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Section 2 - L’unification continue des règles de conflit de lois

B) Le choix des rattachements

136. Les réflexions relatives au droit international privé européen en construction ne peuvent faire l’économie d’une recherche sur les rattachements privilégiés par les règles existantes, sur leurs évolutions et leur avenir. Il est possible d’établir, dès à présent, un double constat.

137. D’une part, si le législateur de l’Union fait une place de choix à la règle de conflit de lois classique, il recourt également, de manière répétée, aux règles de rattachement à coloration matérielle, comme nous l’avons montré dans nos recherches passées en droit international de la famille385. Ces règles de conflit, parce qu’elles sont orientées vers la recherche d’un résultat matériel suivant une politique juridique donnée, ne sont plus neutres. Cette finalité matérielle imprègne la désignation de la loi applicable et donc, en amont, le ou les rattachements choisis pour construire la règle de conflit de lois en cause. Dans le contexte du droit international privé de l’Union, cette méthode a l’avantage de pouvoir favoriser certains objectifs consubstantiels à l’intégration européenne et, en particulier, la circulation des personnes. C’est ainsi qu’une règle de conflit de lois multipliera les rattachements, afin que le justiciable en circulation voit sa situation juridique rattachée à l’ordre juridique le plus favorable aux valeurs promues par l’Union, à l’instar de la liberté. Il n’est toutefois pas certain que l’orientation matérielle choisie soit toujours en accord avec les valeurs défendues au niveau national par certains États membres et, davantage encore, à l’extérieur de l’Union, ce qui pourrait compromettre l’harmonie internationale des solutions et, avec elle, complexifier le traitement juridique de la circulation des personnes386.

384 En ce sens, v. infra en droit des personnes et de la famille, n° 154.

385 Pour un exemple en matière de divorce dans le cadre du règlement (UE) n°1259/2010 « Rome III », v. M.

CRESP (coord.),J.HAUSER,M.HO-DAC (coord.),S.SANA-CHAILLE DE NERE, Droit de la famille – Droit français, européen, international et comparé, op. cit., Question (58).

386 V. par exemple l’article 10 du règlement (UE) n°1259/2010 « Rome III » : « Lorsque la loi applicable en vertu des articles 5 ou 8 ne prévoit pas le divorce ou n’accorde pas à l’un des époux, en raison de son appartenance à l’un ou l’autre sexe, une égalité d’accès au divorce ou à la séparation de corps, la loi du for s’applique ». Il s’agit d’un rattachement à la loi du for, en prenant en considération les lois désignées par les rattachements de principe – loi d’autonomie encadrée ou loi applicable à défaut de choix. L’objectif matériel est de permettre le divorce du couple ou un divorce sans discrimination au regard du sexe, malgré l’opposition de la loi de la résidence ou de la nationalité commune du couple. La reconnaissance à l’étranger de ce divorce sera alors compromise dans ces États (résidence ou nationalité), les valeurs partagées par l’Union et ces États étant divergentes. En ce sens, v. M.CRESP

138. D’autre part, au sein des rattachements les plus usités en droit international privé classique, il est notable que deux d’entre eux sont privilégiés par le droit de l’Union, en lien direct avec l’objectif de circulation des personnes : l’autonomie de la volonté387 et la résidence habituelle388. Il s’agit de la sorte, d’un côté, de permettre aux sujets de droit de choisir l’ordre juridique national dans lequel ils entendent s’inscrire dans le cadre de leur circulation transfrontière, avec plus ou moins de liberté et au service de leur sécurité juridique389 et, de l’autre, de favoriser l’intégration des personnes mobiles dans leur État d’accueil. Le critère de la nationalité n’est pas pour autant abandonné car il permet d’assurer une certaine stabilité d’attache qui pourrait être ébranlée par une circulation répétée. C’est ici, de manière générale, la valeur de liberté, à travers l’objectif de circulation des personnes, qui est défendue.

139. Un exemple récent d’uniformisation des règles de conflit de lois aux fins de simplifier le traitement juridique de la circulation des personnes peut être donné en droit patrimonial de la famille avec le règlement (UE) n° 650/2012 relatif aux successions internationales390. Il illustre parfaitement les constats qui viennent d’être établis, comme nos travaux ont pu le montrer391. Il régit les successions internationales ouvertes à compter du 17 août 2015 sur le territoire de l’Union et se substitue à la diversité des règles nationales de droit international

(coord.),J.HAUSER,M.HO-DAC (coord.),S.SANA-CHAILLE DE NERE), Droit de la famille – Droit français, européen, international et comparé, op. cit., n° 330.

387 Sur les domaines et contours de l’autonomie de la volonté, v. notamment E. BONIFAY, Le principe de reconnaissance mutuelle et le droit international privé. Contribution à l'édification d'un espace de liberté, sécurité et justice, op. cit., n° 405 et s. ; E.FONGARO, « L’autonomie de la volonté en droit international privé des personnes et de la famille », Mélanges Laborde, Dalloz, 2015, p. 651 ; H. GAUDEMET-TALLON, « L’autonomie de la volonté : jusqu’où ? », Mélanges Mayer, LGDJ, 2015, p. 255 ; C. NOURISSAT, « De quelques rattachements en droit international privé communautaire », Le monde du droit – Écrits en l’honneur de Jacques Foyer, Économica, 2008, p. 731. Plus largement, v. Ch. KOHLER, L’autonomie de la volonté en droit international privé : un principe universel entre libéralisme et étatisme, RCADI, 2013, t. 359.

388 Sur le rattachement à la résidence habituelle, v. notamment E. BONIFAY, Le principe de reconnaissance mutuelle et le droit international privé. Contribution à l'édification d'un espace de liberté, sécurité et justice, op.

cit., n° 414 et s. ; B.RENTSCH, Der gewöhnliche Aufenthalt im System des Europäischen Kollisionsrechts, Mohr Siebeck, 2017. V. également notre communication orale : « The habitual residence – a common notion in European private international family law ? », in (Non-)Uniform interpretation of EU-Instruments on Private International Law by the Courts of the Member States, Innsbruck University, 24 novembre 2017, (dir.) A.

SCHWARTZE &TH.SIMONS.

389 En ce sens, un auteur a décrit l’autonomie de la volonté comme un « avatar de la mobilité », v. H.MUIR WATT, Aspects économiques du droit international privé économiques, RCADI, 2004, t. 307, spéc. p. 129.

390 Règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen. Sur ce texte, v. notamment A.

BONOMI,P.WAUTELET, Le droit européen des successions. Commentaire du règlement n° 650/2012 du 4 juillet 2012, Bruylant, 2e éd. 2016 ; G. KHAIRALLAH, M. REVILLARD (dir.), Droit européen des successions internationales, Règlement du 4 juillet 2012, Defrénois 2013.

391 V. M.CRESP (coord.),J.HAUSER,M.HO-DAC (coord.),S.SANA-CHAILLE DE NERE), Droit de la famille – Droit français, européen, international et comparé, op. cit., spéc. Question (193).

privé392. Afin de favoriser un règlement global de la succession internationale, il retient notamment une règle de rattachement unitaire en faveur de la résidence habituelle du défunt au moment de son décès393. Cette solution tranche radicalement avec les règles de conflit de lois jusqu’alors en vigueur en droit français qui étaient source d’un morcellement successoral fréquent394. En outre et de manière plus générale, le règlement « Successions » est façonné dans le but de limiter grandement les hypothèses où la juridiction compétente pour connaître de la succession n’appliquera pas sa propre loi. Partant, indirectement au moins, il limite les hypothèses où pourrait être invoquée l’exception d’ordre public international395. Une telle logique matérielle est inspirée par la volonté d’assurer un traitement juridique simple et prévisible des successions internationales dans l’Union.

140. Quant au choix des rattachements opéré par le législateur européen, il contribue à renforcer la liberté de circulation des personnes puisqu’une place non négligeable a été faite à la volonté du de cujus. Ainsi, de manière novatrice pour l’ordre juridique français, le règlement introduit une possibilité de choix de loi par anticipation. Selon l’article 22, « une personne peut choisir comme loi régissant l’ensemble de sa succession la loi de l’État dont elle possède la nationalité au moment où elle fait ce choix ou au moment de son décès ». Le rattachement à la nationalité du défunt peut ainsi venir se substituer à celui de la résidence habituelle qui joue à défaut de choix du défunt. L’introduction de l’autonomie de la volonté en matière successorale favorise incontestablement la préparation de la dévolution successorale pour les citoyens les plus mobiles et garantit ainsi la prévisibilité des solutions. Quant au choix du critère de nationalité, il est un gage de stabilité et donc de sécurité juridique face aux possibles changements de résidence ou à la pluralité des lieux de vie de certaines personnes396.

141. Il reste, enfin, à envisager l’approfondissement des méthodes propres à l’ordre juridique de l’Union dont le potentiel, sous l’angle du traitement juridique de la circulation des personnes, pourrait être davantage exploité.

392 V. la publication officielle de l’Union d’un Guide à l’intention des citoyens : des héritages internationaux plus simples grâce à la réglementation de l’Union européenne, 29 sept. 2017. Disponible à l’adresse suivante : https://publications.europa.eu/fr/publication-detail/-/publication/61afb4c0-a71b-11e7-837e-01aa75ed71a1

393 Art. 21, §1, régl. « Successions ».

394 Une distinction était prévue en fonction de la nature du bien, meuble ou immeuble. La dévolution des meubles était soumise à la loi du dernier domicile du de cujus alors que la succession des immeubles était régie par la loi de situation des biens. Il en résultait que, potentiellement, plusieurs lois matérielles pouvaient simultanément être compétentes. Le principe de l’unité de la succession était alors mis à mal, la succession de chaque masse de biens étant dévolue par la loi nationale qui lui était applicable, ce qui avait conduit le juge français à admettre le renvoi opéré par les règles de conflit étrangères à la loi française aux fins d’assurer l’unité successorale.

395 En ce sens, M.CRESP (coord.),J.HAUSER,M.HO-DAC (coord.),S.SANA-CHAILLE DE NERE), Droit de la famille – Droit français, européen, international et comparé, op. cit., spéc. Question (193), spéc. n°1169.

396 Il devrait également permettre aux individus expatriés dans un autre État membre de l’Union, mais ayant gardé de forts liens et des biens dans leur État d’origine, de faire jouer leur loi d’origine au titre de la loi successorale.

Section 3 - Le perfectionnement de la reconnaissance mutuelle et du principe du pays d’origine

142. Le droit de l’Union a su développer des techniques originales pour favoriser un traitement juridique simplifié des rapports de circulation dans l’espace intérieur européen. La reconnaissance mutuelle comme le principe du pays d’origine constituent des outils efficaces de coordination des ordres juridiques nationaux. Certaines faiblesses affectent néanmoins leur mise en œuvre, appelant un meilleur cadrage technique. Quelques pistes de rénovation méthodologique allant dans le sens d’un perfectionnement de ces techniques peuvent être présentées en nous appuyant sur des travaux antérieurs397, tout en opérant certains ajustements.

Il est proposé, d’une part, d’élaborer des clauses d’articulation entre, d’un côté, la reconnaissance mutuelle et le principe du pays d’origine et, de l’autre, les règles de conflit de lois (§1) et, d’autre part, de renforcer les dispositifs actuels permettant la reconnaissance mutuelle des décisions et, parfois, des situations dans l’espace européen (§2).

§1- L’élaboration de clauses d’articulation entre la reconnaissance mutuelle ou le principe du pays d’origine et les règles de conflit de lois

143. Après avoir exposé ce qu’apporterait la mise en place de clauses d’articulation entre les méthodes originales du traitement de la circulation des personnes en Europe et la méthode classique des règles de conflit de lois (A), des propositions de clauses, déjà formulées dans des contributions antérieures, seront esquissées (B).