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Présentation du corpus de sources

2. Inventaire des sources archéologiques

Il sera désormais question d’interroger l’iconographie des monstres mythologiques présente sur une multitude d’objets archéologiques, lesquels seront inventoriés ici sous la forme de tableaux classés par catégorie monstrueuse. Il sera donc pertinent d’appliquer une méthode comparative quant à la présentation de tels objets antiques, afin de déterminer les similitudes physiques et stylistiques entre les monstres proche-orientaux et grecs.

Il convient de rappeler que, au regard de la quantité importante d’objets représentant des monstres disponible, le panel présenté ici relève d’une sélection, basée essentiellement sur les collections du Musée du Louvre, à Paris, et sur celles du British Museum de Londres, bien que certains exemples mobilisés au sein des tableaux soient issus de collections muséales autres.

.2.1. Présentation générique du corpus de sources proche-orientales

Il convient tout d’abord de rappeler que la plupart des objets archéologiques disponibles pour l’espace proche-oriental ancien est issue de complexes architecturaux spécifiques, tels que les temples ou les palais. Mais il existe également une partie des objets découverts qui relève plutôt des pratiques de vie quotidienne, ou bien de pratiques rituelles, c’est pourquoi le corpus de sources archéologiques présenté ici comprend une grande variété d’objets, allant du sceau-cylindre aux statues monumentales. Il convient donc de bien prendre en compte l’utilisation de l’objet afin de comprendre dans quel contexte l’image monstrueuse est mobilisée. Rappelons donc que la fonctionnalité de l’objet représentant des monstres fournit parfois quelques indicateurs sur la fonction et la symbolique dudit monstre, tels que l’illustrent les masques de Humbaba ou les statuettes protectrices de Griffons. Cet échantillon de représentations monstrueuses témoigne bien de la variété des mobilisations monstrueuses, et de la diversité de leurs représentations : ces images sont issues de périodes différentes, de zones géographiques diverses et sont réalisées sur des supports multiples. Tout cela indique que le monstre apparaît comme une figure mythologique assez largement connue et reconnue au sein des civilisations antiques, ce qui est déjà un indicateur de son impact sur l’organisation de la pensée et sur les mentalités. Il apparaît comme difficile de déterminer avec précision quelle est la part de représentations iconographiques monstrueuses parmi toute l’iconographie proche-orientale ancienne, mais il est cependant pertinent de constater que ces représentations semblent nombreuses. Par ailleurs, il convient aussi de souligner que tous les monstres ne semblent pas être équitablement représentés. De fait, il apparaît que les monstres masculins soient assez largement représentés dans l’iconographie proche-orientale, tandis que les représentations de monstres féminins se font plus rares, tel que l’illustre le cas de Tiamat, pourtant dotée d’une place centrale au sein des récits cosmogoniques. Enfin, et concernant tout particulièrement la question des influences culturelles, il devient possible, en étudiant les variations stylistiques et matérielles d’une période ou d’une zone géographique à l’autre, de relever certains aspects similaires qui peuvent confirmer cette hypothèse. Cela va d’ailleurs de pair avec la circulation des objets : de fait, certaines pièces présentées ici sont de manufacture proche-orientale alors que leur découverte intervient sur un sol bien plus éloigné, ce qui traduit de possibles échanges de marchandises, et permet, parallèlement, la diffusion des images monstrueuses hors du territoire proche-oriental.

.2.2. Présentation générique du corpus de sources grecques

Quant au corpus de sources archéologiques grecques, il convient de souligner que les représentations monstrueuses interviennent majoritairement dans le cadre de la décoration de vase en céramique. De fait, certains objets, tels que des statuettes ou des médaillons, représentent le monstre mythologique, mais ces sources restent peu nombreuses face à la quantité importante de vases aux images de monstres qui nous est parvenue. Cela invite donc à questionner la diffusion des images monstrueuses au sein des civilisations grecques : l’image monstrueuse est-elle aussi répandue qu’au Proche-Orient ancien, dont les palais et les temples sont ornés de ces créatures mythologiques ? Au regard de la grande quantité et variété de vases proposant des illustrations monstrueuses, il convient d’admettre que ces images sont assez largement connues des contemporains, bien que cette donnée soit très difficile à déterminer. L’iconographie des vases grecs propose des images de monstres soit dans le cadre de scène de combat, ce qui renvoie tout particulièrement aux récits mythiques héroïques, soit comme éléments ornemental ou décoratif. Il n’est pas certain que le support de ces images monstrueuses ait un rapport avec la symbolique ou la fonction du monstre représenté : il existe bel et bien certains objets dont la fonctionnalité donne des indications à ce sujet, comme les statuettes. Cependant, la majeure partie des représentations monstrueuses figure sur des vases, dont la fonction relève soit du service du vin, soit du transport de liquides, ce qui ne donne aucun élément quant à la symbolique monstrueuse.

.2.3. Présentation des sources iconographiques monstrueuses selon une analyse comparative

Il convient désormais d’appliquer une approche comparative à l’étude de ces sources archéologiques proche-orientales et grecques anciennes. C’est pourquoi le corpus de sources sera présenté par regroupements de monstres, établis selon leur statut au sein du récit mythique pour Tiamat, Ullikummi, Typhée et Echidna, ou bien selon le processus d’hybridation entrant dans leur composition. De fait, il s’agira plutôt de classer les monstres hybrides selon les éléments animaux qui les distinguent, pour les hybrides, et de présenter les monstres humanoïdes à part. C’est ainsi que l’étude présentera d’abord les monstres primordiaux puis les Géants, avant de fonctionner sur ce principe de catégories animales. Seront ainsi présentées les sources illustrant les monstres ailés, puis les Gorgones, qui forment une catégorie particulière. Viendront ensuite les représentations de monstres issus du lion, puis du reptile avant de regrouper ensembles les monstres ovidés, bovidés et équidés. Il sera enfin question d’analyser les sources archéologiques présentant des monstres marins. L’analyse de ces sources archéologiques définira les éléments iconographiques qui permettent d’identifier le monstre d’un espace à l’autre, ce qui mènera ensuite vers un relevé des similitudes stylistiques et iconographiques entre les sources issues des deux espaces étudiés en matière de représentations monstrueuses. Ces objets fournissent aussi des informations au travers de leur matérialité et de leur fonctionnalité, aussi cette étude cherchera à illustrer quel est le rapport entre objet-support et fonction du monstre représenté. Cette analyse du corpus relèvera d’abord les éléments physiques des monstres délivrés par de telles images, avant de rechercher les informations relatives au comportement et à la symbolique de ces créatures fournies par l’iconographie et les objets. Un comparatif entre les monstres proche-orientaux et grecs sera ensuite possible, compte tenu des informations délivrées par les sources littéraires et archéologiques.

.2.3.1. Les monstres primordiaux perturbateurs du cosmos : Tiamat / Ullikummi / Typhée et Echidna

a) Tiamat et Echidna : les génitrices de monstres

La mythologie proche-orientale présente quelques exemples de monstres primordiaux : considérés comme une menace pour l’ordre du cosmos et la suprématie des divinités, monstrueux du fait de leur physique hybride effrayant et de leurs caractéristiques dangereuses et mortelles. Le premier monstre de ce genre qu’il convient de présenter est bien Tiamat, divinité primordiale de la cosmogonie proche-orientale ancienne. Tiamat est la personnification féminine des eaux salées qui, de son union avec le principe d’eau douce divin, Apsu, donne naissance aux premières divinités proche-orientales, puis à toute une armée de monstres.

Peu de sources iconographiques présentent cette créature monstrueuse, ce qui ne permet pas de réaliser un comparatif de ses représentations. Il est cependant possible d’établir son portrait physique en utilisant le sceau-cylindre du Dieu Marduk tuant Tiamat, lequel dévoile un serpent gigantesque doté de bras probablement humains, au regard des cinq doigts apparents416. Cette image rend compte de l’immensité du monstre puisque son corps couvre tout le tour du sceau-cylindre. Par ailleurs, des incisions au niveau de la tête du serpent semblent indiquer que le monstre est soit capable de cracher du feu, soit doté d’un souffle mortel. Le sceau-cylindre représente également Marduk piétinant Tiamat, ce qui renvoie peut-être à l’épisode de la création du monde organisée par Marduk, qui se sert du corps vaincu de Tiamat, comme le mentionne l’Enuma Elish. En revanche, ni les sources littéraires, ni cette représentation, ne font état de la splendeur divine qu’il est possible d’attribuer à la génitrice de monstres. De fait, et au regard de sa présence aux premiers commencements des temps, mais aussi de sa maternité des premières divinités, il n’est pas impertinent de considérer que Tiamat possède un statut spécifique divin. Rappelons d’ailleurs que certains monstres proche-orientaux, tels que Humbaba, sont dotés de cette caractéristique propre aux dieux, cependant rien n’évoque cette possibilité pour Tiamat dans les sources disponibles. Il est par ailleurs pertinent d’interroger cette source iconographique quant à ce qui définit Tiamat comme monstre féminin. Son hybridité est peu marquée : hormis cette main, rien n’indique que ce monstre soit issu d’une mixité humain/serpent, ou serpent/animal autre. Peut-être que son genre ne transparaît qu’aux travers des sources littéraires. Il est possible que d’autres représentations de ce monstre primordial nous soient parvenues, cependant Tiamat reste difficilement identifiable, comme l’illustre le cas des portes principales de la cité de Babylone, lesquelles sont décorées de grands dragons417. Si l’on considère ces exemples comme étant de réelles représentations de Tiamat, et le fait qu’ils soient présents sur les portes de la cité, alors il est probable que ce monstre ait une certaine fonction d’avertissement pour les étrangers. Il apparaît cependant plus pertinent que ces représentations n’aient pour but que de rappeler certains épisodes mythiques418.

Pour l’analyse comparative à suivre, il convient de rappeler d’abord que le récit mythique faisant intervenir Tiamat lui donne une place prépondérante puisqu’elle apparaît comme l’initiatrice des troubles de l’ordre divin. L’étude a déjà explicité la description fournie par l’Enuma Elish du monstre féminin, cependant aucun vers ne retransmet d’information quant à son aspect physique : seuls son caractère chthonien et son humeur sauvage, changeante, colérique et vengeresse sont mis en avant au travers du texte. Au sujet de ses fonctions, il n’y a que

416 Dieu Marduk tuant Tiamat, Sceau-cylindre, 89589, v. 900 – 750 av. J.-C., British Museum, Londres

417 KOMDOWEY Robert, Das Wieder Erstehende Babylon : die Bisherigen Ergebnisse der deutschen Ausgrabungen, Hinrichs, 1914, Leipzig, pp. 32 - 40

418 DENNEFELD Louis, « La personnalité de Tiamat » dans Revue des Sciences Religieuses, tome 2, 1922, pp. 1 - 12

dans les sources littéraires qu’il en est question, sauf si l’on considère que le sceau-cylindre renvoie à la création du monde avec le corps du monstre. Par ailleurs, notons que certaines sources relatives à Tiamat en font une femme dotée de plusieurs yeux, de cornes ou d’une apparence similaire à celle d’un chameau, mais l’étude privilégiera plutôt son aspect reptilien419. Une étude étymologique du nom de Tiamat, qui pourrait être utile pour la prochaine analyse comparative, révèle que ce terme est issu de l’association des termes sumériens ti, qui signifie « vie », et ama, qui désigne la mère ou la maternité, et qu’il peut être associé au terme tâmtu qui désigne la mer.

Ce monstre chthonien féminin semble avoir son équivalent du côté de la cosmogonie grecque, avec la figure monstrueuse d’Echidna. Également faite génitrice de monstres dans plusieurs sources littéraires antiques, Echidna est décrite comme un être hybride mi-serpent mi-femme, et ne semble intervenir que dans le cadre de sa maternité. Bien qu’il ne semble pas exister de représentation iconographique grecque pour illustrer la figure d’Echidna, les sources littéraires la décrivent comme issue d’une hybridation entre un serpent et une femme, ce qui rappelle la représentation de Tiamat précédemment mobilisée. Par ailleurs, toutes deux sont chthoniennes et dotées de la même fonction génitrice de monstres. Enfin, Echidna se semble pas aussi redoutable que Tiamat dans le sens où cette dernière vient à troubler l’ordre du cosmos : il apparaît cependant que la progéniture d’Echidna trouble à plusieurs reprises les cités grecques, ce qui nécessite l’intervention de héros, à l’instar de l’apparition du dieu Marduk dans le récit de l’Enuma Elish, ce qui indique alors qu’Echidna est, elle-aussi, l’initiatrice du chaos.

Sources et références Datation Matériaux Localisation

Dieu Marduk tuant Tiamat Sceau-cylindre néo-assyrien 89589

v. 900 – 750 av. J.-C. Serpentine

British Museum, Londres

Tiamat, reine des eaux avec un vase

Statue assyrienne

v. 2040 – 1870 av. J.-C. Ronde -bosse

Tiamat, la déesse de l’eau salée avec des héros Sceau cylindre

v. 200 av. J.-C. Jaspe