• Aucun résultat trouvé

Entendu depuis le sens commun, le patrimoine comprend aujourd’hui une diversité d’institutions - monuments, sites (historiques, archéologiques), paysages, musées - et une pluralité d’objets matériels ou immatériels - œuvres d’art, objets du quotidien, traditions, 6etc. Les années 80 ont été marquées par une étendue de la notion et de son usage. Peu à peu, il est devenu un enjeu international. En 1973, le sommet de Copenhague fait apparaître les termes « identité européenne » ; en 1982, la CEE définit la notion de « patrimoine communautaire », mais l’on retient surtout l’officialisation d’un héritage culturel commun avec l’apparition en 1972 de la notion de patrimoine universel par l’UNESCO - créée pour sa part en 1945.

Cette période d’expansion du patrimoine sur la base d’une conscience internationale est aussi et surtout caractérisée par la volonté de prendre en compte les publics. Il ne s’agit plus uniquement de conserver ou de restaurer - base de l’impératif ancien post-révolutionnaire - mais également de communiquer envers des publics comme en témoigne Patrice Béghain à propos des musées :

« Le musée est devenu un modèle pour d’autres institutions culturelles, comme les bibliothèques et les archives qui, désormais, ne se contentent plus de conserver […], mais s’attachent aussi à susciter par des expositions, des animations, des publications, l’intérêt du public. » (Béghain, 1998 : 23)

Des services spécialisés s’ouvrent ainsi peu à peu dans les institutions patrimoniales afin de penser ces nouvelles formes de communication et de proposer des dispositifs adaptés. Progressivement donc, les programmations artistiques et culturelles et les politiques de médiation culturelle ont pris une place considérable dans les projets des lieux de patrimoine. Porté par les politiques de démocratisation culturelle inculquées par le Ministère de la Culture, le nouvel enjeu consiste à susciter et renouveler l’intérêt des visiteurs. Les études à propos des publics se développent7 et les espaces sont repensés dans ces lieux qui deviennent peu à peu des « équipements polyculturels » (Meunier, Luckerhoff, 2012 : 1488). Le Plan patrimoine de mise en

       

6 Depuis 2003, le patrimoine culturel immatériel est considéré comme une catégorie de patrimoine à part entière par la convention adoptée par l’UNESCO.

7 En 1973, le Ministère de la Culture et de la Communication lançait la première enquête des pratiques culturelles des français, qui sera renouvelée à peu près chaque décennie - ces études datent respectivement de : 1973, 1981, 1988, 1997, 2008).

8 Les auteurs définissent ces lieux ainsi : « Les grands musées modernes se transforment en des grands équipements polyculturels, insérés dans l’économie marchande par l’intermédiaire d’une zone de chalandise […]. Au tempo rapide du renouvellement des expositions temporaires - deux ou trois par an - succède le rythme haletant du musée devenu

valeur des grands sites archéologiques lancé en 1987 - dont le site de Glanum, lieu choisi pour la présente enquête, faisait partie - est aussi une marque de cette volonté de repenser les lieux de patrimoine.

S’intéresser au monument ou au patrimoine d’un point de vue scientifique consiste à essayer de comprendre le sort réservé à certains objets ou lieux plutôt qu’à d’autres, les raisons de ces considérations exceptionnelles et ce qu’elles disent de notre existence. Du reste, Dominique Poulot rappelle qu’orienter son attention sur le fait patrimonial revient à se poser trois questions :

« celle de la destinée générale des œuvres et des objets matériels, celle de la représentation d’une collectivité, enfin, celle de l’herméneutique ou de l’interprétation du passé » (Poulot, 1993 : 1601).

Jean Davallon propose justement de s’intéresser aux processus sociaux à l’œuvre dans la construction de ces objets. Je montrerai tout d’abord que le monument considéré dans une logique patrimoniale naît de la construction d’un point de vue inscrit dans un processus de filiation inversée (Davallon, 2006), puis, que le culte de ses valeurs défini par Aloïs Riegl joue un rôle déterminant au moment de l’appropriation du monument par des sujets (Riegl, op.cit.).

1) La patrimonialisation comme processus de filiation inversée

Depuis qu’elle se pose, la question patrimoniale n’a cessé d’intéresser la communauté scientifique suscitant des points de vue très différents9. L’on voit ainsi apparaitre deux tendances :

- celle des spécialistes de l’objet qui élaborent les savoirs historiques10. Il s’agit principalement d’historiens, historiens de l’art et archéologues, entre autres, pour les plus éloignés

       

machine polyculturelle, insérée dans l’espace de chalandise marchande et redoublée dans l’espace des nouveaux médias par un site appelé à se transformer et à vivre quasi au jour le jour pour bien démontrer qu’il est débordant d’activités » (Ibid).

9 Les recherches et financements se sont amplifiés à partir des années 70 comme c’est le cas actuellement avec les médias informatisés et la culture de l’écran. La plupart des écrits scientifiques à propos du patrimoine date de la période située entre 1970-1990.

10 Certains d’entre eux manifestent d’ailleurs quelques inquiétudes quant aux conséquences négatives que pourrait avoir l’expansion de la notion - peur d’une dévalorisation ou « dénaturation » de ces objets et œuvres ancien[nes] notamment. Par exemple, Antoine de Quatremère de Quincy voyait dans le musée un lieu de perte de sens et de « véritable cimetière des arts » : « un contresens, le résultat d’un abus de pouvoir, une sorte de viol de la réalité,

Antoine Quatremère de Quincy, Aloïs Riegl (op.cit.) ou parmi les plus actuels Françoise Choay (Choay, 1999 [1992] ; 2009), Dominique Poulot (Poulot, 1997 ; 1998 ; 2001), Edouard Pommier (Pommier, 1995) Jean-Pierre Babelon on encore André Chastel (Babelon, Chastel, 2008).

- celle d’autres scientifiques qui analysent le patrimoine comme un fait social, économique ou encore communicationnel - c’est-à-dire des chercheurs en sciences humaines (économistes, chercheurs en SIC, sociologues, etc.), par exemple, Xavier Greffe (Greffe, 2003), Henri-Pierre Jeudy (Jeudy, 1990), Michel Rautenberg (Rautenberg, 2003) ou encore Jean Davallon (Davallon, 2006).

Jean Davallon propose d’ailleurs de différencier ces deux approches de la sorte : normatives pour les premières et fonctionnelles pour les secondes (Davallon, 2006 : 48). Bien que les points de vue disciplinaires soient fondamentaux dans l’archéologie du concept, cette étude se situe donc dans la dernière approche.

À l’origine des difficultés ressenties par les uns les autres pour concevoir le patrimoine, l’auteur perçoit un amalgame des régimes de temporalité. Jean Davallon insiste ainsi dans son ouvrage sur la nécessité de dépasser une conception linéaire du temps et de la transmission du patrimoine. Non seulement, l’auteur invite à cesser de croire que les objets de patrimoine le seraient par nature, transmis en tant que tel par les hommes du passé pour nous, hommes du présent ; mais il montre aussi que le rapport traditionnel entre passé et présent, dans lequel l’un succèderait à l’autre, serait inversé au moment de la patrimonialisation. C’est ainsi que sa principale hypothèse est de faire reposer ces processus de construction de l’objet patrimonial sur une logique de « filiation inversée »11, qu’il définit comme :

« une transmission qui s’opère à partir de ceux qui reçoivent et non de ceux qui donnent. » (Davallon, 2002)

En effet, c’est nous qui nous positionnons comme héritiers de ces œuvres, lieux ou objets culturels et qui décidons de leur donner le statut de patrimoine, de là viendrait notre obligation de

       

puisqu’il consistait à extraire de leur contexte naturel des œuvres d’art inscrites dans une réalité sensible avec laquelle elles formaient sens » (Béghain, op.cit. : 24).

les conserver et de les transmettre aux générations futures. Vu de la sorte, le patrimoine prend un tout autre sens que celui d’héritage, comme nous le connaissons dans le domaine familial par exemple, dans lequel les biens se transmettent de génération en génération. Ces objets patrimoniaux collectifs, retirés du circuit des échanges marchands12, porteraient en eux une valeur symbolique. Quelle relation construisons-nous avec le passé à partir du présent en nous revendiquant de certaines sociétés anciennes ? Pensé dans sa dimension symbolique, le patrimoine devient un point de vue, c’est dans cette optique que l’auteur déconstruit le processus de patrimonialisation en six étapes de la découverte de l’objet comme « trouvaille » à l’obligation de transmettre aux générations futures13. Après avoir défini l’exposition comme fait de langage14

(Davallon, 1999), Jean Davallon explore la dimension communicationnelle de l’objet patrimonial en s’intéressant à sa double caractéristique à la fois support de médiatisation et opérateur de médiation. De la sorte, le patrimoine devient un fait communicationnel à analyser c’est-à-dire :

« un processus dans lequel l’objet patrimonial est le support d’une relation entre celui qui le met en valeur et le visiteur (comme un support de médiatisation), tout en étant l’opérateur par lequel se construit un lien entre nous qui en avons l’usage et ceux qui l’ont produit (c’est-à-dire opérateur de médiation). » (Davallon, 2006 : 16).

       

12 C’est la raison pour laquelle Jean Davallon a recourt à la « logique du don » - expression empruntée cette fois à Maurice Godelier.

13 Les six étapes du processus de patrimonialistaion définies par Jean Davallon sont : la découverte de l’objet comme « trouvaille » - expression empruntée cette fois à Umberto Eco - : réapparition de l’objet dont personne ne connaissait auparavant l’existence ; la certification de l’origine de l’objet : cette deuxième étape consiste à reconnaître ce qu’Aloïs Riegl définit comme la valeur historique de l’objet. Celle-ci repose sur un savoir scientifique qui permettra de certifier son monde d’origine ; l’établissement de l’existence du monde d’origine : cette étape est étroitement liée à la précédente puisqu’il s’agit ici d’établir l’authenticité de ce monde d’origine et de « rétablir ainsi une continuité entre nous et ce monde d’origine » ; la représentation du monde d’origine par l’objet : c’est le moment où le statut social de l’objet change car ces réalités matérielles deviennent des traces du passé ; la célébration de la trouvaille de l’objet par son exposition : il s’agit du moment où les publics viennent célébrer la trouvaille de l’objet par la visite et « célébrer ce lien ténu, tout à la fois incertain et puissant, qui nous unit à d’autres humains auxquels nous nous identifions, puisque nous pouvons toucher des yeux, comprendre et être émus par ce qu’ils ont fait ; enfin, l’obligation de transmettre aux générations futures : cette dernière étape du processus de patrimonialisation relève de la responsabilité que nous avons vis-à-vis de ces objets c’est-à-dire notre obligation de les conserver et de les transmettre. De plus, une rupture soit une disparition de l’objet et/ou de son contexte précède ces étapes (Davallon, 2006 : 136).

14 Pour l’auteur, la mise en valeur du patrimoine comprendrait trois types d’opérations : une mise en communication, une mise en exposition enfin, une mise en exploitation. Les deux premiers types d’opération formeraient la médiatisation c’est-à-dire la prise en charge de l’objet patrimonial par des dispositifs destinés à le rendre encore plus présent au visiteur par le biais de sa « mise en scène ». La mise en communication recouvrerait « l’ensemble des procédures qui prétendent installer cette relation entre public et objet, tout ce qui doit permettre au visiteur d’aller vers l’objet et d’entrer en rapport avec lui ». La mise en exposition, quant à elle, nécessiterait « une intervention sur l’objet dans l’objectif d’en rendre le sens plus facilement saisissable et appropriable par le visiteur ». Enfin, la mise en exploitation concernerait la dimension commerciale économique faisant de l’objet patrimonial un produit. (Davallon, 1999 : 36)

Cette modélisation, associée à une logique de filiation inversée, fut l’un des points de départ fondamentaux de l’approche du monument et de sa patrimonialisation développée dans cette recherche. Comment l’étude de la relation entre enfants et monuments fondée sur la fiction peut-elle interroger ce processus ?

La théorie développée par Jean Davallon est très éclairante pour comprendre la façon dont notre société produit et définit son propre patrimoine. Elle permet notamment de comprendre l’origine des discours politiques produits autour de la question patrimoniale et reposant sur des logiques de conservation, préservation, sauvegarde, médiation et transmission. Ces derniers ont toute leur importance car ils conditionneront, en partie, l’appropriation. Cependant, dans le processus ainsi défini, il s’agit d’autorités scientifiques qui attribuent le statut patrimonial en attestant que tel ou tel autre objet ou lieu peut être reconnu comme tel. Nous pensons qu’il s’agit d’une forme de patrimonialisation et d’appropriation mais que celle-ci ne peut concerner tous les individus. En effet, les enfants par exemple, s’approprient quotidiennement des objets, des paysages, des monuments qu’ils patrimonialisent à leur façon en faisant intervenir d’autres éléments - notamment fictionnels - dépassant ainsi les attestations émises par des autorités scientifiques. Il paraît difficile d’inscrire les enfants dans le processus de patrimonialisation tel qu’il est proposé par l’auteur dans lequel les étapes sont orchestrées par des adultes, qu’il s’agisse de spécialistes de l’objet - comme l’archéologue qui, grâce à des techniques de datation carbone 14 certifie l’origine de la trouvaille et confirme l’existence du monde d’origine , de professionnels du développement culturel ou de la médiation auprès des publics - comme le médiateur culturel qui rend accessible le contenu historique lié à l’objet - ou d’adultes accompagnateurs d’enfants - par exemple, les parents qui emmènent leur enfant visiter. De fait, les enfants n’interviennent pas pour dire ce qui fera partie du patrimoine ou non dans cette forme de modélisation. Or, comme je le montrerai dans le dernier chapitre, les jeunes patrimonialisent les monuments à leur manière, notamment en fictionnalisant certaines figures spatiales. À l’instar du travail de thèse conduit par Anne Watremez auprès des habitants avignonnais rencontrés lors d’entretiens itinérants (Watremez, 2009 ; 2010) ou encore de celui de Céline Verguet mené auprès des niçois (Verguet, 2013), j’identifierai - entre autre - dans les discours des enfants les formes singulières que peut prendre la patrimonialisation d’un point de vue énonciatif15. Dans sa modélisation, Jean Davallon écarte cette dimension populaire du patrimoine, autrement dit, celle concernant la production du patrimoine par tout sujet au moment de son appropriation et qui ne correspondrait pas

       

15 Dans sa recherche doctorale, Céline Verguet a analysé comment les habitants de la ville de Nice - notamment ceux du quartier de la Libération - qualifier leur propre patrimoine en caractérisant dans leur quotidien des objets de l’espace urbain, phénomène que l’auteur analyse comme une « énonciation patrimoniale ». (Ibid)

forcément aux éléments, objets, caractéristiques définis via ce processus. C’est également dans cette mesure que les industries culturelles et plus largement la culture triviale interviennent. L’approche développée ici montrera ainsi des chemins d’interprétation possibles empruntés par les enfants dans le présent par rapport à ce qu’ils estiment être leur passé, leur patrimoine. Il s’agit bien d’une co-production de sens du patrimoine. En d’autres termes, cette considération communicationnelle est très proche de celle développée par Jean Davallon et peut peut-être la compléter. En effet, je préfère envisager les différentes étapes de la patrimonialisation dans une circulation de savoirs, une trivialité du monument, dans laquelle les enfants peuvent à leur tour devenir producteurs de patrimoine. Cette recherche veut comprendre ce qui opère dans la relation s’établissant entre monuments et enfants notamment grâce à la fiction. Que traduit à la fois « la mise en valeur » du monument - « sa présentation-média » - et sa trivialité ? Comment se re-crée le lien social au patrimoine ? Peut-il se transmettre d’adultes à enfants comme se transmettent les bonnes manières, comme un usage social respectueux de l’intégrité de l’objet16 ? L’étude de la fiction pose de réelles questions en ce sens et la notion de filiation inversée y est directement impliquée car la fiction intervient justement pour instaurer la relation à l’autre qui n’est plus. Cet effet d’instauration d’une continuité temporelle et spatiale, qui prend forme dans la logique de « filiation inversée » par l’objet patrimonial, se trouve actualisé par la fiction. Cette dernière participe ainsi de la médiatisation envers des publics en proposant une :

« façon nouvelle de continuer son existence symbolique [celle du patrimoine] » (Davallon, 2006).

En effet, cette dernière agit non seulement dans la transmission sinon dans la production de savoirs, de valeurs symboliques et patrimoniales. C’est justement ce système de valeurs qu’il s’agit de comprendre un peu mieux à présent.

       

16 Jean Davallon propose cette réponse à la question de la transmission : « C’est donc bien un usage social et une transmission symbolique qui sont instaurés, par la reconnaissance du caractère de patrimoine « collectif » d’un objet, comme deux nouvelles règles constitutives de l’institution du patrimoine. […] Ce sont les deux raisons qui sont admises par tous comme justifiant l’obligation de garder les choses de patrimoine. […] Du côté du public, cela implique que l’usage ne soit pas de type consommatoire, entendons par là qu’il préserve l’intégrité de l’objet comme chose à garder. […] Cette transmission du patrimoine collectif est inscrite dans un espace, un univers, un futur transgénérationnel ouvert, dans lequel « l’héritier » est hors de portée, dans une position inatteignable, impensable, selon une filiation totalement hypothétique, suspendue. » (Davallon, 2006 : 151)

2) Le système de valeurs rieglien : une approche communicationnelle du monument

Le processus de patrimonialisation repose sur l’attribution de valeurs à certains objets plus qu’à d’autres. De fait, nous sommes dans l’impossibilité de tout conserver et donc d’attribuer la même valeur à tous les objets qui nous entourent. Quelles sont ces valeurs ? Sur quoi reposent leurs régimes d’attribution et quelles relations entretiennent-elles entre elles ? Dans le but de développer la politique de conservation et de restauration qui lui avait été confiée, Aloïs Riegl - nommé inspecteur des monuments historiques en Autriche en 1903 - se livre à une analyse du culte des monuments devenue fondamentale dans le domaine du patrimoine (Riegl, op.cit.)17. L’historien de l’art s’emploie à identifier et définir les valeurs qu’il a répertoriées dans le culte que nous avons aux monuments. Leur particularité est d’être symboliques - donc non marchandes. L’auteur livre ensuite une analyse des relations qui pourraient exister entre elles ; en cela d’ailleurs, Jean Davallon évoque un véritable système de valeurs rieglien qui :

« pointe la dimension symbolique du patrimoine dans ce qui fait les caractéristiques même de la valeur d’ancienneté : son rapport à la temporalité et au public. » (Davallon, 2006 : 59).

L’apparition du monument historique comme celle des institutions muséales trouve ses origines dans le contexte de la destruction massive révolutionnaire. Cette époque est caractérisée par la naissance des logiques de préservation et de conservation venant en réponse à la destruction. Elle se concrétise par l’ouverture des premiers musées - le nouveau Louvre national ouvre le 10 août 1793 - et la transformation de bâtiments fonctionnels de la Bourgeoisie ou du Clergé en présentoirs de collections18. Cependant, cette précipitation conservatrice induit rapidement des questions liées à la patrimonialisation et aux valeurs associées à ces objets comme le souligne, entre autres, André Chastel à propos des musées :

« Tous ces établissements recueillent des fragments mal identifiés, des vestiges d’édifices dont on commence à regretter la disparition, des tableaux de toute origine. On regroupe dans ces reposoirs d’un nouveau genre, qui sont tous des édifices « désaffectés », ce qu’on arrache à la destruction. » (Chastel in Nora, 1997 [1993] : 1446)

       

17 Cette analyse sera publiée sous le titre Le culte moderne des monuments(Riegl, 1984 [1903], titre original : Der moderne Denkmalkultus).

18 « On transforma dès la monarchie de Juillet puis sous le second Empire, hôtels, couvents, sanctuaires en présentoirs plus ou moins organisés de collections : l’hôtel Cujas à Bourges, Unterlinden à Colmar, sans oublier l’étonnant bric-à-brac romantique installé par Alexandre Du Sommerard à l’hôtel de Cluny (inauguré en 1844).» (Chastel in Nora, 1997 [1993] : 1446)

Engagé dans des problématiques de conservation et de préservation similaires, Aloïs Riegl fonde en premier lieu son propos sur le concept de monument en dissociant le monument intentionnel, édifié dans l’intention de se rappeler en tant qu’ « œuvre dotée d’une valeur de remémoration » 19

(Riegl, op.cit. : 40) ; du monument artistique et historique, « invention subjective du spectateur moderne » (Ibid)20. Du reste, Françoise Choay rappelle l’importance de cette distinction dans l’introduction de l’ouvrage21 :