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L’écriture du temps et ses effets d’ordre:

Chapitre II : Ecriture autobiographique :

II.1. Les pactes autobiographiques et les fantasmes de l’écriture:

II.2.2. L’écriture du temps et ses effets d’ordre:

L autobiographie est généralement un texte narratif, elle parle d un monde régit par les lois de la chronologie. Ce caractère de la prose a été maintes fois souligné par Paul Ricoeur, dont l opinion est que « le monde déployé par toute uvre narrative est toujours un monde temporel » et que « le temps devient temps humain dans la mesure où il est articulé de manière narrative ».1

En outre, l autobiographie se plait habituellement à jouer avec les diverses séquences temporelles, en mettant souvent en vedette la tension qui existe entre le présent de l écriture et le passé de l histoire racontée, du fait que son récit et par sa spécificité architextuelle, rétrospectif.

La structure temporelle de « Léon l Africain » est très cohérente, dissimulant des stratégies faciles à dénicher. Ce que nous observons tout abord, c est qu entre les quatre parties du livre, il y a une suite chronologique. Il s ensuit que la plupart des liaisons que ces épisodes sont censés entretenir une cohérence, sont restés explicites, chaque partie porte un titre, chaque titre comporte plusieurs sous titres qui tous nous rappelle le temps, c est-à- dire, la suite chronologique, la première partie, par exemple, est intitulée Le livre de Grenade, les sous titres : L’année de Salma la Horra,

L’année des amulettes, L’année d’Astaghfirullah, L’année de la chute… et c est

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cette structure qui régie tout le livre . Donc il y a des éléments qui tentent assurer l unité du livre et de nous rappeler qu il existe une conscience unique qui ramasse et combine les différentes parties du texte. Parmi eux, les prolepses temporelles-des anachronies narratives qu on trouve principalement dans les récits à la première personne, à leur caractère rétrospectif déclaré qui facilite les allusions à l avenir. Les anticipations des scènes qui seront racontées plus tard prennent la forme des courtes allusions du type :

« en les relisant, à Rome, quelques années plus tard, je fus étonné de voir que je n’avais pas consacré la moindre ligne au déroulement des batailles »12

ou « je redoutais cet accueil, et c’est pourquoi je ne me suis pas réjouie quand Warda est apparue sur le bateau, m’expliqua plus tard ma mère. »23

ces anticipations s avèrent être des stratégies qui visent à créer une attente dans l esprit du lecteur et à lui attirer l attention sur le travail de l écriture. Si le narrateur choisit de raconter tel ou tel évènement plus tard, c est qu il a en vue une certaine construction du texte. Il va développer le sujet annoncé quand il en trouvera la meilleure place dans son récit et le lecteur est en droit de le savoir. Ses prolepses sont, à nos yeux, de petites séquences où le livre révèle sont autoréflexivité foncière et met en vedette son dialogue avec lui-même. Il convient d amener en discussion aussi l usage massif de l’itératif, signalé par des structures du type : « chaque fois », « chaque lundi », « souvent », « fréquemment », « parfois ». a ce point, des théoriciens comme Philippe Lejeune331et Gérard Genette24 se sont accordés à soutenir que le recours massif à l itératif est un trait spécifique de l autobiographie, entraînant une accélération de ce récit qui tend parfois à s égarer dans l enchevêtrement des souvenirs. Le narrateur s en sert donc pour concentrer son texte autour des faits significatifs.

Le récit donc est bâti de manière traditionnel, de sorte que le lecteur peut facilement suivre le déroulement des évènements depuis 894 de l hégire jusqu au 933.

Les 400 pages de la vie du héros font alterner, dans un rythme variable, les sommaires, les ellipses et les pauses narratives.

1

– Maalouf, Amin. Léon l Africain, p. 208.

2

– Ibidem, p. 93.

3

– Lejeune, Philippe. Le Pacte Autobiographique, p.114.

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Les allées et venues entre le passé et le présent et l emploi successif du passé simple ou de l imparfait du monde raconté et du présent de l écriture témoignent de l effort d Amin Maalouf de trouver et de nous révéler les racines de son état présent. Hormis ce désir d aller aux source de son être, il n est pas dénué de signification de remarquer le fait qu Amin Maalouf y trouve le moyen le plus efficace de faire alterner les moments dramatiques avec ceux de détente.

En reprenant la distinction faite par Emile Benveniste entre temps commentatifs et temps narratifs, Harald Weinrich et Paul Ricoeur se mettent accord à considérer les temps du monde commenté (le présent, le futur, le passé composé) comme des instruments grammaticaux dont le locuteur use pour signaler son engagement, voire sa participation directe aux faits rapportés. En contrepartie, les temps du mondes raconté (l imparfait, le passé simple, le plus-que-parfait) sont censés signaler son détachement et sa détente par rapport à ce qu il communique. Ainsi le conte, le roman ou le récit historique s en servent-ils pour nous arracher à la vie quotidienne et nous en éloigner.1 est en faisant alterner les moments de tension et les moments de détente qu Amin Maalouf aboutit à tresser son récit et à tenir l esprit du lecteur toujours en éveil.

L écriture d Amin Maalouf se présente comme d une perpétuelle recherche à un sens qui puisse donner à la vie une unité, son écriture autobiographique débouche sur une esthétique de l éclaté, qui n est pas pour autant dépourvue de force créatrice. Nous sommes enclins à affirmer que le texte d Amin Maalouf tient à ce point plutôt de la mosaique que de puzzle. Au lieu de constituer une « totalité préexistante », en remettant chaque pièce à sa place, c'est-à-dire, raconter une vie qui ne lui appartient pas, la mosaique tend à créer du nouveau à partir des éléments hétéroclites. Ainsi les pièces de la mosaique littéraire vont-elles former à la fin une « totalité inédite, et donc encore à inventer »2.

1

– Weirnich, Cf H., Le Temps, Le Récit et le Commentaire, Seuil, 1973, p. 46.

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