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4 Quatrième partie

4.2 Processus

4.2.2 Improvisation

Le terme «improvisation» vient latin «improvisus»213et de l’italien «improvvisare». Le préfixe « in » est employé comme négation et « improvisation » signifie « ce qui n’est pas prévu ». Le second terme de l’expression est lui issu du grec « théatron », dérivé de « thea » : l’action de regarder, de contempler.

L’improvisation s’applique à tout type d’action, le qualificatif « théâtral » n’illustrant que l’une de ses applications parmi tant d’autres.

L'improvisation est la pratique d'agir ou de réagir dans l'instant, en réponse à son environnement immédiat et à ses sentiments. Elle est peut être créatrice de nouvelles pensées, pratiques, structure symboliques ou façons d’agir. Il peut en résulter l'invention de nouveaux schémas de pensée, de nouvelles pratiques, de nouvelles structures ou symboles, et/ou de nouvelles façons d'agir. Une connaissance approfondie de l’improvisation en fait un procédé des plus efficaces pour inventer.

L'improvisation peut s’appliquer à l’ensemble des activités humaines : artistiques, scientifiques, physiques, etc. Les techniques d'improvisation ont, elles, essentiellement été développées dans la musique, le théâtre et la danse. Le simple fait de parler exige une bonne dose d'improvisation, parce que l'esprit se penche sur sa propre pensée choisi ses mots, ses sons et ses gestes.

Sur scène on rencontre de grands moments d’improvisation, et d’autres plus ordinaires. C’est cette incertitude et la prise de risque qu’elle implique qui la rendent fragile et redoutable à la fois, et ceci quel que soit le domaine dans lequel elle s’exerce. Avec elle le résultat n’est jamais connu d’avance, ce qui rend les exercices où elle est pratiquée toujours uniques set originaux. C’est, pour un sourd, une épreuve pour l’estime de soi, un défi permanent avec lui-même.

141 L’improvisation est aussi ancienne que l’interprétation. Les premiers interprètes furent des conteurs. Du 16e au 18e siècle, la Commedia dell'arte improvisée était fréquente dans les rues d’Italie. Dans les années 1890, certains théoriciens et metteurs en scène comme le russe Konstantin Stanislavski ou le français Jacques Copeau, fondateurs de deux grands courants de l'action théorique, en faisaient un usage répété.

Dudley Riggs fut le premier écrivain de vaudevilles à utiliser les suggestions du public pour jouer des scènes improvisés214. L'improvisation théâtrale moderne pris forme notamment grâce à Viola Spolin dans les années 1940, 50 et 60, et est aujourd’hui connue sous le nom « de jeux théâtraux ». Dans les années 1970, le Canadien Keith Johnstone invente le Theatresports215, un des apports majeurs à la comédie d'improvisation moderne.

Viola Spolin peut être considérée comme la grand-mère américaine de l’improvisation. Elle a influencé la première génération de comédiens du Compass Players et de The Second City à Chicago. Ils furent les premières troupes d’improvisation moderne et sont à l’origine d’un véritable mouvement.216

Bon nombre des actuelles « règles » de l'improvisation comique furent établie à Chicago dans les années 1950 et 1960 par la troupe Compass Players de Paul Sills. David Shepherd en développa l’approche philosophique tandis qu'Elaine May la pratiquait intensément. Mike Nichols, Ted Flicker, et Del Close furent ses plus fréquents collaborateurs. Lorsque The Second City ouvrit ses portes le 16 décembre 1959, dirigée par Paul Sill, sa mère Viola Spolin commença la formation de nouveaux comédiens par une série de cours et d’exercices devenus la pierre angulaire de la formation à l’improvisation moderne. Au milieu des années 1960, les classes de Viola Spolin furent remises à Jo Forsberg, qui également développa ses méthodes. Ces classes, finalement, donnèrent naissance à l’Actors Studio de Chicago, la première école officielle d'improvisation aux Etats-Unis.

214

Voir: Salinsky, T.2008.

215 Le Theatresports est une forme de théâtre d'improvisation sous de concours pour un effet dramatique.

L'équipe adverse peut effectuer des scènes à partir des suggestions du public, et est notée par le public ou par un panel de juges. Développé par le directeur Keith Johnstone à Calgary, en Alberta, en 1977, le concept de Theatresports a son origine dans les observations de Johnstone sur les techniques utilisées dans la lutte professionnelle pour captiver et faire réagir le public.

216 Créé en 1971 par Joséphine Forsberg, l’Actors Studio de Chicago était la seule école officielle

d'improvisation pour plus d'une décennie. Bien qu'il n’ait jamais fait officiellement partie du théâtre de cabaret Second City, l’Actors Studio a souvent été considérée comme le deuxième théâtre de la ville.

142 L’improvisation est caractérisée par l’absence de texte. C’est cette absence de l’écrit qui la rend si imprévisible, et qui rend chacune de ses tentatives si différente les unes des autres.

Pendant plusieurs mois, l’improvisation fit partie prenante de la thérapie. Cette approche thérapeutique donna la possibilité de mieux connaître le groupe : chaque personne dû s’adapter aux situations fictives proposées par les thérapeutes, rendant possible l’étude de sa réaction à des situations inattendues.

Je fis découvrir aux participants que les situations imaginaires stimulent la créativité, et que cette dernière permet le désir de progresser dans la thérapie car elle fournit les outils pour faire face aux obstacles rencontrés (peur, honte, timidité, etc.) Demander aux personnes d’improviser c'était susciter leur spontanéité mais, plus encore, les pousser à être attentif à eux même et aux autres, à être ouvert aux propositions et y répondre, et à privilégier les solutions réelles aux idées préconçues.

L’improvisation est un processus thérapeutique dans lequel le participant joue sur un sujet préalablement choisi. Son interprétation possède un objectif spécifique et des éléments qui vont motiver l’action. Nos exercices ont commencé autour d’actions à réaliser et d’images décrivant ces actions.

Deux principes étaient à l’œuvre dans mon travail d’improvisation : le premier était de travailler sur des actions imprévues et non préparées ; le second d’avoir des objectifs clairs et précis donnés sous formes de consignes. Ceci nous permis de comprendre l’improvisation comme un exercice anthropologique pratique, un détour pour se penser autre.

Les exercices étaient inspirés de problèmes rencontrés dans la vie réelle des participants et susceptibles de tous les intéresser.

Le premier objectif était de contrôler ses émotions et d’arriver à ce que chaque personne abandonne, ne serait-ce que pour un instant, l’appréhension de ce qui pourrait arriver.

Le participant dû se mettre dans la peau de divers personnages et imaginer ces corps virtuels comme circonscrit à l’intérieur de sa propre réalité physique, y occupant le même

143 espace. Il a dû, inlassablement, s’appliquer à l’imaginer jusqu’à s’en faire une image claire et précise (jeu de rôles).

Une des facultés notable des membres du groupe était d’imaginer avec leur propre corps. J’ai indiqué que c’était là la concrétisation et le but de la réaction aux situations proposées.

Les sentiments et les émotions ont été sollicités grâce à l’histoire individuelle et à l’imagination. Pour chaque personne le défi a été d'imaginer un personnage dans une situation fictive. Elle devait être sensible à la présence plastique de son corps, ainsi qu’à la trace de son mouvement dans l’espace. Le groupe modèle des formes, séance après séance, et quand il parvient à la prise de conscience de son corps et de ses mouvements dans l’espace, il augmente ses possibilités expressives.

Dans tout le processus, le jeu dépendait presque entièrement de la capacité de chacun à interpréter, imaginer et reproduire les consignes données.

Le groupe voyait ses capacités à stimuler sa vie et son imagination augmenter à force d’observer les différentes démarches proposées.

La volonté est une condition fondamentale pour une improvisation réussie. Pour le groupe elle est importante pour chaque étape de la thérapie. La volonté permet d’améliorer ses relations aux autres, d'extérioriser sa personnalité et l’émotion ressentie.

Exercer une volonté signifie désirer quelque chose que l’on souhaite voir se concrétiser. Si le groupe travaille l’improvisation avec des désirs abstraits comme le bonheur, le pouvoir ou la peur cela ne lui servira à rien. C’est la concrétisation, l’objectivité du but qui rend la volonté.

Cela peut aboutir à l’invention de nouveaux modes de penser, de nouvelles façons d’agir, et modifier la conscience que l’on a des autres ; également de trouver la confiance nécessaire pour instinctivement et spontanément réaliser des choix.

Il fallait accéder à une disposition favorable à la créativité par le corps car c’est lui qui véhicule la « pensée ». Les exercices d’improvisation permirent de développer la sensibilité du corps des participants, par l’apprentissage des lois du mouvement, de l’équilibre, de la tension et du rythme.

144 Le groupe a pu, grâce aux moyens mis en place dans la thérapie, identifier les obstacles qui le freinaient dans le processus thérapeutique. Certains exercices étaient devenus des outils pour surmonter leurs résistances personnelles.

Nous avons travaillé sur des exercices collectifs mais aussi individuels. Chaque membre du groupe dû réaliser ceux dans lesquels il se sentait le mieux afin de contrôler son énergie, de surmonter ses résistances et sa peur, et de repousser ses limites. J’ai pu observer, tout au long du déroulement de thérapie, que la manière de se déplacer peut révéler une manière de penser.

Les exercices permettent de développer de nouvelles façons de se mouvoir, d'agir, d'écouter, qui ne pas doivent être le simple fruit d’une imitation, mais qui doivent atteindre la personne dans son être le plus intime.

Pour faire comprendre et ressentir l’essence du mouvement, j’ai mis en place des jeux d’enfants et des jeux de cirque. Le but n’était pas la qualité de la performance mais le plaisir de la découverte.

Tout comme un enfant découvre et expérimente le monde à travers les jeux, le sourd modifie également la conscience et la vision qu’il a de lui-même et de son environnement. Les jeux théâtraux affranchissent aussi de la crainte d’être jugé ; ils invalident tout jugement d’appréciation. « Perdants » et « gagnants » partagent un seul plaisir : celui de s’amuser.

En effet, les règles du jeu autorisent l’erreur. Ce qui laisse à chacun le choix de jouer, et le temps pour se préparer quelles que soient ses dispositions actuelles. Ainsi, une personne peu sûre d’elle peut-elle commencer par regarder les autres : elle observe, elle capte. Après un moment elle pourra jouer à son tour, délaissant le corps qui le tenait captive pour un autre, affranchi de ses anciennes peurs et lui ouvrant les portes d’un nouveau monde.

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