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G. Qualités pour agir en justice

1. Légitimation active

Si les considérations sur la légitimation active ne prennent généralement pas beaucoup de place, Donellus consacre néanmoins à cette question un chapitre entier. Il rappelle d’abord le principe de la lex Aquilia, selon lequel l’action

en justice appartient au propriétaire dont la chose a été tuée ou détériorée1. Il en tire deux conclusions: Premièrement, les choses sans maître ne sont pas protégées par la lex Aquilia. Deux cas l’intéressent plus particulièrement. Le premier traite de la masse successorale qui serait endommagée avant le par-tage. On pourrait considérer qu’elle n’ait pas de véritable propriétaire jus-qu’au moment où l’héritier recueillera son bien. Comme déjà les juristes ro-mains, Donellus pense, nous le verrons, que l’action reviendra à l’héritier dès qu’il sera propriétaire de ses biens. Le second cas concerne l’homme libre.

Même s’il peut paraître étonnant que l’homme libre soit traité dans ce con-texte, il est vrai qu’il n’a pas de maître et ne pourrait, au sens strict du terme, être considéré comme le propriétaire de ses propres membres. Mais surtout, il n’a pas de valeur commerciale, puisqu’il ne peut (en principe) pas être mis en vente. D’où le problème de savoir combien vaut une blessure physique qui lui a été infligée, étant donné que la valeur de référence pour calculer le dom-mage est toujours le prix du marché. Pour résoudre ce problème, Donellus s’inspira du droit romain et ouvrit à l’homme libre la voie au dédommage-ment non pas avec l’actio legis Aquiliae, mais par un moyen parallèle, en l’occurrence une actio utilis2.

La seconde conclusion que tira Donellus concerne les choses qui appar-tiennent à un propriétaire. Celui-ci est le seul titulaire de l’action de la lex Aquilia. Donellus reprend ici à nouveau le cas de figure du légataire dont la chose a été endommagée avant qu’il n’en soit devenu propriétaire et explique par quelle astuce on peut le protéger. Il considère que, une fois que le léga-taire a recueilli le legs, son droit de propriété remonte rétroactivement au moment du dommage. Cette fiction permet de mettre le légataire au bénéfice de l’actio legis Aquiliae.

Le principe selon lequel le propriétaire de la chose endommagée est le seul à avoir la légitimation active est généralement partagé. Grotius, Pufen-dorf et Domat l’admettent implicitement et Thomasius le souligne briève-ment: «[Le droit, B.W.] d’exiger la réparation du dommage infligé à sa chose découle [du droit, B.W.] de la propriété»3. Par conséquent, l’action appar-tient au seul propriétaire de la chose4.

1 DONELLUS, Opera X, Ad tit. D. ad Legem Aquiliam, Cap. II, pp. 7s.

2 DONELLUS, Opera X, Ad tit. D. ad Legem Aquiliam, Cap. II, pp. 7s

3 «Damni in re sua dati reparationem petere ex Dominio fluit», THOMASIUS, Larva, §10.

4 THOMASIUS, Larva, §11.

Avec Donellus, Pothier est sans doute l’un des juristes qui s’est le plus occupé des questions de légitimation active et passive. Il rappelle d’abord la règle généralement acceptée, selon laquelle la lex Aquilia accorde la légitima-tion active au propriétaire5. Pour certains cas spécifiques, il propose toute-fois une modification de la notion de propriétaire: «La lex Aquilia appelle propriétaire non pas toujours celui qui l’était au moment où le dommage a été infligé...»6. Cette solution habile que nous avons aussi trouvée chez Donellus permet de trancher notamment les cas de procédures successorales en cours dans lesquels l’héritier n’a pas encore acquis les droits nécessaires pour in-tenter une action ou ceux dans lesquels, au moment du dommage, le proprié-taire est par exemple empêché d’agir parce qu’il se trouve entre les mains de l’ennemi. En distinguant entre l’acquisition du droit réel sur la chose (ou la possibilité d’exercer l’action) et le moment où la chose est endommagée, Pothier sauve, dans certains cas de figure, les droits du lésé.

Dans sa discussion relativement approfondie des problèmes de légitima-tion, Pothier retient délibérément certains cas délicats. Il se demande, par exemple, quelle action est à disposition si on endommage mon aqueduc situé sur le sol d’autrui? Il met alors en évidence une distinction intéressante entre les moyens procéduraux du propriétaire stricto sensu, qui est le seul à être protégé par l’actio legis Aquiliae, et d’autres personnes lésées. Même si les matériaux de construction m’appartiennent – caementa mea sunt –, je ne suis pas réellement propriétaire de l’aqueduc, et cela, ajoutons-le, en vertu du principe superficies solo cedit. Par conséquent, dit Pothier, il est préférable de m’accorder une actio utilis qui est plus souple et qui peut être adaptée aux particularités du cas concret7. La même astuce procédurale – dont les juristes romains s’étaient déjà largement servis – peut du reste aussi sauver l’homme libre qui a été blessé. N’étant pas propriétaire de son corps, il n’a en principe pas la légitimation active. C’est à nouveau l’actio utilis qui permet de con-tourner la rigidité procédurale découlant de la lex Aquilia8 et de mettre l’homme libre au bénéfice d’un dédommagement.

5 POTHIER, Pandectae lib. 9, tit. 2 Ad legem Aquiliam, sect. 2, §1,30ss.

6 «Dominum enim lex Aquilia appellat, non utique eum qui tunc fuerit quum damnum daretur ...», POTHIER, Pandectae lib. 9, tit. 2 Ad legem Aquiliam, sect. 2, §1,31.

7 POTHIER, Pandectae lib. 9, tit. 2 Ad legem Aquiliam, sect. 2, §1,34.

8 POTHIER, Pandectae lib. 9, tit. 2 Ad legem Aquiliam, sect. 2, §1,36.