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4 Quatrième partie

4.2 Processus

4.2.10 Jeux des masques

« Il y a trois sortes de masques : ce que nous sommes, ce que nous croyons que nous

sommes, et ce que nous avons tous en commun » (Jacques Lecoq).

Un masque est un dispositif se plaçant devant le visage. Porter un masque se fait pour différentes raisons : dissimuler son visage, représenter un personnage, symboliser une émotion, ou encore se protéger. L’utilisation du masque remonte à l’antiquité, où il se retrouve tout particulièrement chez les Grecs, les Egyptiens et les Romains. Chez les Grecs

153 on utilisait les masques pendant les cérémonies dédiées à Dionysos, tandis que les Romains en faisaient usage pendant les Saturnales et lors des représentations théâtrales.

Le Moyen Âge tenait le masque en grande estime et l’utilisait abondamment, par exemple lors de la célébration de la fête de l’âne ou de la fête des fous. Dans les tournois, certains chevaliers désirant conserver leur identité secrète pouvaient aussi en faire usage. Les carnavals, notamment celui de Venise, ont privilégié le port du masque dans sa dimension symbolique.227

Chez les Grecs et les Romains, le masque était une sorte de casque qui recouvrait entièrement la tête. Il pouvait être orné de cheveux, de barbe ou d’oreilles pastiches. Les Grecs furent les premiers à en faire usage au théâtre par soucis de ressemblance entre acteur et personnage interprété.

Les masques sont utilisés dans divers rituels, sociaux et religieux, et figurent alors quelques personnages mythique ou spirituel.

Certaines cultures estiment que le port du masque permet à son utilisateur de prendre les qualités de ce qu’il représente – un masque de léopard permettant d’hériter des facultés de l’animal sauvage.

Au Mexique et en Amérique Centrale, la plupart des villes sont nommées d’après un nom ou un prénom indien : par exemple Santiago Tianguistenco ou Santa Maria Axixitla.

Chaque ville au Mexique fête annuellement le jour de son Saint par un carnaval combinant des influences issues de traditions chrétiennes et autochtones. Au cours de ces rassemblements ont lieu des défilés, et différentes pièces de théâtre de rue. Les masques et les costumes de ces festivals deviennent souvent des objets de collection. Un masque typique utilisé au cours de ces festivals est le masque appelé « dansé ». Ces masques peints, faits à la main, sont généralement constitués de bois et de cordes.

Ils peuvent présenter des cornes, des dents d'animaux ou des pneumatiques comme ornements (Aslan, Barrault, Bablet. 2005)228.

227

Voir : Bouvier. , A. 2004.

154 En Afrique, principalement en Afrique de l'Ouest, les masques jouent également un rôle important dans les cérémonies et les danses traditionnelles. Les masques traditionnels roumains ont des fonctions rituelles. « Entre Noël et le Nouvel An, dans la plupart des villes

de Roumanie on exécute la danse de la chèvre, de l’ours, du mouton et des autres animaux » (Aslan, Barrault, Bablet. P. 145)229. Les masques traditionnels roumains sont fabriqués en tissu ou en bois, avec des cornes et des peaux d'animaux (d'ours et de chèvre) décorées avec des rubans et des morceaux de miroir230.

L'utilisation de masques dans les jeux et le théâtre de la Grèce antique a d’abord été développée à des fins cérémonielles. « Les masques sont également une caractéristique

déterminante du théâtre japonais. Le mot anglais « perso n» (personne) vient d'un mot latin utilisé pour désigner un masque de théâtre par-sona = "sur son" (par le biais du son) = « ce qui vient à travers la voix de l'acteur ». Le prosôpon, grec ancien = "visage" signifiait à l'origine "avant le" visage, c'est à dire "Masque de théâtre" (Aslan, Barrault, Bablet. P.

98.)231.

Des masques en latex sont utilisés au cinéma dans le cadre de certains maquillages élaborés et à des fins d’imitations.

Dans Le Livre des masques de l'antiquaire et collectionneur Francesco Ficoroni232, on peut consulter les différents types de masques qui ont été utilisés dans le théâtre médiéval ou dans l'art funéraire romain. On peut en trouver 85 copies réalisées par Cesare Mazzoni et Pomerade.

Les masques sont également utilisés pour fournir une aura de mystère aux lutteurs professionnels, en particulier au Mexique. En effet dans certains pays, il est courant de lutter masquer afin d’incarner le personnage auquel le pseudonyme ou le nom du lutteur fait référence. 229 Idem. 230 Idem. 231 Idem.

232 Francesco de Ficoroni (1664-1747) était un antiquaire italien expérimenté né à Rome, étroitement impliqué

dans le commerce d’antiquités. Il est l'auteur de nombreuses publications sur la sculpture antique et notamment romaine ; de guides pour les monuments romains ; d’une topographie de la ville ancienne ; et d’études sur le théâtre italien et ses masques.

155 Certains crimes sont commis masqués pour éviter toute identification du criminel. En droit pénal le port d'un masque est une infraction aggravante lors de la perpétration d'un crime. Son port est aussi considéré comme un délit lors d’assemblées ou de manifestations publiques. Enfin, certains témoins apparaissent parfois masqués dans le cadre d’une procédure judiciaire afin de ne pouvoir être identifié par l’accusé.

Le masque « Honteux » (« Schandenmaske » en allemand) est utilisé à des fins d'humiliation publique : le bonnet d'âne par exemple, est placé sur la tête du mauvais élève. Un autre type de masque, comme le masque de fer, particulièrement inconfortable, est utilisé comme instrument de torture.

Les masques africains

Les masques africains jouent un rôle important dans les cérémonies et les danses traditionnelles. Ils se classent dans l'une des quatre catégories suivantes : esprits des ancêtres, esprits des héros mythiques, une combinaison des deux précédentes catégories, et enfin esprits d’animaux. Ils sont d’une grande importance notamment lors des cérémonies funéraires. Dans le langage, il désigne à la fois la personne qui le porte et le masque lui- même (Aslan, Barrault, Bablet.2005)233.

Le masque est un objet de bois sculpté habité par un « esprit » ou un « génie ». Il s'agit d'un « être sacré » qui a une fonction d'harmonisation sociale. Dans les sociétés traditionnelles, le masque est religieux, politique et social. C'est le médiateur entre Dieu, les ancêtres et les hommes. Son rôle se retrouve au cœur des décisions politiques ; il accompagne la plantation et la récolte ; il punit les criminels ou encore assure la continuité de la connaissance. A sa naissance on donne un masque à l'enfant. Il lui permettra de devenir adulte, lui montrera le chemin de la sagesse, et l'accompagnera jusqu’à son lit de mort. Durant l'époque coloniale, de nombreux masques furent détruits par les « missionnaires » qui voyaient en eux une force pouvant dangereusement concurrencer la religion qu’ils apportaient.

156 Comme la plupart des pays africains, la Côte-d'Ivoire n'a jamais autorisé l'exportation de masques « authentiques ». Par ailleurs une résolution adoptée par l'UNESCO interdit l’exportation des masques et statues africaines depuis le début de l’année 1990.

Pour les cultures africaines en général, la fonction du masque est toujours privilégiée sur sa forme, la beauté de l’objet en tant que tel étant secondaire.

En 1914, dans les cours de l’école du théâtre du Vieux-Colombier à Paris, Jacques Copeau introduisit au travail corporel l’usage de masques issus du théâtre Nô japonais234. Il s’en inspira pour créer un masque en papier mâché, « le masque du calme et du silence ». Jean Dasté235, bon élève de Jacques Copeau, développa la technique du masque inexpressif, appelé « masque noble », en s’inspirant quant à lui d’un modèle tiré de la culture française (Bouvier, A. 2004.)236 En 1924 Charles Dullin et Etienne Decroux prirent la direction de l’école du théâtre du Vieux-Colombier, et développèrent à leur tour les recherches en technique gestuelle.

De la même manière que Copeau, Jacques Lecoq créa un masque neutre avec l’aide de l’italien Amleto Sartori237. Après une période de recherches, le masque devint l’outil pédagogique privilégié de Jacques Lecoq. Ce dernier était un jeune gymnaste, physiothérapeute et professeur d’éducation physique et sportive. Après la guerre, il fit ses études en interprétation, mime, expression corporelle et en danse. Son étude des gestes sportifs et ses recherches autour de l’entrainement physique de l’acteur menèrent Jaques Lecoq à découvrir « la géométrie du mouvement corporel »238. A partir de ce concept il définit alors « le mouvement du corps dans l’espace poétique », fondant ainsi les bases de sa pédagogie.

234Le théâtre Nô est un théâtre purement traditionnel du Japon. Il est construit à partir d’une conception

religieuse et aristocratique de la vie. Le Nô allie des chroniques en vers à des pantomimes dansées. Arborant des costumes somptueux et des masques spécifiques (y il a 138 masques différents). La conception des masques au théâtre Nô mêle des éléments réels et symboliques, leur but étant de renseigner sur le type de personnage ainsi que sur son humeur.

235

Jean Dasté (1904-1994) fut un acteur, metteur en scène et directeur de théâtre. Ses travaux sur le masque ont été inspirés par la commedia dell Arte.

236 Voir : Bouvier , A.2004.

237 La conception d’Amleto Sartori sur le masque neutre fut l'objet de discussions entre Jaques Lecoq et lui-

même. Le masque fut initialement construit et modelé suivant les contours du visage de Sartori. Actuellement le fils d’Amleto a acquis ces techniques de création au Centro Maschere e Strutture Gestuali.

157 La fonction du masque neutre est de préparer le corps et l’esprit de l’acteur à l’ajout progressif des éléments constitutifs du rôle qu’il va interpréter, notamment son caractère et son développement. Le masque est ici considéré comme objet de pur présent, auquel aucune intention n’est prêtée ; il met l’individu dans un état de parfait équilibre et d’économie de mouvement. Dans cette perspective, le masque révèle les conflits intimes entre l’individu et son propre corps, et devient pour l’acteur son principal outil de référence.

Dès lors l’individu redécouvre son propre corps, apprend ses limites, ses possibilités, et réalise la manière dont il se met en contact avec l’espace. Le masque est ici une invitation à oublier son passé, ses angoisses et ses peurs. En d'autres termes il devient incitation à trouver plaisir dans l’observation, dans l’imitation, et dans la découverte des différents rythmes naturels. C’est une provocation visant à se libérer de son propre soi, à en atteindre les racines les plus primitives.

Le travail sur les masques permet de confronter le corps, avec un jeu d’une extrême précision, à sa capacité à exprimer sentiments et émotions. Chaque masque porte en lui les traits les plus caractéristiques de l’être humain. Ils tracent dans le corps du comédien et dans l’espace qui l’entoure les grandes lignes des émotions et des passions humaines. Le masque défini un rôle, précédant histoire et action.

Le masque me permis d’obtenir une idée claire et précise du personnage. Il est un indicateur de sa manière de bouger, de son caractère et de son rythme. Il a rendu le corps du sourd plus expressif, plus harmonieux, et contribua à la cohésion du groupe.

Les exercices avec masques étaient considérés comme une méthode de travail où le groupe avait l’occasion de jouer avec un objet, et ce pour la première fois au cours de la thérapie. J’ai pu constater qu’à son contact l’individu devenait plus dynamique et plus attentif aux instructions des thérapeutes. Le groupe m’a montré que le masque était non seulement un instrument de la thérapie, mais aussi un outil indispensable pour créer et explorer ses richesses (s’imaginer dans la peau d’un autre, inventer à plusieurs, caractériser un personnage, etc.)

158 Ce type de travail nécessite une grande disponibilité physique et se fait au détriment du jeu sur la physionomie, l’objectif étant de cacher l’émotion. Le masque élimine en effet la tentation de toute forme d’expression faciale.239

Le masque a joué pour chaque individu un rôle très important. Dès que le groupe s’en est saisi, il a subi une transformation, non seulement corporelle mais aussi émotionnelle. Le jeu des masques nous a permis de travailler individuellement la perception, le souffle, la tension et la coordination et, de manière collective, la capacité du groupe à construire, créer et innover.

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