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Section 2 - L’unification continue des règles de conflit de lois

A) Le bien-fondé de la codification

167. Le traitement juridique de la circulation des personnes en Europe trouve un appui méthodologique central dans le droit international privé de l’Union, expliquant l’accroissement notable des textes en la matière ces vingt dernières années. La constitution de cet acquis

455 V. les Résolutions du Parlement européen sur un effort de rapprochement du droit privé des États membres, JO C 158 du 26 juin 1989, p. 400 et sur l’harmonisation de certains secteurs du droit privé des États membres, JO C 205 du 25 juillet 1994, p. 518

456 V. Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen concernant le droit européen des contrats, COM(2001) 398 finale, 11 juillet 2001. Elle prenait appui sur le travail du groupe Lando, v. O.LANDO, H.BEALE (dir.), Principles of European Contract Law, Boston, Kluwer Law, 2000. V. également J.-B.RACINE, G.WICKER (dir.), Principes contractuels communs, op. cit.

457 En doctrine, v. (parmi une bibliographie pléthorique) B. FAUVARQUE-COSSON, « Faut-il un Code civil européen ? », RTD civ. 2002, p. 463 ; A.HARTKAMP et al. (dir.), Towards a European Civil Code, 4e éd., Boston, Kluwer Law, 2011 ; P.LEGRAND, « Sens et non-sens d'un Code civil européen », op. cit. ; S.NADAUD, Codifier le droit civil européen, Bruxelles, Larcier, 2008.

458 En ce sens, le projet académique de Code européen de droit des affaires (en préparation), v. infra n° 181.

459 V. J.-S.BERGE,D.PORCHERON,G.VIEIRA DA COSTA CERQUEIRA, « Droit international privé et droit de l'Union européenne », op. cit (et la bibliographie thématique proposée).

normatif invite à s’interroger sur le bien-fondé d’une codification. Il convient néanmoins, à titre liminaire, de s’entendre sur le contenu de la codification. Celle-ci devrait prendre la forme d’un

« véritable » Code, au sens où l’entreprise dépasserait le simple ordonnancement des règles existantes, par l’ajout de dispositions nouvelles, venant enrichir le tout. En ce sens, le Code pourrait consister à la fois en la reprise de l’ensemble de l’acquis ayant vocation à s’étoffer encore matériellement, mais aussi en l’élaboration d’une partie préliminaire sur les questions de théorie générale de droit international privé, non encore traitées à l’heure actuelle au niveau européen. Cette orientation a reçu un écho favorable dans la doctrine allemande notamment460. Elle pourrait néanmoins s’avérer difficilement réalisable politiquement. Il serait alors judicieux de se limiter, dans un chapitre introductif, à poser des règles de « mise en cohérence » de l’acquis : définitions communes, office du juge, articulation des règlements entre eux461…, laissant la théorie générale des conflits des lois dans le giron du droit national des États membres. Par ailleurs, il ne s’agirait pas, par cette codification, d’achever dès à présent l’uniformisation matérielle du droit des conflits de lois et de juridictions. De futurs règlements en la matière auraient vocation à intervenir progressivement et seraient intégrés, au fur et à mesure, dans le Code européen.

168. Les grands arguments défavorables ou favorables à un projet de codification sont bien connus. D’un côté, il est parfois soutenu que la codification risque de rigidifier la matière, rendant difficile toute évolution ultérieure. Cette crainte de cristallisation de la matière serait même renforcée par la nature du droit de l’Union, droit de superposition, inspiré des systèmes nationaux des États membres. La difficulté d’adopter et donc de modifier un texte en commun paraît naturellement bien supérieure à l’échelle européenne qu’au niveau national. Les droits matériels nationaux évolueraient donc sans que le droit international privé commun codifié ne puisse prendre acte de ces données nouvelles. L’argument peine néanmoins à convaincre. La codification en tant que telle n’est pas en jeu ici ; c’est davantage le processus législatif qui

460 Un tel projet de théorie générale est parfois dénommé en doctrine règlement « Rome 0 ». V. en ce sens S.

LEIBLE,H.UNBERATH (Hsrg.), Brauchen wir eine Rom 0-Verordnung? Überlegungen zu einem Allgemeinen Teil des europäischen IPR, Sellier, 2013. Il s’agirait, selon les auteurs « d’une partie générale, pouvant prendre la forme d’un ‘règlement Rome 0’, qui règlerait de manière générale les questions récurrentes découlant des instruments juridiques spéciaux. Cela nécessiterait au moins l’établissement d’un catalogue de principes (Principes généraux du droit international privé européen) qui permettrait d’assurer une cohérence d’ensemble », p. 5 (traduction libre).

461 Pour une illustration des difficultés d’articulation entre les règlements européens de droit international privé dans le domaine du droit patrimonial de la famille, v. M.HO-DAC, « Interaction of EU Regulations 2016/1103 and 2016/1104 and the Succession Regulation 650/2012 », op. cit. V. également postérieurement CJUE, 1er mars 2018, Doris Margret Lisette Mahnkopf, aff. C-558/16, (le règlement « Successions » englobe, dans son champ d’application, une disposition nationale qui prévoit, au décès de l’un des époux, une répercussion du régime matrimonial de la participation aux acquêts sur le droit successoral se traduisant par l’augmentation de la part successorale légale du conjoint survivant).

l’est, quel que soit le support de la norme. La crainte peut également être largement atténuée par le rôle central du juge dans la vie du droit, permettant à ce dernier d’évoluer dans le temps.

En outre, l’office unificateur de la Cour de justice devrait permettre de dessiner une norme commune européenne transcendant les évolutions nationales.

169. De l’autre côté, le processus de codification favorise l’accès au droit et son intelligibilité pour les justiciables comme pour les professionnels du droit. Sa mise en œuvre s’en trouve en principe facilitée et améliorée. C’est essentiellement la valeur d’égalité entre les citoyens, destinataires de la norme européenne, qui serait renforcée dans l’accès et la mise en œuvre d’une norme claire et commune à tous. Les valeurs politiques de démocratie et d’État de droit sont également présentes dans un tel projet visant à mettre la loi à la portée de tous462. A cela s’ajoute l’objectif de cohérence dans les politiques européennes, consacré par l’article 7 TFUE, qui impose un accès au droit facilité pour les citoyens, ce que l’éclatement actuel des règles ne permet pas. Tant l’articulation horizontale entre les textes européens que l’articulation verticale entre le droit de l’Union et les droits nationaux sont difficiles et nécessitent d’être améliorées463. La clarification globale, sous l’angle des sources du droit, et la stabilité normative qu’apporte la codification renforceraient également la prévisibilité des solutions et, partant, la sécurité juridique, grâce à une maniabilité renforcée du corpus par les praticiens, comme par les personnes privées. Il en irait de même de la communication entre les professionnels du droit des différents États membres qui serait facilitée par cet outil commun. En outre, un tel projet, parce qu’il nécessite une volonté et un dynamisme politique réels serait un formidable stimulus pour l’approfondissement du droit international privé, invitant le législateur à aller plus loin dans l’uniformisation. Finalement, la vision globale et transparente de la matière offerte par un Code européen, en renforçant la confiance des opérateurs, devrait avoir une influence positive sur la circulation des personnes dont le traitement juridique serait assuré avec davantage d’aisance. C’est ici la valeur de liberté, dans sa composante de liberté de circulation, qui serait défendue.

170. Les avantages attendus expliquent que le projet de Code européen de droit international privé soit au cœur de l’actualité doctrinale et des réflexions du Parlement européen depuis quelques années, préparant les étapes de la codification.

462 V. toutefois sur le « mythe du droit accessible à tous » dans l’œuvre de codification, P.DEUMIER, Introduction générale au droit, op. cit., n° 245.

463 V. l’exemple du droit patrimonial de la famille donné supra, note (461).