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Jean Benjamin Stora et la théorie des cinq systèmes

cancer et psychisme

5. La psychosomatique dans le courant psychanalytique : les différentes théories

5.9 Jean Benjamin Stora et la théorie des cinq systèmes

JB.Stora part du principe que les humains sont inscrits dans un triple tableau, somatique, psychique et socio culturel (Stora, 1999, p.18). Il avance l’hypothèse que les différents niveaux d’organisation du vivant sont alimentés par une

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ressource commune : l’énergie composée d’énergie somatique (métabolique) et d’énergie libidinale (psychique) et

« Au cours des processus de somatisation, l’énergie libidinale perd sa qualité psychique, elle redevient de l’énergie somatique qui suit alors les lois bien connues des processus physico-chimiques » (Stora, 1999, p.19).

JB.Stora a créé, en 1994, une consultation de psychosomatique à la Pitié- Salpêtrière à Paris et a suivi l'observation clinique de plus de 2500 patients. Pour lui, le problème épistémologique est le suivant :

« Peut-on isoler le système psychique de l’ensemble de l’organisme vivant. Une telle approche est possible quand les symptômes des patients relèvent quasi exclusivement de la sphère psychique, (névroses dites classiques au sens de S. Freud). Mais qu’en est-il dans le cas des somatisations ? »

L’auteur va reprendre la psychosomatique de Marty en y incorporant la dimension médicale et neuroscientifique.

De cette idée va naître, pour la première fois, une théorie globale de l’individu. En effet Stora avance l'hypothèse que l’être humain, unité psychosomatique est

« Un système de systèmes, complètement intégré au terme d'un long processus de maturation psychosexuelle, biologique et neuronale. »1

L’auteur tient à souligner que l’intégration est la coordination, la communication et la gestion même des différents systèmes au niveau global.

Pour Stora

« Les organisations psychiques ne sont pas établies une fois pour toutes ; elles sont en évolution constante avec des remaniements des représentations mentales, lorsque celles-ci existent. Il en est de même pour le système nerveux central dont la plasticité et les connexions synaptiques évoluent jusqu'à la fin de la vie de l'individu. »

L’appareil psychique, responsable de l’élaboration du quantum d’excitations, décrit par Freud, est l’appareil le plus évolué, et le premier à agir en cas de dysfonctionnement. En situation de stress, c’est l’appareil psychique qui va, en premier, mettre en place des mécanismes d’adaptation et de défense. Cependant, les autres systèmes ne restent pas inactifs et vont, eux aussi réagir face à une agression.

Les 4 autres systèmes sont

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 Le système nerveux central  Le système nerveux autonome  Le système immunitaire

 Le système génétique ou génome

Ces 5 systèmes sont en interrelations et traitent, chacun selon sa spécificité, les données issues de l'environnement interne et externe. Ce sont des systèmes complexes ouverts dissipatifs d’énergie (Stora,1999) en opposition à ceux de Freud, systèmes fermés, répondant aux lois de Carnot mais non aux lois du vivant. Stora précise que dans les somatisations, la part du système psychique varie grandement en fonction de l’histoire du sujet, de son patrimoine génétique et de ses évènements de vie notamment. Stora avance alors une nouvelle manière de voir la somatisation via la « Psychosomatique Intégrative » et va alors décrire un nouveau modèle : Modèle global pluri systèmes des somatisations

recourant à la théorie générale des systèmes (Von Bertalanffy) (Stora, 2010). « Le modèle global de psychosomatique intégrative prend en considération les réponses apportées par les 5 systèmes afin de rétablir l’homéostasie. Nous sommes en présence d’une infinité de positions d’équilibre à l’intérieur de chacun des systèmes plus les différents équilibres globaux possibles. »

Cette nouvelle théorie prend en compte les variables psychiques et les variables biologiques de l’unité psychosomatique des êtres humains. En se

référant à la théorie des systèmes, la Psychosomatique Intégrative a pour objectif de rechercher les interrelations entre médecine, psychanalyse et neurosciences. Nous sommes dans un contexte de modèle dynamique d’interrelations entre les cinq systèmes du vivant : psychique, nerveux central, nerveux autonome, immunitaire et génique. Stora avance l’hypothèse que l’unité psychosomatique humaine est un « système de systèmes », (Von Bertalanffy, 1968). Et, ces

systèmes sont

« Complètement intégré au terme d'un long processus de maturation psychosexuelle, biologique et neuronale. » (Stora, 2010).

(Intégration signifie ici, coordination, communication et gestion des systèmes au niveau global.)

Ces processus aboutissent, selon cet auteur à l’édification « d’organisations

somatopsychiques » (Stora, 2006). Pour Stora, le système psychique n’est pas

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structure, étant en évolution constante selon les aléas de la vie. Dans ce modèle global dynamique, le quantum d'excitations est pris en charge simultanément par les cinq systèmes du vivant en interrelations. Chaque système, en fonction de son mode de fonctionnement, traite les informations venant de l’environnement tant externe qu’interne.

Il s’agit « de systèmes complexes ouverts dissipatifs d’énergie » (Prigogine, I., Stengers, 1984 & Prigogine, I.1993).

 Modèle de la double commande

Quand le système psychique, face à trop d’excitations, ne peut plus répondre, le système nerveux central, programmé génétiquement pour la survie, entre en jeu. Par ailleurs, lorsque le système psychique reçoit une charge émotionnelle trop forte, il met du temps à réagir, de 24 à 48h. Pendant ce temps, les excitations vont être dirigées vers le SNC1 et plus particulièrement vers l’axe HHS2 qui,

génétiquement est programmé pour la lutte ou la fuite. Tous les systèmes somatiques, aux côtés du système psychique œuvrent pour rétablir l’homéostasie psychosomatique. Et Stora note que

« Les désorganisations progressives sont l'indice de l'érosion ou de la disparition des défenses psychiques parallèlement à l'abrasion des défenses du système de défense immunitaire. »

Il nous rappelle aussi qu’un appareil psychique profondément structuré et intégré peut aider à ralentir ce processus et insistera sur la notion « d’insuffisance de

fonctionnement du Moi » en référence à la 2e topique de Freud mais aussi aux

différents niveaux de structuration du Moi.

 L’hypothèse neuronale à l’origine des somatisations

Stora propose, dans le cas où l’appareil psychique est débordé, des sous- systèmes neuronaux qui vont, de manière spécifique à chacun, activer les différents circuits biologiques de défense de l’organisme.

Les trois sous-systèmes fondamentaux sont :

 Le système de réaction de rage et de colère : activé par des états de frustration qui le déclenchent, la réponse est le combat.

1 Système Nerveux Central

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 Le système de réaction de peur : génère des sentiments d'anxiété , la réponse est la fuite.

 Le système de séparation-détresse (système panique) : non seulement avec de l'angoisse générée par la panique mais aussi avec les sentiments de tristesse et de perte accompagnant souvent les affects dépressifs.

 Le Moi, les mécanismes de réponse pour rétablir l’homéostasie, les 5 stades de somatisations :

L’auteur distingue cinq stades de somatisations allant des réponses psychiques les plus adaptées aux réponses psychiques les moins adaptées, ces stades sont accompagnés de mécanismes biologiques neuronaux et neuro-hormonaux.

STADE

1

Les mécanismes psychiques et somatiques de réponse et de gestion des excitations quotidiennes sont relatifs à un quantum d’excitations faible à moyen.(Perturbation mineure de l’homéostasie)  STADE 2 : Mise en échec du pouvoir de contrôle sur soi ( état d’ hyper

vigilance, état hyper émotionnel, hyper activité)

STADE 3 : Désorganisation du Moi (asthme, eczéma, maladies inflammatoires de la peau et des yeux, ulcères, infarctus ou arrêt cardiaque par hypertonie du parasympathique, hypertension, néphrosclérose, rhumatisme, polyarthrite).

STADE 4 : Rupture du Moi ou, plus spécifiquement, désorganisation psychosomatique du Moi ”.(Maladies graves, cancers, atteintes cardiaques…)

STADE 5 : La désorganisation peut atteindre des niveaux de plus en plus profonds de l’appareil psychique jusqu’à parvenir à des états délirants, hallucinatoires, psychotiques, etc.

Stora ajoute que

«La désorganisation du Moi est la voie empruntée par les processus de somatisations mais le quantum d’excitations peut poursuivre sa poussée en déclenchant simultanément des mécanismes neuronaux et neuro-hormonaux. »  Les mécanismes neuro-hormonaux

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Stora complète son modèle par les mécanismes biologiques et neuro-hormonaux déclenchés par les situations de tensions dues à l’environnement. Il note l’intervention de secrétions endocriniennes telles que l’ACTH1 ou le cortisol

notamment , ce dernier agissant sur les systèmes cardio-vasculaire, respiratoire et cognitif.

Dans le cadre d’un stress permanent (situations stressantes : Holmes et Rahe)2 ,

les réactions adaptatives montrent des sécrétions endocriniennes continues, (catécholamines – adrénaline, noradrénaline – par la médullo-surrénale, corticostéroïdes par le cortex surrénalien) qui ont des conséquences physiologiques importantes sur l’organisme.

« Toute forme de stress impliquant un changement significatif du cours de vie (décès d’un proche, perte de travail, traumatismes, etc.) peut activer l’axe HHS et produire des corticostéroïdes qui court-circuiteraient le système immunitaire de surveillance. »3

Par ailleurs, les gènes des cellules reçoivent, par l'intermédiaire des systèmes autonome et endocrinien, des molécules messagères en provenance des processus centraux de contrôle, modulés par le système psychique et situé dans le système hypothalamo-limbique. L’endommagement de ces gènes normaux provoquerait leur transformation en oncogènes qui, en modifiant la structure des protéines seraient alors responsables de cancers.

Alors qu'il existe de nombreux types de cancers, il apparaît maintenant qu'il n'y a que deux processus fondamentaux à l'origine de ceux-ci :

 1. La création d'oncogènes

 2. Le dysfonctionnement des gènes suppresseur de tumeurs : qui empêche de commander la limitation de la division des cellules.

6. En résumé

Nous retiendrons qu’actuellement, même si l’avancée reste encore timorée, la prise en compte des facteurs psychiques, dans les pathologies somatiques, est de

1 ACTH : Hormone Adrénocorticotrope

2

Annexe du livre « Quand le corps prend la relève » J.B.Stora 3 Ibid.

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plus en plus présente. La prise en charge globale des patients, dans leur dimension psychosomatique devient de plus en plus prégnante grâce, notamment aux récentes découvertes des neurosciences qui mettent en lien les systèmes nerveux autonome (SNA) et central (SNC) avec le système immunitaire (Ader, 1981). Ces recherches ont renouvelé les conditions d’un dialogue, complexe, entre différentes disciplines médicales1, biologiques2, psychiatriques

(Consoli,1988, p.11 et Kandel, 2002, pp.42-80) et psychanalytiques (Green, 1994, pp.85-167).

1 Pert CB, Ruff MR,Weber RJ, Herkenham M. Neuropeptides and their receptors: a psychosomatic

network. J Immunol 1985; 135(suppl2): 820s-826s.

2 Besedowski HO.What do the immune system and the brain know about each other? Immunol

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II

APPORT DES NEUROSCIENCES

A) Introduction

Freud, bien avant nous, avait déjà envie de résoudre l’énigme des liens entre corps et psyché.

Il publie, en 1891, son célèbre article sur « l’aphasie » et apporte ainsi une contribution fondamentale à l’étude neurologique de cette maladie. Il reçoit alors de nombreux éloges des spécialistes des neurosciences.

En 1895, dans « L’esquisse » et notamment, la première partie, Freud traite des principes de base de l’explication, en termes neurologiques, de la douleur, de la conscience, de l’expérience de satisfaction, des affects et des souhaits, du fonctionnement de l’ « appareil » psychique, du moi, des souvenirs et des jugements, de la pensée et de son rapport à la réalité, des processus primaires, du rêve, etc. Le qualificatif « scientifique » dans la traduction française correspond en effet au but que Freud exprime dès le premier alinéa de son Esquisse :

« C’est l’intention de fournir une psychologie scientifique [naturwissenschaftliche], c’est-à-dire de présenter [darstellen] des processus psychiques comme états quantitativement déterminés de parties matérielles pouvant être montrées [aufzeigbar] et de les en rendre intuitifs et de leur ôter toute contradiction. Deux idées principales : Ce qui distingue activité et repos est à concevoir comme éléments, qui sont soumis à la loi générale du mouvement, comme parties matérielles, il faut admettre les neurones. »1

L’idée de base de Freud semble claire : Représenter les phénomènes psychiques sous forme de phénomènes neurologiques.

Il écrit également, en 1917

« La psychanalyse espère découvrir le terrain commun qui rendra intelligible la rencontre d’un trouble somatique et d’un trouble psychique. Pour parvenir à ce but, elle doit se tenir à distance de toute présupposition d’ordre anatomique, chimique ou physiologique et ne travailler qu’en s’appuyant sur des notions purement psychologiques » (Freud, 1950, 31- 32).

1

Sigmund Freud, Gesammelte Werke, Nachtragsband, Francfort, Fischer Verlag, 1987. [=GW, Nachtragsband] p., 387

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