérien

Sur les douze déclarations d’intérêt national entre 1940 et 1945, seulement trois plans généraux de colonisation sont acceptés, dont celui du Campo de Dalías

2. Organismes dotés d’une personnalité juridique propre dont le périmètre d’action est défini en termes géographiques, elles sont la première manifestation d’une planification régionale de l’aménagement du territoire.

3. Le nombre de parcelles agricoles est divisé par 7,5 entre 1954 et 1975 (Bosque Maurel, 1984). 4. Institut national de réforme et de développement agricole (Instituto de reforma y desarrollo agrario). 5. L’attractivité grandissante des régions du Nord (comme la Catalogne) accélère la chute du solde migratoire, négatif mais contenu jusque dans les années 1910 : il passe d’environ 2 000 personnes au cours de la période 1901-1910, à près de 9 000 dans les années 1930 (Sánchez Picón, 2005).

6. En fonction du statut des travaux « d’intérêt général », « d’intérêt commun » ou « d’intérêt agricole », les subventions de l’INC sont respectivement de 100 %, 40 % et 30 % du montant total.

(environ 33 000 ha) (décret du 7 juillet 1941). L’INC découpe la zone en six sous-secteurs, suivant les courbes de niveau, et réalise 120 puits de grande taille (qui s’ajoutent aux 79 en fonctionnement) permettant d’obtenir un débit total théorique de 4 555 l/s. Entre 1953 et 1978, les périmètres I, II et III sont mis en eau, selon une procédure en trois étapes : (i) délimitation de la zone et définition des objectifs ; (ii) planification des aménagements et des infrastructures à réaliser ; (iii) partition des périmètres en parcelles (moyenne de 5 000 m2). L’eau pompée est distribuée par gravité au moyen de canaux (seguias) jusqu’aux parcelles à irriguer. Comptabilisée en heures, la consommation devait être payée à l’INC-Iryda (CRA, 1997).

Les réalisations de l’INC, relais de l’initiative publique, modifient de manière durable le contexte hydro-géographique local (Pérez Picazo et Lemeunier, 2000). Néanmoins, le dynamisme de l’administration ne suffit pas à expliquer à lui seul la mise en place des structures agraires. En effet, selon les recensements agricoles successifs, seulement 600 colons et 110 familles ont été implantés sur le territoire par l’INC pour un total de 1 600 ha (Jiménez Díaz, 2011), alors que 4 000 exploita-tions agricoles sont apparues entre 1962 et 1982 dans les seules communes de Dalías, Félix, Roquetas et Vícar (de los Llanos, 1990). Via l’INC, l’État a joué le rôle de catalyseur de l’initiative privée : faire émerger le modèle et lui donner suffisamment d’attrait pour qu’il puisse s’auto-entretenir.

Chacun des trois piliers technologiques du modèle présente un caractère hybride entre innovation technologique plus ou moins radicale et savoir paysan, à la diffé-rence du modèle hollandais concurrent (von Elsner et al., 2000a, 2000b ; Berkers et Geels, 2011 ; Korthals Altes et van Rij, 2013).

Premièrement, à partir de la fin des années 1950, se diffuse la technique de

l’ena-renado (« ensablé »), qui vise à construire un sol arable grâce à la superposition de

plusieurs couches à partir du sol nu : terre argileuse sédimentaire, fumier et terreau, puis sable. Cette pratique, qui existait depuis le xixe siècle, était inconnue de l’INC-Iryda qui ne la redécouvre qu’en 1956 (observation fortuite d’une anomalie). L’expérience conduite sur 20 ha révèle qu’elle permet de répondre au problème de la salinité de l’eau et d’augmenter les rendements (Fernández Lavandera et Pizarro Checa, 1981). Aujourd’hui encore, même si la culture hors serres reste minoritaire dans la province, le sol est perçu comme un substrat auquel il est indispensable d’apporter tous les nutriments nécessaires.

Tableau 6.1. Évolution de la superficie des exploitations sous serre de la province d’Al-meria (en ha)

Année Superficie Année Superficie

1963 0,05 1994 18 261 1971 1 114 1995 18 969 1976 3 440 2000 24 764 1980 7 150 2003 26 958 1981 8 250 2007 25 983 1985 10 905 2012 28 576

Deuxièmement, les premières serres en plastique font leur apparition en 1963 avec l’installation par l’INC d’une serre test de 500 m2 (Rivera Ménendez, 2000 ; entretiens). Les résultats en termes de rendements par rapport à l’air libre sont éloquents : ils sont environ deux fois supérieurs pour la tomate (+ 113 %), près de quatre fois supérieurs pour le concombre (+ 284 %) et près de cinq fois supé-rieurs pour le poivron (+ 366 %) (ibid., 2000 : 154). Aujourd’hui, les deux tiers des serres espagnoles se situent en Andalousie, et 80 % sont concentrées dans la province d’Almeria pour une superficie totale de 28 576 hectares en 2012, dont près de 20 500 hectares rien que pour le Campo de Dalías (Capma, 2013). Le type parral (pergola) – dit type « Almeria » –, aux armatures initialement en bois et au toit plat, est aujourd’hui encore prédominant dans la zone. Même si elles restent relative-ment simples, ces structures et les matériaux plastiques utilisés ont progressiverelative-ment acquis un plus haut niveau de technicité (armatures en métal, ventilation, etc.). Troisièmement, l’irrigation localisée (goutte-à-goutte) s’impose rapidement et remplace l’irrigation gravitaire qui dominait jusqu’en 1976 (Losada et López-Gálvez, 1997 ; entretiens). L’irrigation localisée doit être associée à un système de mise en pression de l’eau et implique de transformer les infrastructures d’approvi-sionnement (remplacer les seguias par des conduites fermées). Enfin, dès les années 1990, la « fertigation » (association de fertilisants à l’eau d’irrigation) assistée par ordinateur commence à gagner les exploitations, pour être aujourd’hui la norme.

Figure 6.1. Rendements, profitabilité, rentabilité de la production agricole à Almeria et jalons technologiques (1975-2012)

Indice 1975 = 100. Baisse des rendements après 1999 principalement liée à deux virus : celui véhiculé par la mouche blanche (TYLCV) et celui dit des « veines jaunes » (CVYV).

Sources : d’après La Voz de Almería (2000) et Fundación Cajamar (2011-2013).

Ces trois piliers technologiques, associés à d’autres innovations, ont permis d’élever considérablement le niveau des rendements agricoles et de contenir la tendance à la baisse de la rentabilité, liée à la fois à la concurrence accrue des producteurs étrangers

(Maroc, Égypte, Israël, etc.), à la monopolisation de la rente par les intermédiaires, en particulier les grands distributeurs, et à l’augmentation des charges d’exploitation : coûts des intrants, notamment d’origine pétrolière, et de la main-d’œuvre.

La période qui débute aux alentours des années 1950 et s’étend jusque dans les années 1980 correspond à l’opérationnalisation du « rêve régénérationniste » (López-Gunn, 2009). Il s’agit de la phase de régime d’un mode d’usage de l’eau particulier que nous qualifions « d’hydrauliciste » (Buchs, 2010). Justifié par un « discours pénurique », ce mode d’usage vise – via l’ingénierie hydraulique – à réduire les déséquilibres hydro-logiques et à soutenir une politique économique et territoriale volontariste favorisant notamment l’agriculture irriguée à vocation exportatrice (modèle californien). Les infrastructures hydrauliques se multiplient afin d’assurer l’augmentation de la produc-tion d’eau mobilisable pour la satisfacproduc-tion d’usages finaux et de recomposer le territoire national (colonisation interne par l’INC-Iryda). Elles accompagnent l’évolution et la diffusion des nouvelles techniques agronomiques caractéristiques du modèle écono-mique local en émergence. Les nouvelles normes sociales achèvent de centraliser la poli-tique de l’eau, notamment par la révision en 1942 du rôle des Confédérations syndicales hydrographiques privées des représentants des usagers et par la création des commis-sariats des eaux7. Sous l’égide de la Direction générale des ouvrages hydrauliques, ces organismes concrétisent la mise en place d’un directoire d’ingénieurs d’État.

Vers un nouveau mode d’usage de l’eau

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