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Le fait d’accompagner un proche en fin de vie à domicile relève, pour les personnes qui ont accepté de témoigner, d’un véritable engagement moral vis-à-vis de l’autre : une présence de tous les instants, pour tenter de répondre à tous les besoins – quitte à prendre des risques pour leur propre santé. C’est cette implication complète de l’entourage, leur immersion dans la peau d’un « aidant » tout au long de la fin de la vie de leur proche, que nous appellons ici

« investissement total ».

Ces proches qui deviennent « aidants » Aujourd’hui, en France, on compte environ trois millions « d’aidants », c’est-à-dire de personnes qui accompagnent l’un de leurs proches atteint d’une maladie ou en situation de grande dépendance (handicap, vieillesse, etc.).

Ils apportent une aide quasi-quotidienne à cette personne malade, en participant aux tâches ménagères, en assurant son hygiène et son confort, en préparant à manger, en réglant les factures, en veillant à ce que la personne ne soit pas seule trop longtemps, etc.

Parmi ceux-là, une tranche de la population se distingue nettement : celle des 45-65 ans, qualifiée de « génération pivot ». C’est en effet cette génération qui, pour de simples raisons démographiques, est la plus confrontée à l’accompagnement du très grand âge, de la maladie et de la fin de vie. Et au sein de cette génération, les femmes occupent une place centrale : ultra-majoritaires dans les métiers du soin et du social, les

femmes sont aussi les plus nombreuses à assurer ce rôle « d’aidant »

Les personnes en fin de vie préfèrent souvent que l’aidant soit un intime : ces situations impliquent en effet souvent une forme d’intrusion dans l’intimité de la personne malade (toilette, hygiène corporelle, etc.).

Mais contrairement à une idée reçue, l’aidant n’est pas forcément celui ou celle qui est le plus disponible : c’est davantage celui/celle qui se sent apte à assurer ce rôle qui fait en sorte de se rendre disponible.

Au départ les proches ne savent pas réellement à quoi ils s’engagent, ni pour combien de temps :

Ils prennent conscience peu à peu de l’investissement que cela représente, à la fois en termes de temps et d’énergie. Le Le gros souci c’était le fait que je travaille… si j’avais su que ça allait être si rapide je me serais arrêtée mais on ne sait pas dans ces cas-là

Une aidante, à propos de sa mère

Ça m’a pris un temps tous les jours.

Jour et nuit parce qu’il y a la nuit aussi… C’est un temps plein, mais vraiment c’est ce que j’appelle un temps plein. J’ai eu la chance de pouvoir le faire

Une aidante, à propos de son fils (Ile-de-France) Ma femme et moi, on n’aurait pas aimé que ce soit quelqu’un d’autre qui l’aide, par exemple quand il fallait l’aider pour aller aux toilettes, sur la chaise percée ou autre.

On aurait été gêné que ça soit une personne étrangère…

Un aidant (Languedoc-Roussillon)

2 L’implication des proches : s’investir jusqu’à l’épuisement ?

rôle d’aidant est particulièrement chronophage : plus qu’un travail à temps plein, c’est un « investissement total » pour la personne malade.

Accompagner un proche en fin de vie : un choix qui va de soi ?

Qu’est-ce qui motive les proches à devenir des « aidants » ? Pourquoi faire le choix d’un tel investissement personnel ?

Plusieurs études françaises ont montré que les liens affectifs (75%), les valeurs (55%) et le sens du devoir (48%) sont les trois motivations principales des aidants.

Pour de nombreuses personnes, l’existence de liens affectifs et/ou familiaux constitue un « devoir moral », un engagement quasi-naturel.

Le fait d’accompagner un proche à domicile relève, pour les personnes que nous avons rencontrées, de la solidarité familiale, et ne constitue donc pas vraiment un « choix »

Les multiples visages de l’aidant : des tâches ménagères au soutien moral Prendre soin d’un proche à domicile, c’est accepter d’être en première ligne de la maladie et de sa prise en charge : les aidants assument en réalité tout ce que le malade et les intervenants extérieurs ne peuvent pas (ou plus) prendre en charge.

Les proches occupent donc une place aussi importante que variée, leur rôle allant des tâches domestiques au soutien moral du malade, en passant par l’intendance (factures, papiers administratifs, etc.) et les soins (toilette, soins d’hygiène, petits soins infirmiers,…).

Mon frère ne s’entendait pas du tout avec eux, mais par contre là il a fait son devoir, merveilleux, il a fait son devoir mais vraiment impeccablement…

Une aidante qui a accompagné ses parents très âgés à domicile (Ile-de-France)

Je vous assure je ne voyais pas le temps passer parce que il y avait tellement de médicaments à préparer, tellement de choses à faire, tellement de…

Une aidante, à propos de son fils (Ile-de-France)

C’est un truc vous tombez là-dedans, vous n’avez aucune marge de manœuvre au niveau fonctionnement parce que vous avez trois enfants petits, un boulot prenant, des activités en pagaille et puis finalement l’être humain est doué d’une formidable faculté d’adaptation parce que vous y arrivez quand même

Une aidante, à propos de son mari (Bretagne)

Ca faisait partie de ma vie d’homme, de mari… Et puis bon après tout, on est mariés pour le meilleur et pour le pire…

Un aidant (Languedoc-Roussillon)

Des tâches ménagères, moi j’étais complètement étranger à cette affaire-là… Du jour au lendemain je me suis donc occupé d’elle.

Il a fallu faire le ménage… il a fallu faire à manger aussi : moi je n’étais pas cuisinier pour deux sous !

Un aidant qui a accompagné sa femme (Bretagne)

Je l’ai soignée, je l’ai lavée, je lui donnais à manger, je la levais… Vous vous vous retrouvez tout seul avec un malade et un grand malade…

Une aidante qui a accompagné son mari (Languedoc-Roussillon)

Observatoire National de la Fin de Vie | Rapport 2012 28

Pour les aidants qui se retrouvent plongés dans ce quotidien, il s’agit à la fois d’un

« dévouement qui va de soi » et en même temps d’une tâche difficile à accomplir, au point parfois d’entraîner un réel désarroi chez les proches.

Un investissement (presque) sans limites A domicile, le proche est le plus souvent seul avec la personne malade, sans « filet de sécurité » : les passages infirmiers ne sont pas toujours quotidiens, et les aides à domicile ne savent pas toujours quelle réponse apporter aux questions posées par les aidants. Le plus difficile, dans ces conditions, reste le sentiment « d’en faire toujours plus », partagé par de nombreux aidants que nous avons rencontrés.

L’investissement de départ se transforme peu à peu en une véritable course effrenée : l’aidant est appelé à en faire beacoup, à en faire toujours plus, jusqu’à l’impression de ne jamais en faire assez.

Cet engrenage, qui s’apparente parfois à une forme de sur-investissement, peut amener l’aidant à se substituer au malade, à « faire à sa place » des choses qu’il est bien souvent en capacité de faire seul.

Cela induit une relation difficile à gérer entre le proche et la personne malade.

Plus encore, les aidants se retrouvent souvent en situation de participer aux soins. Point de gravitation de la prise en charge à domicile, connaissant parfaitement la situation du malade, les aidants s’impliquent en effet fréquemment dans la dimension soignante de l’accompagnement. Au risque de sortir de leur rôle de « proches ».

Cette implication dans les traitements n’est pas sans poser de problèmes en termes de qualité et de sécurité des soins.

Je gérais les médicaments, le renouvellement des protections, tous les problèmes internes, je donnais moi-même les médicaments, en rendant compte, renseignant le pharmacien. Le médecin traitant avait son compte rendu tous les matins…

Une aidante (Bretagne, milieu urbain)

Je nettoyais tout le temps sa gorge, sa canule, s’il y avait des encombrements. Tout le temps, j’aspirais. C’est vrai qu’au début c’était un peu dur d’aspirer, parce que j’avais toujours peur de…lui toucher quelque chose, de lui faire mal.

Mais après…on prend l’habitude.

Une aidante qui a accompagné son père (Languedoc-Roussillon)

Elle avait toujours cette sensation d’avoir la force de pouvoir le faire et moi je voulais toujours la protéger donc voilà ça rentrait en conflit

Un aidant, à propos de sa femme (Bretagne) Les gestes, c’était compliqué parce

qu’il avait mal. Le toucher, c’était plus possible.

C’était compliqué aussi avec le pack parce que je le faisais, moi. C’était compliqué pour moi parce que je savais qu’avec ses 17 ans c’était compliqué pour lui donc ça, ça a été compliqué, pour moi et pour lui aussi…

Une aidante, à propos de son fils (Ile-de-France) J’aidais un petit peu les infirmières qui venaient à domicile pour aider pour la toilette, j’aidais aussi pour…j’étais un petit un assistant ou aide médical disons…voilà ! (rires)

Un aidant (Languedoc-Roussillon)

Il m’est arrivé plusieurs fois de la lever, de la déshabiller, de la doucher, de la sécher, de la rhabiller, de la recoucher…

Une aidante, à propos de sa mère (Bretagne)

2 L’implication des proches : s’investir jusqu’à l’épuisement ?

La perte d’intimité, la gêne, la honte : trois sentiments avec les malades et leurs proches doivent composer

Contrairement à l’hôpital ou à la maison de retraite, où les soigants s’occupent de tout ce qui concerne les soins d’hygiène - et même de tout ce qui touche au corps –, à domicile les choses sont très différentes…

L’absence d’infirmiers, d’aides-soignants et d’aides à domicile en continu amène en effet les proches à prendre en charge un certain nombre d’activités qui boulversent les rapports parents/enfants ou mari/femme. C’est toute la question de