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Section 2 - L’unification continue des règles de conflit de lois

A) L’élaboration prospective de règles d’acceptation en droit de la famille

152. S’agissant de l’élaboration de règles fondées sur la reconnaissance mutuelle en matière familiale, nos travaux antérieurs420 proposaient de prendre appui, techniquement, sur la méthode de la reconnaissance des situations développée en droit international privé contemporain421 et largement étudiée ces dernières années422. C’est essentiellement sur le fondement de la jurisprudence de la Cour de justice en matière de liberté de circulation des personnes qu’il avait été proposé, à titre prospectif, de s’orienter vers la mise en place de règles de reconnaissance de certains éléments du statut personnel423. Un tel positionnement apparaît en phase avec les valeurs de liberté et d’égalité des citoyens dans l’Union, l’objectif de ces règles étant d’assurer une seule et même identité aux personnes en circulation, alors même que les droits nationaux sont très divers sur les composantes du statut personnel. Il s’agirait ainsi d’allier pluralisme et tolérance dans l’espace social européen. Tel pourrait être le cas en matière de nom patronymique424 et de mariage425, ces deux exemples se trouvant confortés par des

419 C’est également à cette réflexion prospective que nous invite la participation à un projet européen de recherche (en cours) sur le thème « Recognition of Status in the EU - Study on the Cross-border Recognition or Acceptance of Legal Situations », (dir.) S.L.GÖSSL, Univ. Bonn & M.MELCHER, Univ. Graz (rapport français en préparation).

420 En ce sens, v. M.HO-DAC, La loi du pays d’origine en droit de l’Union européenne, op. cit., n° 727.

421 Sur cette méthode, v. M.HO-DAC, La loi du pays d’origine en droit de l’Union européenne, op. cit., n° 393 et s. (et les références citées).

422 De nombreux travaux doctoraux ont développé cette perspective ultérieurement : v. notamment en France et en Belgique A. BILYACHENKO, La circulation internationale des situations juridiques, thèse, Université de La Rochelle, 2016 ; S.FULLI-LEMAIRE, Le droit international privé de la famille à l’épreuve de l’impératif de reconnaissance des situations, thèse, Université Paris 2, 2017 ; A.PANET, Le statut personnel à l'épreuve de la citoyenneté européenne : contribution à l'étude de la méthode de reconnaissance mutuelle, thèse, Université Lyon 3, 2014 ; S.PFEIFF, La portabilité du statut personnel dans l'espace européen, Bruylant, 2017.

423 V. M.HO-DAC, La loi du pays d’origine en droit de l’Union européenne, op. cit., n° 724 et s. ; « L’adaptation du droit international privé aux exigences du marché intérieur », spéc. p. 423 à 424 ; « Le principe de reconnaissance mutuelle et la loi du pays d’origine », op. cit., spéc. p. 47 à 49. De nombreux travaux postérieurs ont développé cette perspective, v. les références citées supra note (422).

424 Sur les contours d’une telle règle, v. M. HO-DAC, La loi du pays d’origine en droit de l’Union européenne, op.

cit., n° 736 et s. La portée pratique d’une telle règle ne devrait pas être cantonnée à l’attribution du nom à la naissance. Pour une application dans le cadre des effets du divorce, M.CRESP (coord.),J.HAUSER,M.HO-DAC

(coord.),S.SANA-CHAILLE DE NERE), Droit de la famille – Droit français, européen, international et comparé, op. cit., spéc. Question (76). Notons qu’une partie de la doctrine plaide plutôt pour la mise en place d’une règle d’autonomie offrant un choix de loi encadré aux personnes privées : en ce sens, M. LEHMANN, « What’s in a Name?

– Grunkin-Paul and Beyond », Yearbook of PIL, 2008, p. 135-164.

425 Sur les contours d’une telle règle, v. M. HO-DAC, La loi du pays d’origine en droit de l’Union européenne, op.

cit., n° 743 et s.

arrêts récents de la Cour de justice426, autant que par de nombreuses propositions doctrinales427. Il doit également être relevé que, ces dernières années, plusieurs auteurs ont développé de manière approfondie et ambitieuse des voies méthodologiques générales en vue d’assurer la circulation du statut personnel au sein des États membres, au bénéfice de l’ensemble des individus dont le statut personnel aurait été, dans telle ou telle de ses composantes428, cristallisé par l’intervention d’une autorité d’un État membre429.

153. A côté de la reconnaissance des situations, d’autres options méthodologiques doivent être envisagées en vue d’assurer la circulation du statut personnel des individus dans l’Union430 et, par ricochet, dans l’élaboration de règles européennes d’acceptation431. Un argument important milite en ce sens : l’absence de consécration réelle432 par le droit dérivé de l’Union de la méthode de la reconnaissance des situations, voire même une certaine défiance à son égard qui invite à ne pas se cantonner à cette voie méthodologique433. C’est ce qui ressort notamment des textes récemment adoptés en matière de successions internationales434 et de circulation de

426 En matière de nom, CJUE, 8 juin 2017, Freitag, C-541/15 et en matière de mariage, CJUE, 5 juin 2018, Coman, aff. C-673/16, préc.

427 S’agissant de la reconnaissance du nom patronymique par exemple, un groupe de travail au sein de l’Association fédérale allemande des officiers de l’état civil a rédigé une proposition de règlement européen relative aux règles de droit international privé en matière de nom : A.DUTTA (et al.), « Ein Name in ganz Europa.

Entwurf einer Europäischen Verordnung über das Internationale Namensrecht », stAZ, 2/2014, p. 33 (et la reproduction partielle de cet article en français in Rev. crit. DIP, 2014, p. 733). En particulier, l’article 12 propose une règle de reconnaissance intra-européenne.

428 Par exemple pour S.PFEIFF sont visés le nom, le sexe, la capacité, le mariage, le partenariat enregistré, ainsi que la filiation biologique et adoptive, in La portabilité du statut personnel dans l'espace européen, op. cit., n° 355 in fine.

429 V. en particulier S.PFEIFF, La portabilité du statut personnel dans l'espace européen, op. cit. L’auteur propose l’élaboration d’une nouvelle méthode dénommée « méthode européenne de la reconnaissance » selon laquelle « un élément du statut personnel cristallisé dans un acte émanant d’une autorité publique d’un État membre, matériellement compétente pour ce faire, doit être reconnu dans tous les autres États membres, à moins que le refus de reconnaissance soit nécessaire à la sauvegarde de l’ordre public de l’État d’accueil », n° 350.

430 En ce sens, v. notre communication orale « Recognition of Legal Situations - Methodological Approaches », in Recognition of Legal Situations - Plenary Meeting, University of Würzburg, 5 avril 2019 (dans le cadre du projet de recherche préc.).

431 Comp. l’expression de « règle de réception » utilisée par A. BUCHER, in La dimension sociale du droit international privé, op. cit. spéc. p. 344 et s.

432 V. en particulier les discussions autour de l’article 46 du règlement (CE) n°2201/2003 « Bruxelles II bis » présentées in M. HO-DAC, La loi du pays d’origine en droit de l’Union européenne, op. cit., n° 411 et s. et n° 762.

Cette disposition prévoit la « reconnaissance » des actes authentiques, à l’instar des décisions relevant du domaine matériel du texte. Un acte authentique, établi par un premier État membre et constatant l’annulation d’un mariage par exemple, serait reconnu de plein droit, dans tout autre État membre, sans que sa validité substantielle ne puisse être contestée au regard des règles de conflit de l’État de réception. Toute vérification serait également exclue sur la base des règles de conflit de lois de l’État d’origine, émetteur de l’acte étranger. Il a ainsi été relevé que « l’objet de la ‘reconnaissance’ des actes publics paraît viser, dans ce texte, moins l’acte instrumentaire du point de vue de son enveloppe externe que la validité de son contenu, c'est-à-dire de l’acte privé qu’il contient », op. cit., n° 413 in fine.

433 En ce sens déjà M. HO-DAC, La loi du pays d’origine en droit de l’Union européenne, op. cit., n° 411 et s. et n° 762. V. également S.FRANCQ, « Un principe de reconnaissance comme embryon d'un droit européen de la famille ? », in H.FULCHIRON,CH.BIDEAUD-GARON (dir.), Vers un statut européen de la famille, Paris, Dalloz, 2014, p. 111-130, spéc. p. 127, pour qui « le champ des possibles [‘méthodologiques’] reste ouvert ».

434 V. règlement (UE) n°650/2012 « Successions », préc.

certains documents publics435. Alors que la Commission européenne proposait d’élaborer des règles de reconnaissance qui auraient permis à des situations constituées à l’étranger d’être réceptionnées dans le for d’accueil, les textes finalement adoptés ne vont pas en ce sens, limitant le cadre harmonisé à une simple circulation des actes publics étrangers concernés en vue d’attester des données qu’ils consignent dans le for d’accueil436.

154. Quelles voies méthodologiques pourraient alors constituer une alternative à la méthode de la reconnaissance des situations au sein de futures règles d’acceptation ? Certains auteurs se sont tournés vers une logique de conflit de systèmes437. En ce sens, il a récemment été proposé d’instaurer une reconnaissance mutuelle des qualifications juridiques et des effets de certains éléments du statut personnel légalement obtenus dans un premier État membre, lors de l’exercice de la libre circulation vers un autre État membre, en application des règles de conflit de lois de l’État d’origine438. Cela rejoint, nous semble-t-il, la clause de « référence au système juridique de l’État d’origine » que nous avions esquissée dans notre thèse, en vue d’être insérée dans les droits nationaux des États membres et de faciliter la circulation intra-européenne des actes publics en matière familiale439. D’autres auteurs entendent travailler avec la richesse de la méthode conflictuelle440. La piste de l’option de législations laissée aux personnes en circulation fait également l’objet de recherches académiques soutenues441. Une autre voie,

435 V. règlement (UE) n°2016/1191 du 6 juillet 2016 visant à favoriser la libre circulation des citoyens en simplifiant les conditions de présentation de certains documents publics dans l’Union européenne, et modifiant le règlement (UE) n° 1024/2012, JO L 200 du 26.7.2016, p. 1-136. Sur ce texte, v. E.BONIFAY, « La circulation des citoyens européens entre États membres au lendemain de l'adoption du règlement ‘documents publics’ », JDI, n°

2, Avril 2017, doctr. 7.

436 En ce sens M.HO-DAC, « Le principe de reconnaissance mutuelle et la loi du pays d’origine », op. cit., spéc. p.

49 et s. Pour le règlement « Successions », v. article 59 : l’acte bénéficie seulement d’une présomption de régularité formelle et d’équivalence avec les actes publics locaux, dans la limite de son incompatibilité manifeste avec l’ordre public de l’État requis. Quant à la validité au fond, c’est-à-dire pour les « actes juridiques ou relations juridiques consignés dans un acte authentique » au sens de l’article 59, §3, du règlement, elle dépend de la loi applicable à la succession.

437 Sous l’angle de la reconnaissance mutuelle des actes publics englobant la validité du negotium, V. en particulier M.FALLON, « Les conditions d’un code européen de droit international privé », La matière civile et commerciale, socle d’un code européen de droit international privé ? », op. cit., p. 1-34, spéc. p. 23-24

438 E.BONIFAY, Le principe de reconnaissance mutuelle et le droit international privé. Contribution à l'édification d'un espace de liberté, sécurité et justice, op. cit., spéc. n° 534 et s. L’auteur élabore ensuite une « proposition de règlement visant à favoriser la liberté de circulation des citoyens en simplifiant la reconnaissance mutuelle de certaines situations personnelles et familiales constituées dans un État membre », spéc. n° 572. V. également S.

FRANCQ, « Un principe de reconnaissance comme embryon d’un droit européen de la famille ? », op. cit., spéc. p.

128.

439 Sans toutefois la formuler expressément. V. M. HO-DAC, La loi du pays d’origine en droit de l’Union européenne, op. cit., n° 765 : « La clause proposée ferait alors prévaloir le système juridique de l’État d’origine pour toute contestation, dans le for d’accueil, relative à la ‘situation d’origine’ ».

440 V. L.RASS-MASSON,Les fondements du droit international privé européen de la famille, Thèse Paris II, 2015.

441 V. en particuliers les très riches contributions in A.PANET,H.FULCHIRON,P.WAUTELET (dir.), L’autonomie de la volonté dans les relations familiales internationales, Bruxelles, Bruylant, 2017. V. également le projet

« Empowering European Families » (EEF) qui propose notamment de mettre en place des règles-modèles facilitant l’exercice de l’autonomie de la volonté pour les couples en circulation dans l’Union. Disponible à l’adresse :

<https://www.empoweringeuropeanfamilies.eu>

enfin, pourrait consister à « basculer » méthodologiquement, partiellement au moins, vers le droit matériel uniforme dans l’appréhension juridique de la circulation du statut personnel, suivant en cela les pistes tracées par nos travaux les plus récents442. L’alliance des méthodes pourrait venir consolider la circulation des personnes dans l’Union, grâce à un socle matériel commun pour l’identité des citoyens européens ou des individus résidant dans l’espace européen, complété par une coordination des règles l’État d’origine et de l’État d’accueil sur la base de la reconnaissance mutuelle443.

B) Le rapprochement prospectif des régimes de reconnaissance mutuelle des décisions