• Aucun résultat trouvé

4.1.1 Revue bibliographique sur le rhéoépaississement

Le comportement de rhéoépaississement des suspensions concentrées a été l’un des principaux intérêts des rhéologues ces dix dernières années [Hoffman (1972), (1974) ; Barnes (1989)]. Ce terme « rhéoépaississement » est généralement utilisé pour désigner l’augmentation de la viscosité apparente lorsqu’un cisaillement croissant est appliqué. Ce comportement est fréquemment rencontré dans diverses industries lors du traitement de suspensions très concentrées (agro-alimentaires, pétrolières, bétons….)

L’apparition du rhéoépaississement marque souvent le point où les interactions hydrodynamiques commencent à s’imposer dans le système [Barnes (1989) ; Boersma (1990)]. Cependant, l’aspect micro – structurel de ce phénomène reste non résolu. [Hoffman (1972), (1974)] est le premier à étudier ce point en utilisant des mesures de diffraction combinées à la rhéologie. Dans ses mesures, il montre que rhéoépaississement est accompagné par un changement de microstructure et conclut que le taux de cisaillement critique de rhéoépaississementγ& correspond une transition entre un état d’écoulement facile c

où les particules sont bien ordonnées sous le cisaillement et un état désordonné. Ce mécanisme est généralement appelé « transition ordre – désordre ». Par ailleurs, des simulations numériques basées sur la dynamique de Stokes confirment cette transition, induite par le cisaillement, qui intervient avec le rhéoépaississement [Catherall et al. (2000)]. Sur des suspensions colloïdales à une fraction volumique de 0.44 stabilisées (par charge ou adsorption d’un polymère), une transition ordre – désordre est observée, avec seulement une petite augmentation de la viscosité. Par contre aux fractions volumiques supérieures, un rhéoépaississement abrupt est obtenu avec des modifications importantes entre l'ordre et le désordre.

Cependant, certains auteurs se sont demandés si cette transition ordre – désordre a toujours lieu pour tous les systèmes rhéoépaississants. En effet, [Laun (1991)] a observé un comportement de rhéoépaississement, sans cette transition proposée par Hoffman, sur une dispersion concentrée de particules sphériques. De plus, des simulations numériques ont montré que le rhéoépaississement était caractérisé par une formation d’agrégats de particules ou « hydro – clusters » sous écoulement [Bender (1996) ; Brady et Bossis (1998)]. La formation de ces structures induites par l’écoulement implique l’augmentation de la dissipation d’énergie qui entraîne l’augmentation de la viscosité. Ainsi, ces auteurs concluent que le rhéoépaississement n’est pas lié à la destruction des couches ordonnées mais à la génération des hydro – clusters. Les résultats expérimentaux par dichroïsme dans les travaux de [Bender et Wagner (1995)] apportent une preuve supplémentaire sur la solidité de cette hypothèse. Toutefois, il faut noter qu’avec cette théorie des clusters, il n'est pas du tout nécessaire de supposer l'existence d'un état ordonné avant la transition de rhéoépaississement.

4.1.2 La rhéologie d’une suspension de fécule de maïs

Dans ce paragraphe, nous étudions qualitativement le comportement rhéologique d’une suspension concentrée de fécule de maïs. La suspension utilisée a une fraction volumique de 0.44 : il s’agit d’un mélange de grains de fécule dans une solution de CsCl dont

cette géométrie, différentes tailles d’entrefer ont été testées. En plus du plan – plan, certains essais ont été réalisés sur une géométrie de Couette à écoulement cylindrique. Cependant, comme pour l’étude de matériaux granulaires ou pâteux, à la place du cylindre intérieur, un croisillon a été utilisé. Ce dispositif (Vane) permet d’éviter tout glissement du matériau à l’interface de la géométrie en créant un cylindre intérieur fictif avec une rugosité de la taille des particules en suspension [Coussot et Ancey (1999)]. Cette géométrie de mesure présente les dimensions suivantes : Rayon du croisillon 12.5 mm, Rayon du cylindre extérieur 18.5

mm, Hauteur 45 mm soit un entrefer de 6 mm. Il faut noter qu’une géométrie sablée a été

utilisée afin d’éviter tout glissement de la suspension à la paroi du cylindre extérieur.

Afin d’induire un écoulement à cisaillement simple dans l’échantillon, une lente montée logarithmique d’une durée de 300 s du taux de cisaillement de 0.01 à 100 s-1 est appliquée dans le cas d’un écoulement à taux de cisaillement imposé. Cependant, un cisaillement simple peut être aussi obtenu en imposant une contrainte ; dans ce cas, nous avons imposé une montée logarithmique de la contrainte de 0.01 à 500Pa pendant une durée de 300 s. La viscosité apparente est alors mesurée en fonction du taux de cisaillement ou de la contrainte. La Fig. 1 montre les différentes évolutions typiques de la viscosité et de la contrainte de cette suspension de fécule de maïs présentant un comportement fortement rhéoépaississant.

Fig. 1 : Evolution de la viscosité apparente en fonction du taux de cisaillement dans la

géométrie Vane lors d’une lente montée logarithmique (a) de 0.01 à 500Pa. (b) de 0.01 à 100 s-1. (c) Evolution de la contrainte en fonction du taux de cisaillement dans les conditions que (a). (d) Viscosité en fonction du taux de cisaillement dans le cas de la géométrie plan – plan

Sur ces graphes, nous pouvons noter que le rhéoépaississement se traduit par une transition entre deux régimes très différents selon l’amplitude du taux de cisaillement. Ainsi, aux bas taux de cisaillement (ou contraintes), une diminution très marquée de la viscosité est observée : il s’agit d’un comportement typique d’un fluide à seuil : ce seuil d’écoulement est bien mis en évidence sur la Fig. 1(c) où la contrainte tend vers une valeur critique très faible de l’ordre de 0.6 Pa pour les faibles taux de cisaillement. Cette très faible valeur de la contrainte seuil explique l’écoulement observé sur un plan incliné d’un angle très faible. A partir d’un certain taux de cisaillement, une augmentation brusque de la viscosité est observée : c’est le phénomène de rhéoépaississement. Pour des taux de cisaillement plus élevés, la suspension confinée dans la géométrie de mesure commence à être expulsée (Fig. 2). D’ailleurs cette expulsion de l’échantillon hors de l’entrefer est à l’origine de la saturation ou la même de la chute de viscosité qui peut être observée (Fig. 1b).

Fig. 2 : Ejection de l’échantillon dans le régime de rhéoépaississement ou des fortes instabilités [Huang (2006)]

Cependant, l’augmentation de viscosité dans ce régime rhéoépaississant peut aller jusqu’au blocage total de la suspension traduisant ainsi un arrêt brusque de l’écoulement. La Fig. 1(a) montre la viscosité en fonction du taux de cisaillement lors d’une montée de la contrainte. Nous pouvons remarquer dans ce cas, qu’aucun arrêt de l’écoulement n’est observé durant toute l’application de la contrainte. Cependant, dans le cas d’une montée du taux de cisaillement, le rhéomètre peut se bloquer : le couple mesuré sur l’axe de la géométrie devient très important devant la valeur maximale autorisée.

Par ailleurs, lors de l’écoulement et avant le minimum de viscosité, des bandes de cisaillement peuvent être observées pour de faibles valeurs du taux de cisaillement. Ces bandes sont facilement mises en évidence par une simple utilisation d’un traceur déposé à la surface libre de la suspension (Fig. 3). L’apparition de ces bandes de cisaillement explique l’évolution à peu près constante de la contrainte pour les faibles taux de cisaillement (Fig. 1c). En plus, le minimum de viscosité observé juste avant la transition vers le régime de rhéoépaississement correspond à l’apparition des premières instabilités d’écoulement. Aux taux de cisaillement supérieurs, ces instabilités deviennent plus importantes et accompagnent

Fig. 3 : Mise en évidence des instabilités d’écoulement lors du rhéoépaississement (a) Mise en place de l’échantillon (b) Localisation de l’écoulement aux faibles taux de cisaillement (c) Fin de la localisation : tout l’échantillon dans l’entrefer est cisaillé (d) Premières instabilités – minimum de viscosité (e) Fortes instabilités – régime rhéoépaississant (f) Fin de l’expérience : réversibilité du rhéoépaississement [Huang (2006)]

Par ailleurs, les mesures réalisées en géométrie plan – plan montrent des contraintes normales très importantes qui accompagnent le rhéoépaississement. En effet, dans le régime de rhéofluidification, les contraintes normales sont très faibles voire nulles. En revanche, à partir d’un cisaillement critique, elles se développent et prennent des valeurs très importantes. Le taux de cisaillement critique pour lequel ces contraintes apparaissent est du même ordre de grandeur que celui pour lequel la viscosité augmente (Fig. 1d). La Fig. 4 montre l’évolution

0,01 0,1 1 10

0

2000

4000

6000

8000

10000

Taux de cisaillem ent (s

-1

)

Contrai

ntes Normales (Pa)

Fig. 4 : Contraintes normales en fonction du taux de cisaillement lors d’une montée logarithmique du taux cisaillement de 0.01 à 100 s-1 pendant une durée de 300 s

Ces observations sur le comportement sous écoulement de cette suspension soulèvent des questions sur ce qui passe réellement dans l’entrefer de la géométrie de Couette pendant le cisaillement. Afin d’y répondre, des mesures locales par Imagerie par Résonance Magnétique (IRM) ont été menées.