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Depuis l’après-guerre, le développement de la chimie a fait une entrée massive dans les modes de développement économique et les modes de vie comme en témoignent les 100 000 molécules de synthèse présentes sur le marché et recensées à ce jour. Facteur décisif des gains de productivité dans l’agriculture et promus au rang de produits de consommation domestique courants au travers de leur distribution dans les grandes surfaces et les jardineries, les pesticides font de plus en l’objet d’une attention critique pour leurs effets potentiels sur l’environnement et sur la santé des populations. Une analyse des questions et controverses soulevées par les pesticides encourage à distinguer la situation des usages domestiques des pesticides de celle des usages agricoles qui a déjà fait l’objet de plusieurs analyses. Par exemple, des travaux de l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA) sont menés sur les itinéraires culturaux économes en pesticides dans le cadre d’Ecophyto 201885

; Claire Lamine, sociologue à l’INRA, réalise des recherches sur les transitions de l’agriculture conventionnelle vers des formes plus écologiques86 ; le Groupe de Sociologie Pragmatique et Réflexive (GSPR) de l’EHESS dirigé par Francis Chateauraynaud s’est intéressé en 2007 aux processus d’alerte et aux dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux à partir du cas des pesticides87 et travaille depuis 2011 sur la

85 Butault J.P., Dedryver C.A., Gary C., Guichard L., Jacquet F., Meynard J.M., Nicot P., Pitrat M., Reau R., Sauphanor B., Savini I., Volay T., (2010), Ecophyto R&D. Quelles voies pour réduire

l'usage des pesticides ?, INRA, 90 p.

86 Lamine C., J-M. Meynard, S. Bui, A. Messéan, (2010), « Réductions d’intrants : des changements techniques, et après ? Effets de verrouillage et voies d’évolution à l’échelle du système agri-alimentaire », Innovations Agronomiques, 8, 121-134

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problématique et la controverse autour des faibles doses88 ; Sonia Grimbuhler à l’IRSTEA (anciennement CEMAGREF), étudie entre autres les techniques d’épandage des pesticides et l’exposition des agriculteurs89

. Ainsi, on constate que sur la problématique des pesticides, les angles et les intérêts de recherche sont très variés.

L’observation des usages domestiques des pesticides présente l’intérêt d’avoir été très peu étudié, et cette boîte noire, outre le fait d’offrir un angle d’étude inédit, permet de sortir l’analyse du confinement du contexte agricole où la force des intérêts organisés agricoles tend à constituer une variable surdéterminante90. Déplacer le regard vers les usages non agricoles des pesticides c’est également observer les pratiques sociales domestiques dont on considère (le monde agricole en particulier et les pouvoirs publics au travers du Plan National Santé Environnement) qu’elles ont un impact significatif sur l’environnement et la santé. Enfin le marché des pesticides de jardin pèse un poids important à mesure que les modes de vie contemporains ont placé le jardinage parmi les pratiques de loisirs les plus appréciées des ménages français. On voit donc comment l’usage des pesticides de jardin se trouve aujourd’hui à la croisée de plusieurs enjeux et peut constituer un excellent observatoire pour obtenir une vision plus transversale que celle proposée au prisme du secteur agricole, de la relation entre des formes d’écologisation des pratiques sociales, un affichage de verdissement des marchés sous les auspices et la rhétorique du développement durable, des formes de régulation publique des risques qui se transforment sous la double tension des pressions, d’un côté des marchés mondialisés et de l’autre, des ONG et de la société civile.

Pour tenter de saisir cette complexité, il convient d’élaborer une problématique sociologique en mesure de faire tenir ensemble des perspectives généralement dissociées car ne relevant pas des mêmes paradigmes pour saisir des logiques de pratiques sociales ordinaires, des

88 Boudia S. & F. Chateauraynaud (coord.), (2012), Les cadres de l'expertise à l'épreuve des faibles

doses, Rapport final du programme ANR Faibles Doses, janvier 2012.

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Carré M., Cotteux É., Rombaut M., Grimbuhler, S. et D. Didelot, (2011), « Lutte contre les cercosporioses du bananier aux Antilles françaises. Évaluation et amélioration des techniques disponibles d’épandage aérien et terrestre », Sciences, Eaux et Territoires, cahier spécial OPTI BAN, juin, p.4-9

90 Busca, 2010, op.cit; Roussary, 2010, op.cit., Busca D., Goulard F., Dumont A., Labedan, G., Roussary R. & D. Salles, 2007, op.cit.

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logiques de marché et de captation des consommateurs et des logiques d’action publique de protection contre les risques environnementaux et sanitaires.

1.1 – La démarche

Notre démarche s’articule en plusieurs dimensions abordées comme autant d’« échelles d’observation ». Cette démarche ne présuppose pas que la réalité parle d’elle-même ou que le chercheur n’a aucun cadre a priori, mais considère que des découpages à diverses échelles peuvent largement aider à saisir de façon globale et empirique des réalités aussi complexes et peuvent contribuer également à organiser les divers niveaux d’interprétations91

. Aussi fertile que soit cette approche valorisant diverses entrées d’analyse, elle demeure néanmoins délicate à mettre en œuvre et à présenter. Comme se le demande M-C. Zelem, « comment, [en effet] mobiliser des approches en termes de structures, de contextes, tout en insistant sur la place des acteurs, de leurs choix et de leurs pratiques ; [comment] naviguer entre les grands ensembles sociaux et les petits sous-ensembles constitués des individus, de leur famille et de leurs réseaux de proximité ?; [comment] comprendre ce qui détermine les comportements des acteurs largement en amont (codes, normes, règles, cultures, habitus, marchés, politiques…) ; mais aussi comment se construisent ces choix au carrefour des valeurs, croyances [et représentations] ? » 92

Ces questions étant à la fois liées à la globalité des enjeux socio-économiques et politiques et à la fois aux pratiques de la vie quotidienne, il importe de traiter cet objet à partir d’une double perspective, l’une en surplomb pour examiner les enjeux majeurs au plan du marché et de l’État et l’autre à partir des préoccupations du terrain, du côté de la société civile et de l’individu. Cette double perspective permettra de répondre avec plus de finesse à notre question de recherche ainsi formulée:

91 Desjeux D., (2008), « Les échelles d'observation appliquées à la sociologie de l'art » in F. Gaudez, (dir.), Les arts moyens aujourd’hui, Paris, L’Harmattan, pp. 293-304.

92 Zelem M-C., (2009), Politiques de Maîtrise de la Demande d’Energie et résistances au

changement. Une approche socio-anthropologique, Paris, l’Harmattan, coll : Logiques sociales,

« Comment se construit et s’actualise la régulation des risques liés à l’usage domestique des pesticides en France compte tenu des enjeux

sociaux, économiques, politiques, environnementaux et sanitaires qui traversent cet objet? »

La thèse défendue dans ce travail est celle d’une régulation composite des risques sanitaires et environnementaux liés à l’usage domestique des pesticides en France. Cette régulation composite articule trois niveaux de régulation que nous expliciterons dans la conclusion générale de la thèse : une régulation publique, une régulation marchande et une régulation individuelle.

Ainsi, nous porterons notre attention à ces formes de régulations attachées à quatre93 niveaux du social94 : 1) la sphère des pratiques de jardinage et des usages des pesticides dans l’univers domestique ; 2) la sphère de la production de pesticides de jardinage et de leur commerce, 3) la sphère de l’action publique centrée sur l’examen des politiques publiques relatif à la gestion des risques liés aux pesticides de jardinage et 4) la « société civile » et notamment la sphère associative, qui joue souvent un rôle de médiateur entre les individus et les systèmes marchands et politiques95.

Nous montrerons en quoi la régulation des risques liés à l’usage domestique des pesticides est une régulation composite et nous tenterons d’en définir les fondements, la nature et les conséquences. L’éclairage apporté par la situation québécoise nous permettra de mieux appréhender l’orientation privilégiée en France et de montrer qu’elle n’est pas la seule voie envisageable, contrairement à ce que laissent penser les acteurs institutionnels et du marché.

93 Quatre car même si l’attention que nous porterons à la contribution de la société civile (ONG, scientifiques…) ne sera pas aussi soutenue qu’à celle des autres niveaux, elle représente une composante à part entière de la régulation composite.

94 Dubar, 2006, op.cit.

95 Sur la question des pesticides, il convient de distinguer le rôle des ONG qui sont de plus en plus présentes, diffusent de l’information, alertent et dénoncent et celle de certains scientifiques appelés à jouer un rôle d’expertise et de contre-expertise. Dans les deux cas ces acteurs sont de plus en plus associés aux processus de décision politique.

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1.2 – Pour une sociologie des pratiques sociales domestiques : ouvrir la boîte noire des usages des pesticides par les jardiniers amateurs

Dans le premier temps de notre problématique, nous privilégions une « approche par les usages » inscrite dans une sociologie des pratiques de jardinage. Nous questionnerons les significations et représentations du jardin en tant qu’objet social construit et qui a évolué au gré de l’histoire. En nous situant au niveau des pratiques sociales domestiques, des usages des jardiniers amateurs, mais aussi de leurs représentations sociales, de leurs socialisations, de leurs expériences, nous expliciterons la posture microsociologique adoptée pour les enquêtes menées auprès des jardiniers.

1.2.1 – Un acteur ni totalement contraint, ni totalement libre, ni totalement rationnel…

S’intéresser aux usages suppose de se défaire préalablement d’une conception normative de ce qu’ils devraient être, et ne cherchant pas à qualifier ce qui est pertinent et ce qui ne l’est pas96. Appliquée à la question des jardins et donc du domicile personnel, la question du « bon usage » nous renverrait à des conceptions préétablies et emplies de représentations subjectives. La notion d’« usages » du logement, au pluriel, est définie par Daniel Pinson comme rassemblant à la fois « les fonctions utilitaires objectives » et les « modes d’appréhension subjectifs (psychologiques, culturels) qui conditionnent aussi la manière dont l’individu investit son cadre de vie »97

. Cette acceptation du terme se distingue ainsi de ce qu’il désigne au singulier et qui ne recouvre que la première partie de la définition. En élargissant également à la question des modalités cognitives de la mise en œuvre des pratiques domestiques, dont font partie les pratiques de jardinage, cette définition nous amène à interroger ce qui rend normale et évidente la gestuelle du quotidien.

Sur ce point, de nombreuses théories se confrontent en sociologie, chacune proposant son interprétation sur l’origine des pratiques sociales domestiques et sur l’incidence de celles-ci

96 Pautard, 2009, op.cit., p.456

97 Pinson D., « Usages », in J. Brun, J.-C. Driant et M. Segaud, Dictionnaire de l’habitat et du

sur l’environnement social des individus qui en sont les acteurs. Lié au débat théorique sur l’actionnisme, le champ de réflexion sur les pratiques sociales peut se décomposer en deux grandes approches : l’une privilégiant le poids des déterminants sociaux, et l’autre donnant une place prépondérante aux sujets agissants. Il ne s’agit aucunement pour nous de choisir abruptement entre les deux, mais plutôt, sur les traces de Salvador Juan98 ou encore de Guy Bajoit, d’essayer d’« éviter les simplifications, les réductions, les choix entre les termes opposés des dichotomies. […] Il est important de dépasser les faux débats dans lesquels les sociologues ont été longtemps (et sont encore) enfermés : celui qui oppose une sociologie du consensus (trop idéaliste) à une sociologie de la domination (trop matérialiste), et celui qui oppose une sociologie des structures (trop déterministe) à une sociologie de l’acteur (trop volontariste) »99. En effet, explique ce dernier, la relation sociale ne sépare pas, mais articule ces quatre dimensions : « toute relation implique à la fois un consensus culturel et une domination sociale ; elle implique aussi des conditionnements culturels et une capacité d’action »100. Cette volonté de ne pas se limiter à un cadre d’analyse mais plutôt de faire varier les échelles d’observation, comme nous le faisons présentement, se trouve ainsi confortée.

Les individus, les usagers que nous « interrogeons », dont nous tentons de saisir les pratiques, les représentations, les habitudes, les marges de manœuvre etc., sont ancrés dans un cadre spatio-temporel qui représente, selon nous, plus qu’un contexte dans le sens où les acteurs interagissent avec lui et qu’il nous apparaît indispensable de définir. Ce cadre est à la fois le quotidien et le domestique, entendu ici comme ce qui se passe dans le foyer représenté par le logement et surtout le jardin.

1.2.2 – Le quotidien comme cadre temporel de la recherche

Pour une part des chercheurs qui s’évertuent à appréhender comment se tissent au jour le jour les « arts de faire » qui font toute la richesse des usages et des usagers, le quotidien représente

98 Juan, 1995, op.cit., p.160

99 Bajoit G., Le changement social : approche sociologique des sociétés occidentales contemporaines, A. Colin, Paris, 2003, p.236

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un Graal. Les enquêtes « à l’échelle humaine » qui donnent sa place à un quotidien fluctuant, fragmenté, largement invisible ont été amorcées aux États-Unis autour de l’École de Chicago ainsi que dans le cadre des travaux d’Erwin Goffman et d’Harold Garfinkel. Ces dernières ont ouvert en France la voie d’un profond renouvellement, fait de nombreux « tournants » (linguistique, pratique...). Ne pas réduire les personnes que l’on étudie à des positions désignées a priori, c’est-à-dire avant même de faire la moindre investigation, apparaît comme une avancée considérable.

De même, l’intérêt pour tout ce qui fait la banalité des existences, ce qui est ordinaire, « sans intérêt », les moments et les espaces où rien d’important, rien de « social », ne semble se jouer, est, de l’avis de nombreux auteurs101

, extrêmement salutaire. Cette posture écarterait d’une part le danger si grand de la surdétermination des objets de recherche par des jugements de légitimité rarement maîtrisé. D’autre part, et encore plus fondamentalement, pour Michel Maffesoli par exemple, c’est dans les « courants chauds de la vie sociale [représentés par] l’imaginaire et le quotidien dominés par la multiplicité des jeux » qu’il faut aller chercher « le donné sociétal » qui constitue la « majeure part de la trame sociale », « la centralité souterraine » de notre société102. Pour cet auteur, à trop s’interroger sur la société et sur les éléments purement rationnels ou économiques qui la constituent, on a laissé de côté la socialité103. Cette forme d’empathie change l’altérité, le rapport à soi et à la nature; il faut la chercher au fond de toutes sortes de formes de « vie sans qualité » avec ses stéréotypes et ses mythes, derrière une grande variété d’activités rituelles, symboliques et ludiques. C’est là que se forme « la typicalité» de notre époque, c’est là qu’on peut saisir la créativité sociale, « écouter l’herbe qui pousse »104 ; une expression de Michel Maffesoli particulièrement de circonstance pour cette thèse.

101 Par exemple Maffesoli M, La conquête du présent, Paris, PUF, 1979 ou La connaissance ordinaire:

précis de sociologie compréhensive, Paris, Librairie des Méridiens, 1985, réed. 2007 ou encore

Salvador Juan, 1995, op.cit., Dobré, 2002, op.cit.

102 Dumazedier J., Recension d’ouvrage : « Maffesoli Michel, La connaissance ordinaire : précis de sociologie compréhensive », Revue française de sociologie, 1987, 28-1. pp. 184-187, p.184

103 Maffesoli, 1985, op.cit., p.186 in Dumazier, 1987, op.cit., p. 185 104

1.2.3 – Jardin et logement, propriété privée et vie privée

L’espace du jardin est un espace privé qui appartient aux habitants de la maison attenante. Les inspirations dont il est l’objet viennent donc en grande partie de ceux qui l’occupent et s’en occupent ; mais elles peuvent aussi être dictées par l’environnement extérieur plus ou moins proche, par exemple, dans le cas d’un quartier où les jardins sont particulièrement bien entretenus, l’influence voire l’imposition normative du voisinage pourra être importante. Bien que relevant de la sphère privative, l’entretien du jardin peut aussi être « soumis » à des injonctions/normalisations de la part des pouvoirs publics, s’immisçant ainsi dans cet espace particulier ; par exemple lors des périodes de sécheresse quand l’arrosage ou le remplissage des piscines est interdit par arrêté préfectoral. Ainsi, la relation que les individus entretiennent avec la notion de propriété privée et de liberté d’action quand il s’agit du jardin et des usages qui y sont associés, notamment les usages des pesticides qui peuvent représenter un risque pour la collectivité (pollution de l’eau, intoxication pour les voisins par exemple), nous interpelle.

1.2.3.1 – Le jardin : une propriété privée

Le domestique est ancré dans l’habitat, représenté, nous l’avons dit, autant par le logement que par son jardin. Pour comprendre l’importance que revêt le fait d’être propriétaire de sa maison individuelle et les incidences de cette relation à la propriété privée, un bref détour historique s’impose.

Depuis le XVIIIe siècle, le droit de propriété constitue l’un des pivots de la pensée politique et juridique occidentale. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, en son article 17, l’instaure comme « un droit inviolable et sacré [dont] nul ne peut être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique légalement constatée l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité ». Formulation modérée, puisqu’elle pose à ce droit « inviolable » des limites, effectivement imposées à certains moments de l’histoire de France comme à partir 1919 la première réglementation de l’urbanisme par la loi Cornudet. En revanche, la Constitution des États-Unis, à l’instar d’autres codes juridiques nationaux, postule que la propriété des biens ne doit connaître, hormis des questions strictes d’ordre

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public, aucune entrave relative à l’usage (usus), à la mise en valeur (fructus) et à l’aliénation (abusus).

La propriété privée s’est donc constituée comme un droit inviolable. Depuis l’avènement de l’idéologie capitaliste, cette définition s’est vue largement renforcée. Elle coïncide avec la place centrale que l’individu a prise progressivement dans la société. En effet, pour le sociologue Robert Castel, la propriété privée apparaît historiquement comme un des « supports de l’individualité moderne, en permettant à l’individu de sortir du jeu des dépendances de la société traditionnelle »105.

Un des symboles phares de la propriété privée est la maison individuelle. L’« accession à la propriété » a été le grand défi, la conquête, le rêve à réaliser pour de nombreuses générations dans les trois prospères décennies de l’après-guerre.

On préfère, en France, la maison à l’appartement, on préfère aussi en être propriétaire. Et « moins on est riche, plus ce désir est grand »106. Le rêve du pavillon est un rêve populaire, une enquête officielle le montrait déjà en 1945107. Mais à l’époque, la construction s’orientait en priorité et pour 30 ans vers le logement collectif et locatif. Aujourd’hui, l’accès au lo-gement individuel s’est nettement élargi même si ce sont des ménages plus aisés que la mo-yenne qui accèdent à la propriété (21% des cadres et 12% des ouvriers sont propriétaires108).

Ce qui mobilise les individus en faveur de la maison individuelle (qu’ils soient dans la tranche supérieure ou inférieure des niveaux de vie) c’est le jardin autant que la maison elle-même, c’est l’espace autour, la parcelle à soi. L’espace pavillonnaire permet ainsi des formes spécifiques d’appropriation par le groupe familial et l’individu de leurs conditions d’existence. Le jardin est une annexe de la maison, qu’on utilise pour bricoler, faire sécher le linge, entreposer des objets encombrants, se reposer ou bavarder avec le voisin… En ce sens, comme le souligne Michel Verret, « la conquête de la maison individuelle représente pour

105 R. Castel & C. Haroche, (2001), Propriété privée, propriété sociale, propriété de soi, entretiens sur

la construction de l’individu moderne, Paris, Fayard, p.28

106 Françoise Dubost, (1997), op.cit., p.17

107 A. Girard & J. Stoetzel, (1947), Désirs des français en matière d’habitation urbaine, Paris, INED. 108 Source : INSEE Résultats, Société, n°29, Avril 2004

tous, et majoritairement pour les ouvriers, une conquête d’espace, un desserrement des contraintes qui pèsent sur la vie privée »109.

1.2.3.2 – Une dialectique dedans/dehors

La volonté d’élargissement de la sphère d’autonomie des ménages face à « l’exigence croissante d’individuation »110 entraîne donc cette scission entre vie privée et vie publique qui marque la fin du primat de la communauté sur l’individu dans l’organisation de l’habitat : « La maison devient le lieu du « ressourcement », de la détente, avec cette possibilité rare de mettre à distance la société et de se mettre à l’écart du jeu social. »111