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Avec cette deuxième partie, nous entrons au cœur de notre objet de recherche. En effet, sont regroupés ici les éléments d’analyse des enquêtes réalisées auprès des jardiniers amateurs par questionnaire et entretiens semi-directifs.

Le nombre de personnes possédant un jardin en France est estimé à 61% de la population soit près de 40 millions d’individus ! Autant dire que quand nous parlons des pratiques des jardiniers, on peut parler des pratiques du grand public à l’égard de leur jardin. Pourtant, si on suit les propos de Robert Harrison240, les jardiniers et les jardinières seraient des hommes et des femmes « à part », qui « cultivent » une relation au monde et une vision du monde bien particulière. Ainsi, est-ce à dire qu’analyser les rapports que les individus entretiennent avec leur jardin permet de questionner l’hypothèse d’une écologisation générale des pratiques sociales ? L’introduction de la question des pesticides domestiques à la problématique des pratiques de jardinage permet de questionner cette hypothèse, les pesticides étant aujourd’hui incriminés dans de nombreuses pollutions.

Mais voilà, si une caractéristique nous semble émerger de l’intérêt particulier que nous avons développé pour les jardins et ceux qui les cultivent, c’est bien ses ambivalences, ses contradictions, ses paradoxes. Ceux-ci touchent différentes dimensions que nous traiterons dans ce chapitre : le jardin est un espace de mesure et de démesure où s’instaure une dialectique du clos et de l’ouvert ; il est aussi un espace d’ordre et de désordre, deux éléments forts contrastés et où des clivages sociaux apparaissent comme nous le verrons. Les normes des uns ne sont effectivement pas celles des autres, celles des hommes ne sont pas celles des femmes. Le jardin est par ailleurs un espace de nature et d’artifice où se côtoient le sauvage et le domestique ; un paradoxe qui intéresse notre travail, car malgré cet attrait maintenant déclaré de toute part pour la Nature, et le renouveau de notre contact avec elle, l’usage de produits phytosanitaires chimiques est encore largement répandu.

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Pour saisir ces rapports complexes (possessif, utilitaire, dominateur, sensible, émotionnel…) que les jardiniers entretiennent avec leur jardin, son aménagement, son entretien et donc l’utilisation des produits de traitement, nous consacrerons le premier chapitre à l’analyse des fonctions et des représentations sociales du jardin et du jardinage (Chapitre III). Nous verrons alors que trois fonctions drainent l’essentiel des finalités que cherchent à atteindre les jardiniers amateurs. La première est une fonction esthétique qui fait du jardin un décor et un supplément de la maison (3.1). Nous observerons ensuite les rapports complexes et contradictoires que les jardiniers entretiennent avec la notion de nature (3.2). Dans un troisième point, nous observerons le renouveau du jardin potager, tenterons d’en donner une explication et analyserons la portée des pratiques d’autoconsommation sur l’usage des pesticides (3.3). Enfin, nous montrerons à quel point le jardin est un espace de socialisation et la variable de genre est pertinente pour saisir des pratiques différenciées (3.4).

Le second chapitre sera consacré à l’analyse de l’utilisation des pesticides par les jardiniers en suivant pas à pas le déroulement d’un traitement au jardin (Chapitre IV) : du diagnostic des problèmes à la décision de traiter en passant par le choix des produits (4.1), puis les pratiques phytosanitaires à proprement parlé en les mettant en relation avec les représentations des produits chimiques d’une part et des produits naturels/biologiques d’autre part (4.2) et enfin les phases post-traitement (4.3). Faire ce cheminement permet à la fois de mettre en ordre ce qui est exposé en désordre dans les discours, de comprendre les règles de décision à ces différentes phases, de saisir le poids de certaines variables qui n’est pas le même à différentes phases, et enfin d’analyser comment le rapport aux pesticides et aux risques évolue d’une phase à l’autre.

Par ailleurs, les deux modes de recueils de données choisis (quantitatif et qualitatif) et les analyses croisées auxquelles ils nous invitent nous permettront d’explorer la relation entre le déclaratif issu du questionnaire autoadministré et celui recueilli lors des entretiens, qui nous apparaît plus proche de la réalité et qui nous a permis de relativiser le premier. Cette partie dont le cadre interprétatif est basé sur une sociologie des pratiques et des usages nous permettra en outre de comprendre comment les utilisateurs (usagers) de pesticides de jardinage agissent, ré-agissent, inter-agissent avec l’objet dont il est question ici : le produit

phytosanitaire (chimique, naturel ou biologique). Sachant que ce dernier possède un certain nombre d’usages prescrits (par exemple sur l’étiquette des produits de traitement) et officiels (ceux homologués par les instances réglementaires qui prévoient un produit pour un usage et sur un végétal donnés, et une dose précise) ou bien qu’ils porteraient en eux-mêmes (tels que les contenants munis de bouchons doseurs).

Dans un troisième et dernier chapitre, nous nous intéresserons aux questions de risques et de responsabilités (Chapitre V). Nous prendrons tout d’abord la mesure des appréciations des impacts liés aux pesticides en interrogeant les perceptions différenciées du risque de la part des jardiniers et les conséquences de celles-ci sur leurs pratiques et l’hypothèse de leur écologisation (5.1). Nous montrerons que la question des usages domestiques des pesticides n’est pas (ou peu) perçue comme un risque et ce que cela entraîne. Pour finir, nous observerons l’attribution des responsabilités de protection et de prévention dans le domaine de l’environnement (5.2) et accorderons une attention particulière aux partages des responsabilités qu’effectuent les jardiniers en matière de pollution par les pesticides ce qui nous donnera l’occasion d’esquisser des pistes de réponses quant à la « capacité » des individus d’assumer en partie, mais de façon croissante, la responsabilité des risques liés à leurs usages des pesticides.

CHAPITRE III