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Section 2 - L’unification continue des règles de conflit de lois

A) Le champ d’application des règles de conflit de lois communes

129. Le champ d’application à donner à l’unification des règles de conflit de lois pourrait varier à un double niveau, matériel et spatial. Des choix doivent donc être faits sur ces deux aspects du contenu de l’unification, en prenant appui sur la volonté à la fois d’améliorer le traitement juridique de la circulation des personnes et de dépasser les difficultés d’articulation normative mises en exergue précédemment.

130. S’agissant de la dimension matérielle de l’unification européenne des règles de conflit, la principale question qui se pose est de savoir s’il faut maintenir une approche sectorielle, suivie actuellement par le législateur de l’Union ou si une harmonisation globale du droit des conflits de lois et des conflits de juridictions serait la bienvenue369. En pratique, le droit de l’Union a opté, depuis la fin des années 2000, pour une unification commune des règles de compétence et de conflits de lois, par matière370. Cette approche doit être approuvée car elle est à la fois ambitieuse, en englobant à chaque fois l’ensemble des questions de droit international privé, et réaliste politiquement, en se limitant à un champ d’étude spécial (les aliments, les successions, les régimes matrimoniaux…). Elle est, en outre, favorable aux individus comme aux opérateurs qui bénéficient d’un corps de règles de droit international privé complet sur telle ou telle question de droit privé. C’est tout à la fois la liberté des personnes à travers leur libre circulation et l’égalité des justiciables dans la détermination du juge compétent et de la loi applicable aux rapports transfrontières dans l’Union qui en sortent renforcées.

131. Mais au-delà, l’unification sectorielle du droit international privé pose la question de l’assise de ce droit spécial, c’est-à-dire celle de l’existence d’un droit commun des conflits de juridictions et des conflits de lois. Dans quelle mesure, notamment, la théorie générale des conflits de lois devrait-elle être comprise dans l’unification européenne ? Cela pose également la question de la cohérence d’un corpus global : cohérence des qualifications, des rattachements et des règles de conflit mises en place, toute matière confondue371. Ces interrogations doivent être lues en connexion étroite avec une réflexion sur la codification européenne du droit international privé, envisagée plus loin, au titre de l’approfondissement formel des méthodes

369 A notre avis, il n’est en revanche pas question d’exclure a priori certaines matières de l’unification, puisque tant les compétences de l’Union que les rapports de circulation couvrent potentiellement l’ensemble des questions de droit privé.

370 Il s’agit des règlements de « deuxième génération » inaugurés par le règlement (CE) n°4/2009 du Conseil du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires, JO L 7 du 10.1.2009, p. 1-79 (dit « Aliments »).

371 Sur cette cohérence dans l’interprétation de la Cour de justice, v. M.SZPUNAR, « Droit international privé de l'Union : cohérence des champs d'application et/ou des solutions ? », Rev. Crit. DIP 2018, p. 573 et s.

d’application du droit372. Cette possibilité doit être sérieusement envisagée, nous le verrons, afin de garantir aux citoyens comme aux opérateurs économiques un accès aisé, cohérent et global au droit européen de la circulation.

132. Quant aux contours géographiques à donner aux règles de conflit de lois communes, la question est loin d’être évidente dans une perspective globale de droit international privé373. Quant à l’unification internationale des seules règles de conflit de lois, au sein des diverses instances intergouvernementales actives dans le domaine du droit international privé, elle s’est orientée de longue date vers l’universalité des règles de conflit de lois communes. L’Union a suivi la même position et rares semblent être aujourd’hui les avis divergents374. Il s’agit de la sorte de traiter ensemble les rapports internationaux intra et extra-européens, afin d’assurer l’harmonie internationale des solutions, au-delà des frontières de l’Union. Les difficultés d’articulation entre les espaces normatifs, dénoncées plus haut, sont atténuées par l’unification européenne des règles de conflit de lois qui supprime les conflits de rattachements, potentiellement entravant pour les rapports de circulation des personnes. De tels conflits persisteront potentiellement dans les rapports avec les États tiers, mais dans une mesure moindre si, dans le for européen, la loi d’un État tiers a toute sa place, à égalité avec la loi d’un État membre. En outre, l’adoption de plusieurs règlements européens de droit international privé de la famille par le biais de procédures de coopération renforcée rend encore plus précieux le caractère universel donné aux règles de conflits de lois, puisqu’il existe à présent un fractionnement de l’unification conflictuelle au sein de l’espace européen lui-même.

133. Une illustration de l’uniformisation future des règles de conflit de lois dans l’Union a été donnée, dans nos travaux antérieurs, en droit international privé des sociétés375. Elle a pris la forme d’une proposition législative d’harmonisation de la lex societatis dans l’Union, afin de dépasser les fortes dissensions entre les États membres sur la question du rattachement des sociétés, opposant schématiquement les tenants du siège statutaire ou de l’incorporation aux partisans du siège réel ou de l’administration centrale. Nous avions alors soutenu que l’uniformisation de la loi applicable aux sociétés permettrait de sécuriser les opérateurs et donc de favoriser leur circulation internationale. Jusqu’à présent, c’est la Cour de justice qui a

372 V. infra, n° 166 et s.

373 V. notamment J.-S.BERGE, « La double internationalité interne et externe du droit communautaire et le droit international privé », op. cit. ; S. SANA-CHAILLÉ (dir.), Droit international privé, États membres de l'Union européenne et États tiers, Paris, Litec, 2009.

374 Toutefois, en faveur de règles de conflit de lois régionales en matière sociétaire, v. T.MASTRULLO, Le droit international des sociétés dans l’espace régional européen, PUAM, 2009, n° 744.

375 V. M.HO-DAC, La loi du pays d’origine en droit de l’Union européenne, op. cit., n° 658 et s. et « L’adaptation du droit international privé aux exigences du marché intérieur », op. cit., spéc. p. 420-421.

progressivement dessiné, au sein du régime des articles 49 et 54 TFUE permettant le contrôle des entraves au libre établissement, les contours d’une règle de « reconnaissance mutuelle » des sociétés au sein des États membres, à la charge de l’État d’accueil376. Dans ce contexte et même si la jurisprudence de la Cour de justice ne consacre pas directement une telle solution377, le choix d’un rattachement commun en faveur du lieu de l’incorporation a été privilégié, de lege feranda378. Toutefois, une telle uniformisation n’a pas pu être menée à bien par les instances européennes pour des raisons essentiellement politiques379.

134. Ainsi que cela a été dit plus haut, la Commission s’oriente à présent vers une approche mixte de coordination des droits nationaux380. D’un côté, un socle de droit matériel transfrontière est proposé et nécessite l’harmonisation des conditions de transfert des sièges sociaux au sein du marché intérieur381. De l’autre, une règle de conflit de systèmes organiserait la répartition entre loi d’origine et loi d’accueil de la société en circulation pour régir les procédures et formalités de la transformation transfrontalière. La première loi s’appliquerait à

« l’obtention du certificat préalable à la transformation »382 selon les conditions qui sont prévues par le projet de directive, la seconde à « la réception du certificat préalable à la transformation »383, là encore selon le régime découlant de la proposition. Chaque État membre pourra ainsi maintenir sa lex societatis mais sa mise en œuvre sera encadrée, en cas de transfert de siège social intra-européen, par la coordination normative découlant de ce nouveau régime.

On assiste donc à un reflux de l’unification conflictuelle classiquement menée en droit de l’Union et suivie dans nos travaux, au profit d’une coordination des systèmes nationaux de conflit de lois, prenant appui sur un noyau-dur de droit matériel. Il s’agit probablement là d’un

376 V. M.HO-DAC, La loi du pays d’origine en droit de l’Union européenne, op. cit., n° 150 et s. L’État d’origine reste, en revanche, libre d’autoriser ou non le transfert de siège réel selon son propre système de rattachement (Cartesio, aff. C-210/06). En outre, depuis l’arrêt Polbud (aff. C-106/16), une obligation de reconnaissance mutuelle « inversée » s’impose également, selon nous, à l’État d’origine en présence d’une société ayant légalement transféré son siège statutaire en application de la loi d’accueil (comm. sous cet arrêt, M.HO-DAC, op.

cit., spéc. 734 et s.).

377 Sur la portée de la jurisprudence de la Cour de justice en la matière, v. M.HO-DAC, La loi du pays d’origine en droit de l’Union européenne, op. cit., n° 150 et s. (et les références citées).

378 Dans le même sens, v. H.-J.SONNENBERGER (Hrsg), Vorschläge und Bericht zur Reform des europäischen und deutschen internationalen Gesellschaftsrechts, Tübingen, Mohr Siebeck, 2007 ; v. également la publication de la proposition présentée par H.J.SONNENBERGER etF.BAUER, Rev. Crit. DIP, 2006, p. 712-734. Plus récemment, pour une vue d’ensemble, v. Study on the applicable law to companies, réalisée au sein de LSE, à la demande de la Commission européenne, publiée le 4 avril 2017.

379 Pour l’exposé de cette « carence juridique », v. M.MENJUCQ, Droit international et européen des sociétés, op.

cit., spéc. n° 512.

380 V. supra, n° 114.

381 V. proposition de directive modifiant la directive (UE) 2017/1132 en ce qui concerne les transformations, fusions et scissions transfrontalières, 25 avril 2018, COM/2018/241 final. Sur cet texte, v. M.MENJUCQ (dir.),

« Les transformations transfrontalières », Bulletin Joly Sociétés, juill.-août 2018 (dossier).

382 Art. 86 quater, § 4 de la proposition de directive préc.

383 Ibid.

modèle méthodologique à retenir et sur lequel il faudra travailler à l’avenir dans d’autres matières où les conceptions nationales sont politiquement sensibles384.

135. A côté du domaine des règles de conflit de lois communes, c’est l’orientation à donner au contenu même de ces règles qui se pose, c’est-à-dire au choix des rattachements.