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Ionisation, Solvatation et Recombinaison du plasma dans l’eau

Une vision orthodoxe de l’IMP de l’eau liquide examine le passage vertical et adiaba- tique d’un électron depuis l’orbitale moléculaire énergétiquement la plus favorable (état fondamental 1b1) vers la bande de conduction (BC) de l’eau. L’énergie de liaison

correspondante est estimée autour de 9.9 eV (Elles et al.,2006). L’ionisation verticale nécessite la bagatelle de sept photons à 800 nm et invoque donc une prédominance de l’IET. Le trou antagoniste H2O+ se dissocie rapidement en transférant un proton à une molécule d’eau avoisinante :

H2O++ H2O → •OH + H3O+ (2.48)

Le réarrangement nucléaire du milieu autour du trou dissocié solvate l’ion hydronium et le radical hydroxyle (•OHaq + H3O+aq). Cette réorganisation abaisse localement le niveau d’énergie de la BC. La redéfinition d’une BC adiabatique une fois la relaxation terminée suggère une voie alternative pour l’éjection d’un électron dans la BC (Figure 2.6). Le processus d’ionisation non adiabatique correspondant implique l’excitation de l’électron vers une orbitale moléculaire non occupée de l’eau caractérisée par un niveau d’énergie supérieure à celui de la BC adiabatique. Le différentiel en énergie fournit l’énergie nécessaire au réarrangement nucléaire pour une éjection de l’électron directement au sein de la version adiabatique de la BC selon un processus dit de auto-ionisation. Bien que moins gourmande en terme d’énergie d’excitation, l’auto- ionisation devient significative seulement au dessus de 9.5 eV (Elles et al., 2006).

a

b

Figure 2.6 –a Schéma du diagramme des niveaux d’énergie de l’eau liquide. La transition

vertical est représentée à droite, au centre la bande de conduction adiabatique avec RE l’énergie nécessaire au réarrangement nucléaire et à gauche le niveau d’énergie correspondant

à l’électron hydraté ; figure extraite de (Elles et al., 2006). b Représentation imagée de

l’électron hydraté au sein d’une cavité de molécules d’eau ; figure adaptée de (Linz et al.,

2016).

L’électron statique arrivé dans les tréfonds de la BC adiabatique est piégé par le solvant sous la forme d’un électron présolvaté. Un réarrangement nucléaire des molécules d’eau autour de cette charge en excès excave le puits de potentiel associé. La relaxation définitive de l’électron s’effectue par une transition quantique entre l’état excité (présolvaté) et fondamental (solvaté) du puits creusé. L’eau liquide est loin d’être un milieu uniforme. Au préalable, il existe en son sein des arrangements de ces molécules dont l’état énergétique est déjà très proche de la BC adiabatique à ∼6.4 eV. Un mécanisme dissociatif de transfert de l’électron couplé à celui d’un proton permet alors la génération direct d’un électron préhydraté sans passer par la bande de conduction (Bartels et Crowell, 2000), pour une énergie d’excitation autour de 6.5 eV, compatible avec une AMP à 5 photons. La densité des pièges préexistant dans l’eau est estimée à ∼1019 cm−3 (Linz et al., 2015). Ainsi, la proximité d’un piège nécessaire au transfert du couple électron-proton est garantie pour la génération d’un plasma de 1018 e.cm−3 dans l’eau. Ce mécanisme de dissociation procède à une solvatation beaucoup plus rapide de l’électron ( 50 fs) (Pshenichnikov et al.,

2004) et sous-entend la solvatation quasi instantanée du plasma, relativement à une hydratation qui impose au préalable son passage par la BC, sa thermalisation puis son piégeage (∼ 500 fs) (Minardi et al., 2008). Or la détection expérimentale de

l’électron solvaté au cours de la filamentation d’une impulsion laser proche infrarouge dans l’eau n’est effective que ∼ 500 fs après le passage de l’impulsion et suggère le passage des électrons par la bande de conduction (Minardi et al., 2008; Linz et al.,

2016). Le spectre d’absorption de l’électron hydraté explique de telles observations. Ce dernier présente une large bande d’absorption dans le visible avec maximum d’absorption autour de 720 nm. Un électron hydraté généré en présence de l’impulsion laser est susceptible d’absorber un ou plusieurs photons supplémentaires et d’être éjecté vers la BC (Linz et al., 2015, 2016). Cette seconde étape d’absorption de photons peut être assistée d’un passage par les états excités de l’électron solvaté, en l’occurrence l’électron préhydraté. Dans ce cadre, un processus d’ionisation à (5 + n) photons constitue une voie d’initiation pour la génération du plasma de basse densité (Linz et al.,2015, 2016). On s’attend à ce que la première étape d’AMP à 5 photons gouverne très majoritairement la cinétique de l’éjection des électrons dans la bande de conduction relativement à la formalité que constitue l’absorption de 2 ou 3 photons supplémentaires par l’électron solvaté.

À l’échelle de la durée d’une impulsion laser d’une centaine de femtosecondes, ces électrons ont encore le temps d’être emportés par l’EBI. Après son passage, le champ laser a essaimé dans l’eau l’équivalent de 1018 cm−3 électrons de subexcitation dont l’énergie cinétique Ec∼8 eV. Leur thermalisation par excitation des modes de vibration inter et intra-moléculaire de l’eau environnante constitue une source négligeable d’échauffement local du milieu (Vogel et al., 2005) :

ΔT = ρ(Ei+ Ec)

ρnCp (2.49)

où Cp est la capacité calorifique de l’eau et ΔT ∼0.5 K.

Un sort alternatif peut être réservé aux électrons de subexcitation, leur capture résonnante par une molécule d’eau. L’ion négatif formé peut se fragmenter dans le cas de figure où son état favorise énergétiquement sa dissociation (état dissociatif) et sa période de vibration est inférieure au temps typique de réémission de l’électron capturé (temps de vie de l’anion transitoire) (Sanche,2002). La capture résonnante d’un électron par une molécule arbitraire AB peut être de deux natures. Dans le cas où l’électron vient remplir une orbitale vacante de AB dans son état fondamental, un potentiel constitué par l’ensemble électron-molécule propice à la capture favorise cette résonance. La capture établit la formation d’un anion AB, qui se réfère alors à un type de résonance dite de "forme" et engage une seule particule. Lorsque l’anion

transitoire est formé par l’occupation d’une orbitale moléculaire initialement vide, la résonance, qui implique alors la capture d’un électron et l’excitation d’un second, est dite de "coeur excité" et s’assimile à un état à deux particules et un trou. L’étude de l’attachement dissociatif d’électrons de moins de 10 eV suite à leur interaction avec de l’eau sous forme de films de glace amorphe identifie une résonance principale entre 7 et 9 eV. Elle correspond à un état "coeur excité" 2B1 de l’eau. L’anion transitoire

H2O se dissocie rapidement (∼1014 s) en H et OH. L’importance relative de la section efficace de l’attachement dissociatif de l’électron par rapport à celle de sa diffusion inélastique dans la glace amorphe (10−18versus 10−17 cm2) (Bass et Sanche,

1991) plaide pour sa contribution non négligeable quant au devenir des électrons de subexcitation suite au passage de l’impulsion laser.

Suite au retrait du champ laser, la dynamique du plasma est d’abord dictée par la solvatation des électrons. La recombinaison du plasma concerne donc essentiellement le devenir des électrons hydratés quant à leur intéraction avec les trous dissociés correspondants. L’attraction coulombienne entre eaq et H3O+aq plaide pour une recom- binaison dite géminée avec l’ion hydronium, eaq + H3O+aq → H•+ H2O. Néanmoins, la réaction chimique correspondante n’est pas gouvernée par la diffusion, contrairement à ce qu’il s’avère être le cas pour la réaction entre eaq et OHaq, e−aq + OHaq OH, qui domine donc le processus de recombinaison géminée de l’électron hydraté (Crowell et al., 1996). La recombinaison provoque la disparition de l’électron hydraté une dizaine de picosecondes après l’ionisation. L’électron hydraté peut également échapper à la recombinaison et survivre jusqu’à la nanoseconde. Sa capacité d’évasion dépend fortement de la distance initiale entre eaq et (OHaq, H3O+aq), donc de la longueur d’éjection de l’électron lors du processus d’ionisation et donc de l’énergie cinétique octroyée à l’électron parvenu dans la BC (Lian et al., 2004; Elles et al.,

2006; Savolainen et al., 2014). Une étude résolue dans le temps de la cinétique de re- combinaison des électrons solvatés informe potentiellement sur le spectre énergétique initial des électrons du plasma photo-induit.

Cette argumentation ne tient que dans le cadre de ionisations clairsemées, considérées comme indépendantes (Lian et al., 2004). Dans le contexte de la génération d’un plasma, la densité de ionisation est suffisamment élevée pour que les espèces chimiques générées par différents événements de photolyse interagissent entre elles selon une chimie de second ordre correspondant à la recombinaison radicalaire croisée. Cette chimie secondaire non homogène affecte la cinétique temporelle de la recombinaison géminée :

∂ρeaq(t)

∂t =−ηρ

2

eaq(t) (2.50)

où ρeaq(t) est la densité d’électron ayant échappée à la recombinaison secondaire et η la valeur empirique de la constante de recombinaison (Linz et al.,2016). L’observation expérimentale de l’échelle de temps à partir de laquelle la chimie du second ordre affecte de manière significative la cinétique de recombinaison des électrons solvatés informe potentiellement sur la densité électronique du plasma photo-induit :

ρ(t) = ρ0

1 + ρηt (2.51)

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