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Conclusions sur la délimitation théorique de l’objet

En s’inscrivant dans l’étape de la référentialisation consacrée à la phase explora- toire, ce chapitre a tenté de délimiter l’objet de notre évaluation à partir d’investiga- tions sur le plan théorique. Après un cheminement porté par l’intérêt pour les fron- tières entre créole et français, la prise en compte des mélanges dans les évaluations lan- gagières et la circonscription de la compétence d’un "bon locuteur", nous en sommes arrivée à la conclusion qu’il ne serait pas déraisonnable de centrer notre évaluation sur celle des compétences morphosyntaxiques des enfants en créole et en français. Cette binarisation de l’évaluation devrait permettre de déterminer notamment si les mé- langes entre créole et français (que plébiscitent les variationnistes et interactionistes, mais que de nombreux enseignants persistent à chasser), sont le fruit de compétences "lacunaires" en créole et/ou en français ou au contraire d’une bonne maîtrise du créole et du français.

Toutefois, il nous semble que ce cadre qui nous a paru le plus adéquat gagnerait à être éprouvé en contexte réel afin que nous puissions en saisir la portée et les limites. En effet, notre hypothèse est que si nous avons accepté, pour répondre aux objectifs de notre évaluation, de rigidifier les frontières entre créole et français et de poser comme postulat qu’il s’agit de deux lectes distincts, la proximité du français et du créole ne sera pas sans influence sur la portée d’une évaluation binarisée auprès de jeunes en- fants.

Bien que l’autre versant de la phase exploratoire ne saurait être réduite à cela, c’est cette hypothèse qui selon nous devra la guider, afin que les résultats des investiga- tions théoriques menées puissent être utilisés avec discernement. En sus de favoriser la connaissance plus approfondie du public en question, il s’agira notamment, grâce à nos investigations de terrain, de montrer en quoi consisterait l’éventuelle influence évoquée, et d’apprécier la faisabilité d’une évaluation avec la perspective binarisée définie plus haut.

En abordant les grands principes qui prévalent dans l’évaluation langagière en gé- néral, nous avons vu que les épreuves s’orientaient généralement vers quatre activités langagières à l’oral et à l’écrit : compréhension (réception), production (expression), interaction et médiation. Mais si l’on s’intéresse de nouveau aux travaux de Rondal (1997), on constate que celui-ci prône qu’une évaluation complète du langage exige idéalement que l’analyse des données se fasse à partir d’échantillons de langage pro- voqué (issus de situations de testing formel) et d’échantillons de langage spontané (issus des productions spontanées des sujets).

Tous ces paramètres devront, il nous semble, retenir également notre attention dans la prochaine étape.

Investigations de terrain

Sommaire

5.1 Présentation des lieux d’enquête . . . 170 5.1.1 Centration sur Saint-Benoît . . . 171 5.1.2 Diverses priorités . . . 173 5.2 L’échantillonage . . . 174 5.2.1 Choix des écoles . . . 174 5.2.2 Choix des classes . . . 178 5.2.3 Choix des enfants . . . 179 5.3 Les moyens d’investigation . . . 179 5.3.1 Démarche ethnologique . . . 179 5.3.2 Conservation des données recueillies . . . 182 5.3.3 Supports de recueil de données . . . 183 5.4 Résultats . . . 188 5.4.1 Remarques préliminaires . . . 189 5.4.2 Constats et implications . . . 203 5.5 Bilan pour notre évaluation . . . 221

L’enquête de terrain de notre phase exploratoire présente deux objectifs :

1. Elle doit nous permettre d’effectuer une première approche concrète du terrain, de nous plonger dans l’univers quotidien des enfants que nous allons évaluer et du pré-scolaire en général. Outre de savoir à qui et à quoi on a affaire, il nous importera de sonder ce qu’il nous serait possible d’effectuer au niveau des épreuves, de connaître et de gérer les réactions des enfants par rapport au recueil

de langage provoqué et spontané, et les difficultés d’ordres divers que nous au- rons à surmonter.

2. Cette enquête est également censée nous permettre de répondre à l’hypothèse que nous avons émise dans le chapitre précédent et de déterminer, le cas échéant, en quoi la proximité des langues influerait sur une évaluation effectuée à partir du cadre binaire dressé suite à nos investigations théoriques.

Ce chapitre tentera tout d’abord de rendre compte de la planification et de la mise en place de cette phase exploratoire. En ce sens, la première section s’attachera à pré- senter les lieux de notre enquête, la seconde, les paramètres qui ont guidé le choix de notre échantillon d’informateurs. Nous détaillerons ensuite dans une troisième sec- tion, l’approche pour laquelle nous avons opté concernant le recueil de données. Dans un deuxième temps, nous aborderons les constats que nous avons été amenée à faire lors de ces investigations et les implications qui en découlent pour notre référentiali- sation. Ceci constituera l’essentiel de la quatrième section. Enfin, au terme de ce che- minement, nous ferons un bilan de tout ce que cette phase exploratoire peut apporter à notre référentialisation, notamment en termes de portée de notre évaluation.

5.1

Présentation des lieux d’enquête

Si la perspective de répondre aux questions que nous avons posées à la fin de nos investigations théoriques a orienté certaines de nos observations, nous n’avons pas attendu d’arriver au terme de nos recherches théoriques pour commencer nos investigations exploratoires sur le terrain. En réalité, nous sommes allée dans les écoles maternelles dès le début de nos recherches afin de nous familiariser avec le public des "futurs" évalués.

Nos investigations se sont principalement axées autour des enfants de grande sec- tion, âgés de 5 à 6 ans en moyenne. Nous avons choisi majoritairement de les observer dans le cadre des écoles car l’endroit nous a paru le plus adéquat pour appréhender le maximum d’enfants sur une longue durée, dans une même journée et durant plu- sieurs jours ou semaines consécutifs. Ceci étant, nous avons également observé quatre enfants réunionnais de 4 à 6 ans, hors cadre scolaire et trois enfants non encore scola-

risés. Par ailleurs, pour avoir une plus grande vue d’ensemble, nos observations ont aussi concerné des petites sections (PS) et des moyennes sections (MS), soit des enfants âgés de 3 ans à 5 ans.

5.1.1 Centration sur Saint-Benoît

Vu le nombre d’établissements scolaires sur l’île, nous ne pouvions aller dans toutes les écoles. En fait, nous avons centré nos recherches sur une commune, celle de Saint-Benoît, située sur la côte est, à une quarantaine de kilomètres de Saint-Denis, le chef-lieu du département.

FIGURE5.1 – Carte de l’île de La Réunion. Source : reunion.pref.gouv.fr

Saint-Benoît est la deuxième commune de l’île en superficie (230 km2). Elle héberge l’une des trois sous-préfectures réunionnaises et compte environ 33 000 habitants. Sa population est jeune. On peut noter que le taux des moins de 19 ans correspond à 37 % de la population totale de cette commune semi-urbaine (estimations INSEE (2008)).

Cette dernière présente malheureusement un taux de chômage très élevé. En effet, seuls 32 % de la population des ménages de 14 ans ou plus ont un emploi et selon le contrat Urbain de Cohésion Sociale pour Saint-Benoît, daté du 27/03/2007, on ap- prend que « la commune connaît un taux de chômage de 48 %, supérieur à celui de l’ensemble de la Réunion (37 %) et [que] seulement 15,3 % des foyers fiscaux sont imposables sur le revenu ».

Si son économie est restée longtemps tournée vers l’agriculture (axée notamment vers la culture des fruits et de la canne à sucre), l’essentiel des emplois se concentre dans les services, comme sur la majorité de l’île.

Au niveau culturel, les infrastructures sont peu nombreuses : on y trouve un petit cinéma, réouvert depuis peu, qui accueille annuellement un festival du court-métrage, un conservatoire de musique, une médiathèque et un théâtre

Concernant l’enseignement supérieur, on recense une école d’ingénieurs (Supinfo). Le secondaire est doté de trois collèges publics, et quatre lycées publics (deux d’ensei- gnement général et technologique et deux d’enseignement professionnel). Dans le pri- maire, la ville compte 7 écoles maternelles publiques, 11 écoles primaires publiques, 5 écoles élémentaires publiques et 2 écoles primaires privées.

Plusieurs raisons justifient le choix de ce territoire pour notre enquête :

— des raisons pratiques : logeant à Saint-Benoit et n’ayant pas encore obtenu notre permis de conduire à l’époque, il nous semblait plus aisé de choisir des écoles de cette circonscription pour être présente sur de longues périodes en leur sein, dès le matin (8h00 ou 8h30).

— des raisons pragmatiques : étant bénédictine d’origine, notre réseau de connais- sances nous facilitait grandement l’entrée dans les écoles et l’accès à des infor- mations "implicites". En outre, nous avions des connaissances communes sur les référents spatiaux, sociaux et culturels des enfants (ex : quartier d’habita- tion, manifestations locales...), ce qui facilitait les échanges avec eux.

— des raisons linguistiques : en choisissant une unité géographique, nous élimi- nions les biais éventuels à propos des normes langagières différentes entre "ob- servateur" et "observés".

constats, nous avons voulu faire déborder nos observations du cadre de cette circons- cription en allant également dans des écoles maternelles paloises (Pau étant la ville du Sud-Ouest de la métropole où nous demeurions une partie de l’année) et une école maternelle d’une ville des Hauts du Sud de l’île, Le Tampon, où le créole est réputé être acrolectal (cf. 5.1 plus haut)1.

Nous rappelons que toutes les écoles maternelles de La Réunion suivent, comme celles de métropole, les grandes instructions des "programmes nationaux" pour les trois cycles de Maternelle. Dans les Bulletins Officiels et les ouvrages publiés par le Ministère de l’Education National, la maîtrise de la langue figure comme fer de lance, depuis plusieurs années et encore en 2008 :

« L’objectif essentiel de l’école maternelle est l’acquisition d’un langage oral riche, organisé et compréhensible par l’autre. » (Ministère de l’Educa- tion Nationale, 2008 : 1)2

Les écoles réunionnaises dans lesquelles nous avons mené nos enquêtes n’appliquent pas de prise en compte spécifique de la langue créole et usent du français comme médium d’enseignement de la petite à la grande section.

5.1.2 Diverses priorités

Notre présence dans les écoles s’est étalée sur plusieurs périodes (où nous restions toute la journée, de l’entrée à la sortie des classes) répondant à des priorités diffé- rentes. Cependant, on peut considérer que l’attitude de veille que nous avions prise dès la première période a été constante. Nous avons privilégié trois grands axes et une période d’ajustements finaux :

Prises de contact, immersion en maternelle, enquête exploratoire :

— Une dizaine de jours en novembre 2003 : à Saint-Benoît, dans diverses classes de maternelle de deux écoles bénédictines, ce qui nous a permis par ailleurs de présenter notre travail aux enseignantes et de préparer une période d’observa-

1. Nous concevons, bien entendu, que malgré ces précautions, nos référents pourraient être qualifiés de "est-centrés", notamment pour le créole exploité dans nos enquêtes. Mais nous assumons le fait que notre référentiel ne perdra pas de sa rigueur à être enrichi, après ce travail, grâce à des locuteurs natifs d’autres régions de l’île.

tion plus longue prévue pour le dernier trimestre scolaire.

— De janvier à début avril 04 : à Pau, quatre fois par semaine, alternativement dans une école primaire bilingue franco-occitane (observation de toutes les classes, de la petite section jusqu’au CM2) et dans une école maternelle située en ZEP.

— De fin avril à début juillet 04 : à La Réunion, dans trois écoles de la circons- cription de Saint-Benoît (périodes variables selon les écoles) et une semaine en continu dans une école du Tampon.

Ajustements de la première partie des épreuves (priorité = pré-tests en français) :

— De janvier à mi-février 05 : à Pau, dans deux écoles classées en ZEP. Deux semaines dans une école située entre une zone pavillonnaire et une zone de HLM, et le reste du temps dans une école située au milieu de HLM.

— D’avril à juin 05 : à Saint-Benoit dans une école maternelle.

Ajustements de la deuxième partie des épreuves :

— De mars à juin 06 : à Saint-Benoit (priorité = pré-tests en créole).

Ajustements finaux, en français et en créole : — De mars à juin 2007 : à Saint-Benoît.

Dans ce chapitre, nous rendrons compte uniquement des résultats ayant trait aux investigations exploratoires sur le terrain. Même s’ils se sont parfois confondus avec ces dernières et si nous y ferons de temps en temps allusion, les aspects relatifs aux pré-tests des épreuves seront traités dans la troisième partie, consacrée aux paramètres de la conception des tâches d’évaluation.