• Aucun résultat trouvé

Chapitre II : Ecriture autobiographique :

II.1. Les pactes autobiographiques et les fantasmes de l’écriture:

II.1.2. Ecriture et autobiographie:

Le clivage du sujet, l autre en soi, le « je est un autre » sont devenus des évidences du discours littéraire. Pression de la littérature et de la psychanalyse, l unité du sujet est depuis longtemps un mythe du passé. Dans cet art, la littérature a montré le chemin depuis toujours, elle nous a habitué à ces étranges visiteurs de moi. L écrivain est toujours habité par ces fantasmes de toute puissance : être à la source du sens, être le père et le fils de ses

uvres, s auto-créer par le texte, se choisir ses propres ancêtres : Contemplons ce passage :

« Moi, Hassan fils de Mohammed le peseur, moi, Jen-Léon de Médicis, circoncis de la main d’un barbier et baptisé de la main d’un pape, on me nomme aujourd’hui l’Africain, mais d’Afrique ne suis, ni d’Europe, ni d’Arabie. on m’appelle aussi le grenadin, le Fassi, le Zayyati, mais je ne viens d’aucun pays, d’aucune tribu. Je suis fils de la route, ma patrie est caravane, et ma vie est la plus attendue des traversées […] de ma bouche tu entendras l’arabe, le turc, le castillan, le berbère, l’hébreu, le latin et l’italien vulgaire, car toutes les langues, toutes les prières m’appartiennent. Mais je n’appartiens à aucune. Je ne suis qu’à Dieu et à la terre, et c’est à eux qu’un jour prochain je reviendrai… »21

identité ici semble impossible à fixer et à figer, si elle est inassignable, si elle est ce « foyer virtuel » dont parle Claude Levi-strauss, elle a pu s étendre dans toutes les directions, prendre toutes les formes. Ici Léon l Africain a fait jouer tous les autres qui sont en lui, il s est transformé plusieurs fois en autre, il a laisser libre cours à tout processus de devenir autre, devenir son propre être fictif.

Ces fantasmes auto-créationnels de l écriture deviennent ce qu ils investissent, Hassan est en perpétuelle transformation, dans la dissémination et

1

– Ibid, p. 365.

2

éparpillement, dans la souffrance de ne pas être soi, de ne pas exister. Ce personnage à travers toute son histoire, il s auto-crée, s invente, se réinvente, échappe aux déterminations lourdes qui l enserrent, déterminations symboliques et généalogiques, culturelles et psychiques. Le sujet ici est caméléonesque ; pourtant tous les lieux du biographique inscrit tous les topois : récits, souvenirs, notules et historiettes, mais ils sont déplacés, déconstruits, cassés, retournés de façon à ce que pacte autobiographique et romanesque soient malmenés dans l entreprise textuelle.

Ici l écriture autobiographique se situent dans le cadre même du récit. On peut constater, en effet, que les formes, habituellement comme indices de fictionnalité, sont présentes. Les dialogues ainsi que les discours existent les temps du récit sont aussi respectés, dont l emploi du passé simple et imparfait sont constant. Il est donc possible de mettre en évidence, au niveau de l écriture du texte une pratique propre à l analyse des enjeux autobiographique « disant « je » celui qui raconte se constitue en sujet et s’implique dans les évènements décrits ».1

Nous constatons, par ailleurs, la virtuosité de l auteur, qui mêle adroitement les lieux et les époques, le discours dans le récit.

impression dominante est celle, peut être voulue par l auteur, d une grande fidélité du personnage à lui-même. Il ne cherche ni à ce justifier, ni à ce mettre à distance, comme c est le cas dans les autobiographies classiques, mais de retrouver par-delà les changements et les variations de l existence comment il est devenu celui qu il est. Car ce récit à cette fois, rappelons-le à un destinataire particulier, son fils, et la vie du personnage doit aussi servir à celle de son successeur. Ce qui veut dire qu une autobiographie est aussi moyen de se connaître pour celui qui la lit.

II.2. L’entre deux : Fiction et histoire:

Les souvenirs d enfance, présentent toujours une part d affabulation, puisque, comme l a montré Philippe Lejeune, ce je-du-passé est (re) construit par un je-du-présent qui a accès à d autres sources d information que le pur travail de la mémoire. Bien des souvenirs de la petite enfance sont en fait implantés en nous par les histoires racontées en famille). Ici dans autobiographie fictive le « je » de l écrivain s insère dans le « je » du

1

personnage et pour se remémorer en sort jamais du soi. Et cette mémoire souvent nous trahit. Comme l affirme le narrateur dans la page 32 :

« j’aurais voulu rapporter chacun de ses notes, mais ma mémoire est étroite et mon éloquence est poussive, et bien des éluminures de son m’apparaîtront plus jamais, hélas ! dans aucun livre »12

Le texte ici est entre le document historique et l uvre d imagination, l auteur brouille de surcroît la distinction entre le fictionnel et l historique en documentant la vie des personnages imaginaires avec des notes parfaitement inventées. Comme c est le cas de « Cheikh Astaghfirullah », « Haroun le furet » ou encore le médecin « Abou Amr », etc.

Le véritable coup de théâtre narratif permet à l auteur de tisser un récit beaucoup plus fluide et bien plus immersif que ne le permettent les conventions du discours historique.

Par la narration, le lecteur est transporté en imagination sur les lieux mêmes de la jeunesse du narrateur.

Mais si Amin Maalouf augmente l inventaire du monde réel avec des individus imaginaires, il recourt toujours à des techniques narratives typiquement fictionnelles, telles que la recréation du dialogue ou la présentation des pensées intimes de Léon.

hybridation entre les deux types du discours est devenue en critique moderne chose courante. Selon Dorit Cohn, auteur du livre « the distinction of fiction », les transgressions sont en quelques sorte l exception qui confirme la règle : « les biographies qui se comportent comme des romans, loin d’effacer la frontière entre les deux genres, ont au contraire l’effet de souligner la différence qui les sépare ».21

Cependant, il n y a pas besoin de frontière, parce que tout discours narratif est représentationnel, donc tout discours historique, est une forme de fiction.

« le discours historique est essentiellement élaboration idéologique, ou, pour être plus précis, imaginaire » ; « l’historien est celui qui rassemble moins des faits que des signifiants et les relate, c'est-à-dire les organise aux fin d’établir un sens positif et de combler le vide de la pire série »32. dans sa défense de la fictionnalité fondamentale du discours historique, Barthes entrouvre toutefois la porte à une autre approche du problème : « le fait n’est jamais qu’une existence 1

– Amin Maalouf, Léon l Africain p. 32.

2

– Cohn, Dorit. The distinction of fiction, Battimore, 1999, p. 45. in. http//www.fiction.org.

3

linguistique (comme un terme d’un discours), et cependant tout ce passe comme si cette existence n’était que la « copie » pure et simple d’une autre existence, situé dans un champ extra-textuel, le « réel ».13

en représentant le texte comme une autobiographie imaginaire l auteur délègue la responsabilité des actes du langage dont il est fait, à un remplaçant personnage narrateur.

Pour David Lewis, théoricien de la pluralité des mondes possible, la fiction est une histoire raconté en tant que vraie par un narrateur situé dans un autre monde que le nôtre. L énoncé fictionnel donc est un discours capable de référence et ne diffère du discours non référentiel que par le monde auquel il se réfère.

Le roman ici réfère à Léon l Africain, il décrit la réalité historique, et importe un « alter égo » de Léon dans le monde textuel.

Enfin, toutes ces explications reposent sur des notions discrètes : ou bien nous faisons semblant, ou nous faisons vraiment ; ou bien nous nous jouons.

Ce qui est sûr c est que le narrateur est un autre, même, si cet autre est « l alter égo » de l auteur dans un monde actuel.