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L’école à La Réunion : un état des lieux plutôt négatif

1.2.1 Le facteur structurel . . . 35 1.2.2 Le facteur socio-économique . . . 37 1.2.3 Le facteur linguistique . . . 41 1.3 (Re)mises en question . . . . 44 1.3.1 L’urgence linguistique . . . 44 1.3.2 Place au créole dans la politique linguistique actuelle . . . 47 1.3.3 Les débuts du premier degré : priorité et lacunes . . . 53 1.3.4 Didactique du français : quel point de départ et quel point

d’arrivée ? . . . 56 1.3.5 Pertinence de la prise en compte du créole à l’école . . . 70 1.4 Perspectives . . . . 85 1.4.1 Bilan . . . 85 1.4.2 Notre objectif : poser les préalables essentiels à une évaluation-

bilan . . . 88

Dans ce chapitre, nous cherchons à exposer la finalité de notre travail et les ques- tionnements à partir desquels nous forgeons notre recherche. La première section qui le compose tente de présenter les difficultés auxquelles doit faire face l’école réunion- naise d’aujourd’hui (section 1.1). Le but est de passer au crible de la critique les trois causes généralement avancées pour expliquer ces difficultés (section 1.2 ). Notre hy-

pothèse est que non seulement la non maîtrise du français constitue un point névral- gique, mais surtout que les stratégies de didactique du français proposées actuelle- ment, qui prennent appui sur le créole et qui paraissent a priori judicieuses, requièrent un bilan actualisé des compétences réelles des apprenants dans cette supposée langue première comme dans la langue cible. Les lacunes concernant ce bilan autorisent en effet à s’interroger sur la pertinence de toutes ces propositions quant au fait de se ser- vir du créole à l’école alors que sa pratique serait en perte de vitesse tant chez les enfants que dans toute la société. Des questions sur la convenance des stratégies se conçoivent également selon nous quand il s’agit de définir des objectifs didactiques ou pédagogiques alors que la qualité des compétences en français en l’état n’a pas fait l’objet de réelles investigations (section 1.3). Cet éclairage permettra alors sans doute de mieux comprendre les raisons qui nous ont amenée à axer notre étude autour de l’élaboration d’une nécessaire double évaluation linguistique, et ce dès la maternelle (section 1.4).

1.1

L’école à La Réunion : un état des lieux plutôt négatif

Nombreux sont ceux qui s’accordent à dire qu’en ce qui concerne l’école à la Réu- nion, la situation reste "préoccupante" (Avis et Rapport du Conseil Economique et Social, in J.O, 1994 : 49). Cette vision pessimiste est assurément à relativiser si l’on considère que l’Académie peut se targuer de taux de diplômés en progrès d’année en année. Il faut savoir en effet que depuis trois décennies, en conséquence à la départementali- sation de 1946, ces taux suivent une courbe à progression constante. La Réunion, qui comptait ainsi par exemple très peu de bacheliers à l’époque coloniale, atteint désor- mais en 2006 un taux de réussite de plus de 80% pour le bac général et 72% pour le bac technologique. La situation n’est donc en réalité "préoccupante" que si les indicateurs de référence sont ceux de l’école métropolitaine. Dans ce cas là, il devient effective- ment difficile d’ignorer que les résultats actuels, même en progrès, demeurent dans l’ensemble en-deçà de ceux enregistrés pour la métropole, et s’accompagnent d’un taux d’abandon sans qualification très élevé :

« Les années 80 et 90 ont connu une progression remarquable de la po- pulation diplômée à La Réunion : la part des diplômés de l’enseignement supérieur a quadruplé, les diplômés de niveau V ont crû dans une mesure

comparable, et la proportion des individus ayant un niveau bac a plus que doublé. Ainsi celle de la population non diplômée ou seulement déten- trice d’un Certificat d’études primaires a-t-elle significativement baissé de près de 30 points. Mais, concernant cette dernière catégorie, l’écart relatif avec la métropole s’est accru : il y a aujourd’hui proportionnellement 1,7 fois plus de personnes non ou faiblement diplômées à La Réunion qu’en métropole » (Rectorat de La Réunion, 2008 : 9)

Le fort taux de non diplômés ou de faiblement diplômés se double par ailleurs d’une déscolarisation massive. Par comparaison, le taux de scolarisation des 16-19 ans est in- férieur de 12,3 points au taux métropolitain, et davantage encore concernant les plus de 19 ans (Rectorat de La Réunion, 2008 : 87-88). De fait, les écarts de résultats avec la métropole sont manifestes tout au long des cycles scolaires. Ainsi, en fin de troisième, le taux de réussite au diplôme national du brevet des collèges1se situait en 2005 tou- jours en-deçà de la moyenne nationale (- 7,3 points). Dès les débuts du collège par ailleurs le taux de redoublement est nettement plus important qu’en métropole :

« Le taux de redoublement en 6ème se maintient autour de 10% depuis 1999. En collège, les taux de redoublement dans l’académie qui étaient su- périeurs de 4 à 5 points à la moyenne nationale il y a dix ans, se sont rap- prochés des taux métropolitains, sauf en sixième. Pour ce niveau, l’écart entre les taux qui était minime jusqu’en 1999 n’a cessé de se creuser pour atteindre 3,7 points en 2005. Le taux de redoublement en 6e est en effet de 9,8% à La Réunion contre 6,1% en métropole en 2005. » (Rectorat de La Réunion, 2008 : 66)

Les résultats aux tests nationaux d’évaluation diagnostique, effectués tous les ans à la rentrée de septembre en sixième, montrent parallèlement des écarts éloquents notam- ment en français :

« A chaque rentrée scolaire, les élèves de 6ème font l’objet d’une évaluation diagnostique de leurs acquis en français et en mathématiques. Les élèves évalués à la rentrée 2005 dans l’académie ont en moyenne réussi à 45,8 % des items en français et à 50,8 % en mathématiques. En métropole, les

1. Brevet : le diplôme national du brevet sanctionne la formation dispensée au collège. Il est attribué sur la base des notes obtenues à l’examen (français, mathématiques, histoire-géographie) et des résultats des classes de 4e et de 3e.

scores moyens s’élèvent respectivement à 58,5 % en français et à 63,9 % en mathématiques » (Rectorat de La Réunion, 2008 : 74)

Ces résultats sont eux-mêmes en adéquation avec ceux du primaire, comme le confirment les données disponibles sur le site de l’académie de La Réunion :

« L’analyse des résultats aux évaluations réalisées auprès des classes de CE2 et de sixième révèle des écarts significatifs entre les performances académiques et la moyenne nationale. Malgré les progrès réalisés ces der- nières décennies, de trop nombreux élèves sont encore aujourd’hui confron- tés à des difficultés qui obèrent leurs perspectives d’avenir. » (Académie de La Réunion, 2007)

Malgré des progrès notables donc, le bilan négatif dressé à partir de tous ces indi- cateurs peut se révéler alarmant si l’on considère que les moins de 20 ans constituent les deux-tiers de la population et que le taux de natalité reste très élevé sur l’île. Le nombre important de ruptures de scolarisation sans qualification alimente en effet de plus en plus les risques de ruptures sociales, dans un département où le taux de chô- mage avoisine les 40 %, comme l’analysent Simonin et Wolff :

« Quant aux jeunes sans qualification, de loin les plus nombreux, leur ave- nir est fortement bouché. Ce sont des facteurs de violences scolaires et so- ciales, comme l’indique une montée sensible de la délinquance juvénile et des incivilités, ainsi qu’une augmentation d’une criminalité toujours plus dure. Il en résulte une plus grande fragmentation sociale et économique des familles et des groupes de jeunes. Un accroissement des inégalités que la scolarisation dans ses effets pervers vient accentuer. » (Simonin & Wolff, 2002 : 118)