• Aucun résultat trouvé

Pour l’ionisation d’une molécule d’eau induite par un photon, il faut que l’énergie associée à ce photon ¯hω soit supérieure ou égale au potentiel d’ionisation Ei de l’eau, de l’ordre de 6.5 eV. Or, l’énergie des photons d’une impulsion laser proche infrarouge ne dépasse pas 1.55 eV (un cycle d’oscillation du champ laser). L’invraisemblance d’une ionisation de l’eau provoquée par de tels photons se résout dans le cadre de la théorie des perturbations. Il est possible de démontrer que, pour une intensité lumineuse suffisamment importante, la contribution des termes d’ordre supérieur du développement perturbatif de la section efficace d’ionisation, correspondant à la probabilité d’une interaction simultanée de plusieurs photons, ne peut plus être considérée comme négligeable. Lorsque l’intensité du champ laser est suffisamment importante pour que le taux d’ionisation WK = σKIK soit significatif, avec K le nombre de photons pour lequel K ¯hω ≥ Ei, l’ionisation multiphotonique de l’eau devient hautement probable (Chin, 2010).

Au fur et à mesure que l’intensité lumineuse augmente, l’énergie moyenne qu’acquière un électron sous l’influence des oscillations du champ laser, définie comme le potentiel pondéromoteur Upαλ2I, se rapproche, en terme de valeur absolue, du potentiel d’ionisation. Dans ce contexte, la description perturbative de l’ionisation est obsolète. La barrière coulombienne alors formée par la superposition du champ optique avec le potentiel coulombien de la molécule d’eau est propice à la traversée d’un électron par effet tunnel.

Le paramètre de Keyldish permet d’identifier le régime, IMP ou IET, décrivant de manière appropriée l’ionisation photo-induite dans l’eau en fonction de l’intensité du champ laser (Keldysh et al., 1965; Fedorov,2016) :

γ = ω c



m∗cn00Ei

I (2.41)

où m∗= 0.5me est la masse effective de l’électron, moitié de la masse de l’électron dans la bande de conduction de l’eau. La transition entre IMP et IET se situe autour de γ = 1.5 (Linz et al., 2016). La description perturbative convient pour γ >> 1 (IMP), mais n’est plus appropriée lorsque γ << 1 (IET). Au coeur du filament, une intensité maximale restreinte à Ic∼ 5 × 1012 W.cm−2 (Geints et Zemlyanov, 2010) estime γ ∼ 2.1. Au voisinage de la transition, bien que la valeur du paramètre de Keyldish dénote ici une prévalence du régime perturbatif (IMP), la validité de la description perturbative s’estompe quelque peu et une contribution non négligeable du régime d’IET est également à considérée, dans le cadre de la filamentation d’une impulsion laser proche infrarouge dans l’eau (Yudin et Ivanov, 2001).

Dans un milieu condensé tel que l’eau, la densité des ionisations peut être augmentée au cours d’une étape secondaire qui implique tout d’abord l’accélération des électrons de basse énergie cinétique, initialement produit dans le bas de la bande de conduction de l’eau par l’IMP et/ou l’IET, par le champ laser intense encore présent. La conservation de la quantité de mouvement impose que cette absorption additionnelle d’un photon de l’impulsion implique la collision de l’électron avec un troisième corps bien plus lourd, campé par une molécule d’eau. Cette sorte d’effet Bremsstrahlung inverse (EBI) peut se reproduire jusqu’à ce que l’électron acquière une énergie cinétique supérieur à Ei. Une collision supplémentaire peut alors causer l’éjection d’un nouvel électron. Il en résulte la présence de deux électrons dans le bas de la bande de conduction, susceptibles à leur tour d’être assujettis à l’EBI. Cette amplification des ionisations par collision s’apparente à une avalanche d’ionisation (AI) (Vogel et al., 2005;Chin,

2010; Linz et al., 2016). La prise en compte de l’EBI dans la génération du plasma impose la réécriture de l’évolution temporelle de sa densité. Le taux d’ionisation WEBI associé à l’EBI dépend du taux d’absorption W1 intra-bande d’un photon par

un électron situé dans la bande de conduction (Linz et al., 2016) :

WEBI = W1¯

Ei (2.42)

Le taux W1 est lui même définit en fonction de la section efficace de l’absorption

W1= σ I

¯

(2.43)

Le traitement de la dynamique d’une population de porteurs de charge libres soumis à un champ électrique par le modèle de Drude fournit une expression pourσ (Couairon et Mysyrowicz, 2007) :

σ = τcoll ω2τcoll2 + 1×

e2

cn00me (2.44)

où τcoll est le temps moyen qui sépare deux collisions d’un électron avec les molécules du milieu, estimé autour de 1 fs dans l’eau (Linz et al., 2016).

Il est évident que cette description de l’EBI constitue une approximation incapable de décrire dans le détail l’évolution des électrons dans la bande de conduction sous l’influence du champ laser. Un modèle plus complexe divise la bande de conduction en plusieurs états d’énergie cinétique. Le passage vers un état d’énergie cinétique supérieur est assuré par l’incrémentation ¯hω. Seuls les électrons de la bande de conduction ayant atteint un niveau d’énergie cinétique K ¯hω > Ei participent aux ionisations par collision. L’évolution de la densité électronique au sein de la bande de conduction est régie par un système d’équations à taux multiple qui considère de manière indépendante la densité de chacun de ses états (Rethfeld, 2004).

Le modèle simplifié symbolisé par l’équation 2.44permet tout de même de fournir de nouvelles expressions pour une description satisfaisante des variations temporelles de la densité du plasma (Jukna et al., 2016) :

∂ρ ∂t = ( βK K ¯hω0I K)(1 ρ ρn) + σ Uiρ|E| 2 (2.45)

Le premier et second terme à droite de l’équation représente respectivement l’AMP/IMP et l’EBI/AI. La dynamique de l’impulsion laser correspondante est régie selon (Couai- ron et al.,2006) : ∂E ∂z = i 2k0U −1Δ ⊥E − ik  2 2E ∂t2 + k 6 3E ∂t3 + U −1NL(E) (2.46)

Le terme NL(E) comprend l’ensemble des réponses non linéaires à la propagation du champ laser associé à E dans l’eau :

NL(E) = ik0n2T2|E|2E −σ2(1 + iωτcoll)ρE − TβK2 |E|2K−2E (2.47) La durée de l’impulsion a un impact majeur sur l’importance de l’implication de l’EBI dans la génération du plasma. Une impulsion laser d’une centaine de femtosecondes restreint le nombre de cycles de collision entraînant l’AI. De plus, le processus de filamentation limite l’intensité lumineuse et donc la densité d’électrons source de l’avalanche. La combinaison de ces deux paramètres intrinsèques localise les AI autour de chacun des électrons graines, ce qui empêche leur fusion en une avalanche plus globale et donc modère le développement du processus de claquage homogène du milieu. Le contexte de la filamentation d’impulsions laser femtosecondes garantit ainsi une génération de plasmas cantonnés à une basse densité.

Documents relatifs