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Jeu entre Dieu et Satan ou épreuve de foi ?

PARTIE II : L’EXPÉRIENCE ÉTHIQUE DE L’HOMME

5. A SYMÉTRIE ET INCERTITUDE ÉTHIQUES DANS LE L IVRE DE J OB

5.4. Asymétrie, foi et jugement

5.4.2. Jeu entre Dieu et Satan ou épreuve de foi ?

Job ne sait pas jusqu’à la fin que Dieu l’a mis à l’épreuve. Il ne le saura d’ailleurs jamais explicitement. La raison est cachée à ses yeux et Dieu ne la lui révèle pas. La seule manifestation de Dieu aux yeux de Job suffit pour compléter son expérience éthique et lui faire voir le Sens de l’éthique. Dieu n’a pas besoin de le révéler à Job et d’ailleurs, nous ne sommes même pas en droit de l’exiger car Dieu est moralement indépendant comme nous l’avons vu avec Leibniz et que seuls les hommes dépendent de Dieu.

Avec une première lecture du livre de Job, un premier niveau d’information est atteint dans la compréhension des événements de Job : nous savons dès le départ que Satan met au défi Dieu d’éprouver la foi de Job et que celui-ci accepte :

« Hachem répondit au Satan : « Eh bien ! tout ce qui lui appartient est en ton pouvoir ; seulement, tu ne le toucheras pas lui-même. » Et le Satan se retira de devant la face de Hachem », Job, 1,12.

Puis, à la suite du premier défi, Satan se manifeste à nouveau devant l’assemblée de Dieu et il est écrit :

« Hachem dit au Satan : As-tu porté ton attention sur mon serviteur Iyov ? Certes, il n’a point son pareil sur la terre, tellement il est un homme intègre et droit, craignant Dieu et évitant le mal. Il persiste encore dans sa piété, bien que tu m’aies incité à le ruiner sans motif », Job, 2.3.

On remarque qu’à la fin de la première épreuve, i.e., du premier choc informationnel, Dieu sait que Job persiste dans son jugement positif à son égard puisqu’il est écrit : « Il persiste encore dans sa piété ». De plus, il semblerait que ce soit pour jouer avec Satan que Dieu accepte le parti car il est dit : « bien que tu m’aies incité à le ruiner sans motif ». Ainsi, à la question de Kierkegaard,

« (…) Comment l’individu sait-il qu’il s’agit d’une épreuve ? », La répétition, p.76.

Il convient de se demander si Dieu lui-même ne met pas Satan dans une position d’asymétrie d’information et que même pour ce dernier les raisons de Dieu sont cachées : Dieu fait croire à Satan qu’il accepte son pari « sans motifs » alors qu’en réalité, les intentions de Dieu sont de mettre à l’épreuve Job pour l’aider à éprouver en lui une « foi vive »121:

« Comment maintenant expliquer cette prétention de Job ? Voici : tout cela est une épreuve »,

La répétition, p.76.

120 Job, 9,20-22

Brian JABARIAN - Master 2 - UFR 10 Philosophie - Année universitaire 2015/2016

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Mais là aussi, nous sommes nous-mêmes conscients que c’est notre volonté de chercher du sens dans ce qui est à notre raison imperméable, les intentions de Dieu, et un sens qui a du sens qui nous pousse à voir dans ces écrits bibliques une métaphore cachant la véritable raison ; et penser que Dieu a la volonté conséquente de faire du mal pour le mal nous parait insensé.

Ainsi, les commentaires théologiques révèlent aussi nos conceptions de Dieu et signalent le rapport entre la foi et la volonté de croire. Nous croyons que l’intention fondamentale de Dieu est d’être bon envers Job. Et nous pensons que la volonté de Dieu envers les hommes est que ces derniers doivent chercher le sens ultime tout en sachant qu’ils ne pourront pas l’atteindre. Cette situation d’espoir vain et de recherche nécessaire est une caractéristique ontologique de l’homme. Cette situation est peut-être absurde observée d’ici, de l’extérieur mais elle n’est en réalité éprouvée comme telle que lorsque l’homme cesse de chercher. Enfin, d’après Leibniz :

« Quelques fois les maux métaphysiques et physiques (par exemple les imperfections dans les choses et les maux comme châtiments de personnes) deviennent donc des biens subsidiaires, en tant que moyens pour de plus grands biens », Opuscules philosophiques, La Cause de Dieu, p.255 (nous soulignons)

Ce « quelques fois » marque bien l’existence d’incertitude dans l’apparition du phénomène qu’il décrit. Et, cette incertitude se retrouve aussi chez Job : à la fin, après avoir passé l’épreuve, son bien est multiplié par deux, sa vie rallongée jusqu’à cent quarante ans, et est couronnée de succès, d’une grande descendance, etc.

Mais Job ne le savait ni avant ses souffrances, ni pendant qu’il souffrait des maux physiques (la souffrance de la chair) et métaphysiques (la souffrance de l’impuissance face à sa propre incompréhension qui est signalée par l’angoisse). Job ne pouvant souffrir à proprement parler de « souffrance morale » car cela reviendrait à reconnaître que Job expérimente le mal moral ; or comme la raison suffisante de cet état du monde est Dieu, cela reviendrait à prêter à Dieu la volonté antécédente de faire le mal, ce qui irait contre la bonté divine (cf. La Cause de Dieu) :

« Mais le mal moral ou le mal de coulpe n’a jamais la fonction de moyen ; car, ainsi que nous en avertit l’Apôtre, il ne faut pas faire le mal afin qu’il en arrive un bien. Tout au plus le mal a- t-il parfois la fonction d’une condition dite sine qua non ou d’une condition inséparable et concomitante, c’est-à-dire sans laquelle un bien qui doit être réalisé ne saurait être obtenu. Mais l’empêchement du mal fait lui-même partie du bien à réaliser », La Cause de Dieu, p.255.

Il y a nécessairement des questions qui restent sans réponses. Comment est-il possible que Dieu puisse-t-il être « fier » de présenter son serviteur à Satan ? Qu’a-t-il besoin d’être « fier » face à un autre, qui plus est face au mal ? Comment Satan pourrait-il exister si Dieu existe et a créé le monde ? (Cette question rejoint le problème du mal). Comment un entretien entre Dieu et Satan pourrait-il exister ? (1,6-12).

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C’est que l’idée que « Dieu fait un pari avec Satan » soit la raison suffisante, nous parait insensée et contraire à la gloire de Dieu qui ne peut vouloir le mal moral122 que nous sommes contraints à chercher d’autres raisons.

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