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Introduction à la littérature de polémique antijudaïque et antijudaïsante

Dans le document Le dialogue d'Athanase et Zachée - RERO DOC (Page 85-126)

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B. La littérature de polémique

IV. Introduction à la littérature de polémique antijudaïque et antijudaïsante

La polémique antijudaïque ancienne n’est heureusement plus guère goûtée aujourd’hui, mais en même temps cette littérature est généralement négligée par les historiens. Plusieurs raisons, il faut l’avouer, rendent son étude scientifique malaisée. Certaines sont émotionnelles, car il est bien difficile, devant la violence de certains propos, de faire abstraction de la tragédie du siècle passé et de les lire sereinement. D’autres sont techniques et relèvent de la difficulté d’accès aux textes, pour la plupart desquels nous ne disposons pas encore d’édition critique, voire pas d’édition du tout. Cependant, malgré ces conditions difficiles, nous avons besoin dans cette étude de nous référer souvent à ces textes et parfois de leur consacrer beaucoup d’attention. C’est pourquoi, pour faciliter le voyage du lecteur, il a paru utile, au début de ce périple, de faire une étape dans ces terres arides et mal connues et de présenter brièvement une partie de ce matériel, en fournissant quelques repères chronologiques et bibliographiques.

Les textes du IIème au Vème siècle, sur lesquels nous nous attardons davantage, sont regroupés, à toutes fins utiles, en cinq périodes, qui semblent présenter chacune des caractéristiques propres785. A partir du VIème siècle, nous nous limitons à quelques textes

plus utiles à l’étude d’AZ. Les auteurs et les textes les plus importants pour cette étude ont été mis en gras. Il n’aurait été ni possible ni utile de signaler toute la bibliographie ; de façon à donner au lecteur un point d’entrée, les ouvrages de H. Schreckenberg (Die

Christlichen…) et de C. Moreschini, E. Norelli (Storia…) sont cités systématiquement, le

premier par rapport à l’histoire de l’antijudaïsme, le second par rapport au contexte plus large de la littérature chrétienne. Nous signalons aussi les études les plus récentes et celles qui nous ont été particulièrement utiles786.

Dans le chapitre XV, nous aurons l’occasion de revenir sur cette liste puis, en fonction de nos conclusions sur le lieu et la date de publication, de réfléchir à la place que le Dialogue

d’Athanase et Zachée (AZ) occupe au sein de cette littérature. Pour le lecteur intéressé,

nous renvoyons à l’Appendice A la discussion sur les critères suivant lesquels un texte peut être considéré comme faisant partie de la polémique antijudaïque.

1. Le deuxième siècle jusqu’aux années 190787

En dehors des textes aujourd’hui conservés dans le Nouveau Testament, l’Epistula

Barnabae788 est certainement le plus ancien ouvrage conservé de polémique antijudaïque

chrétienne. Dans ce texte, probablement antérieur à 140789, l’auteur développe des idées

très hostiles aux juifs, non seulement à propos de Jésus, mais aussi sur des thèmes destinés à devenir traditionnels, comme le rejet d’Israël, l’alliance, la compréhension du Premier

785 Dans ce travail, nous nous contenterons d’en présenter sommairement quelques caractéristiques, sans

chercher à les expliquer.

786 Le lecteur consultera toujours avec profit M. SIMON, Verus…, pp. 166-176. Pour les textes en latin,

B. BLUMENKRANZ, Die Judenpredigt.., pp. 9-89 ; IDEM, Les auteurs.... D’anciens ouvrages rendent encore de

grands services, par exemple A. HARNACK..., Geschichte... ; O. BARDENHEWER, Geschichte... ; A. LUKYN

WILLIAMS, Adversus…, de même que le volume de S. KRAUS récemment publié par W. HORBURY, The

Jewish-Christian...

787 Pour toute cette période, voir aussi F. BLANCHETIERE, Aux sources … ; D. CERBELAUD, Polémique… ;

J. LIEU, Image… ; R. S. MACLENNAN, Early….

788 (Le numéro CPG et l’édition des textes cités dans la bibliographie finale ne sont pas donnés en note). Sur

ce texte, C. MORESCHINI…, Storia…, v. 1, pp. 188-192 ;H. SCHRECKENBERG, Die Christlichen…, pp. 174-

178 ; bibliographie plus récente dans CPGs, pp. 5-6.

Testament, la loi mosaïque, etc. Bien que la critique ait souvent pensé à une origine

syrienne de l’œuvre790, récemment plusieurs auteurs se sont prononcés pour la localisation,

plus traditionnelle, en Egypte791.

Bien que la partie centrale soit perdue, le premier dialogue antijudaïque qui nous soit

parvenu est le Dialogue avec Tryphon792 de Justin Martyr. La datation dépend d’une

référence à une guerre judaïque récente, mentionnée dans le texte : s’agit-il de la révolte de Bar-Cochéba (132-135), ou d’une guerre livrée par Antonin le Pieux (peut-être vers 160) ? C’est une œuvre considérable, qui a fait l’objet de nombreuses études. Relevons ici seulement que le nombre et la diversité des arguments et des testimonia utilisés présuppose déjà une longue tradition polémique et apologétique. Par ailleurs, il est généralement admis que l’auteur est originaire de Neapolis, en Samarie, qu’il a séjourné ou vécu à Ephèse et à Rome, où la composition du dialogue est traditionnellement située, contrairement à la proposition récente d’A. G. Hamman, qui la place en Syro-Palestine793.

Diverses œuvres contiennent des chapitres antijudaïques, bien que ce ne soit pas le projet central, ou unique, de leur auteur. Nous signalons brièvement,

. les chapitres 3 et 4 de Ad Diognetum794, dont la date n’est pas connue avec précision ;

cet ouvrage est traditionnellement situé à Alexandrie dans la seconde moitié du IIème siècle, bien que récemment Rome ou l’Asie Mineure aient été proposées ;

. la longue interpolation chrétienne du livre 1 des Oracula Sibyllina795 (ll. 324-400), de

même qu’un passage plus bref dans le livre 2 (249-251). La rédaction chrétienne de ces deux livres se situe le plus probablement entre les années 70 et 150. Par contre la dimension antijudaïque du livre 8 n’est pas assez importante pour qu’il soit retenu ici (cf. ll. 287-309)796.

. l’Aduersus haereses797 d’Irénée de Lyon, originaire d’Asie Mineure, fut composé dans

le dernier quart du IIème siècle ; à plusieurs reprises, en particulier dans le livre 4, l’auteur s’exprime durement sur la « condition théologique » des juifs.

790 Par exemple, P. PRIGENT, Les Testimonia…, pp. 218-219 ; F. SCORZA BARCELLONA, Epistola di Barnaba,

Corona Patrum 1, 1975, cf. pp. 62-63.

791 Cette localisation a été relancée par M. SIMONETTI, Teologia e cristologia nell'Egitto cristiano, Studia

Ephemeridis Augustinianum 56, 1997, pp. 11-38, cf. pp. 15-17 ; voir aussi entre autres L. W. BARNARD,

Studies, p. 46 n. 2 ; F. R. PROSTMEIER,Der Barnabasbrief, ci-dessus, p. 129, et la bibliographie chez R. S.

MACLENNAN, Early…, p. 21 n. 1.

792 C. MORESCHINI…, Storia…, v. 1, pp. 295-297 ; H. SCHRECKENBERG, Die Christlichen…, pp. 182-200 ;

parmi une abondante littérature, citons quelques études récentes : P. BOBICHON, Les enseignements juif,

païen, hérétique et chrétien dans l'oeuvre de Justin Martyr, Rev. des Et. Aug. 45, 1999, pp. 233-259 ; A.

KÜLZER, Disputationes…, pp. 97-103 ; M. MACH, Justin Martyr’s Dialogus cum Tryphone Iudaeo and the

Development of Christian Anti-Judaism, dans Contra Iudaeos…, éd. O. LIMOR, G. G. STROUMSA, pp. 27-47 ;

G. OTRANTO, In margine a una guerra giudaica : epoca di ambientazione e data di composizione del

Dialogo con Trifone di Giustino, Vet. Christ. 16, 1979, pp. 237-249 ; D. TRAKATELLIS, Justin Martyr's

Trypho, Harv. Theol. Rev. 79, 1986, (=Christians among Jews and Gentiles, mélanges K. Stendahl), pp. 287-

297 ; M. WAEGEMAN, Les traités…

793 P. 235 dans A. G. HAMMAN, Essai de chronologie de la vie et des oeuvres de Justin, Aug. 35, 1995,

pp. 231-239.

794 C. MORESCHINI…, Storia…, v. 1, pp. 307-310 ; H. SCHRECKENBERG, Die Christlichen…, pp. 208-209 ; E.

NORELLI, A Diogneto, Letture cristiane del primo millennio 11, 1991, pp. 46-62 (réf. bibliogr.).

795 CPG 1352, éd. J. GEFFCKEN, GCS, 1902, ripr. 1967 ; cf. C. MORESCHINI…, Storia…, v. 1, pp. 322-323 ; J.

H. CHARLESWORTH, The Old Testament Pseudepigrapha, v. 1, Londres, 1983, pp. 330-334.

796 J. H. CHARLESWORTH, The Old… , op. cit., pp. 415-417.

. le De Pascha de Méliton de Sardes798, décédé vers 180 ; dans la deuxième partie, la

polémique, très virulente, culmine dans l’accusation de déicide799 - la première

attestation, semble-t-il, d’une telle accusation. Ce triste texte a été rapidement traduit en diverses langues, suivant un processus de transmission qui demande encore à être élucidé800.

Pour cette période, nous connaissons l’existence de plusieurs textes aujourd’hui entièrement ou en grande partie disparus.

Le dialogus antijudaïque tenu pour le plus ancien est la Disputatio Iasonis et Papisci, généralement attribuée à Ariston de Pella801, bien que pour G. Otranto il s’agisse des

minutes anonymes d’une dispute ayant réellement eu lieu ; cette position pourrait remettre en question la datation la plus fréquente, qui situe le texte entre 140 et 145. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce texte qui a été envisagé par plusieurs auteurs comme source du Dialogue d’Athanase et Zachée (cf. ci-dessous, p. 289 sqq.).

Les fragments conservés de l’Euangelium Petri (évangile de la passion) présentent les juifs sous un jour particulièrement négatif. L’œuvre aurait été composée à Antioche, dans la première moitié du IIème siècle802.

Les fragments 4-6 et 9 du Kerygma Petri ont également un fort ton antijudaïque. Cette œuvre, conservée principalement dans les Stromates de Clément d’Alexandrie et dans les Commentarii in Iohannem d’Origène a certainement été rédigée en Egypte dans le premier quart du IIème siècle803.

Certains manuscrits de l’Historia ecclesiastica d’Eusèbe de Césarée mentionnent un PrÕj „ouda…ouj en deux livres de Claude Apollinaire de Hiérapolis, en Phrygie, actif dans la seconde moitié du siècle804.

Les fragments conservés chez Eusèbe des Hypomnemata d’Hégésippe805, qui voyagea à

Corinthe et à Rome, font penser que cette œuvre difficile à cerner avait un fort accent antijudaïque, d’autant plus que l’auteur pourrait être un juif converti. Son origine palestinienne est par contre moins incertaine. Le texte aurait été achevé vers 180.

798 Cf. C. MORESCHINI…, Storia…, v. 1, pp. 204-209 ; H. SCHRECKENBERG, Die Christlichen…, pp. 201-

205 ; I. ANGERSTORFER, Melito und das Judentum, Regensburg, 1985 ; D. SATRAN, Anti-Jewish Polemic in

the Peri Pascha of Melito of Sardis : The Problem of Social Context, dans O. LIMOR…, Contra Iudaeos….,

pp. 49-58 traite surtout de questions de méthode ; pp. 772-775 dans D. F. WINSLOW, The Polemical

Christology of Melito of Sardis, Stud. Patr. 17, 1982, pp. 765-776 ; J. LIEU, Image…, pp. 199-240.

799 L. 735, §96 ; O. PERLER (pp. 116-117) a eu la pudeur de ne pas traduire cette ligne.

800 Cf. bibl. dans CPG 1092 ; en particulier J. E. GOEHRING, The Crosby-Schøyen Codex ms 193 in the

Schøyen Collection, CSCO 521, subs. 85, 1990, pp. 3-9.

801 CPG 1101 ; cf. Origène, Contra Celsum 4, 52 ; C. MORESCHINI…, Storia…, v. 1, pp. 295 ;

H. SCHRECKENBERG, Die Christlichen…, p. 180 ; G. OTRANTO, La Disputa… ; M. HOFFMANN, Der

Dialog…, pp. 9-10 ; B. R. VOSS, Der Dialog…, pp. 23-26 ; A. KÜLZER, Disputationes…, pp. 95-97 ; P. ANDRIST, Pour un répertoire…, pp. 302-303.

802 Cf. C. MORESCHINI…, Storia…, v. 1, pp. 120-124.

803 CANT 208, éd. E. von DOBSCHÜTZ, TU 11.1, 1893, pp. 18-27, dans IDEM, Das Kerygma Petri kritisch

untersucht, TU 11.1, 1893 ; cf. C. MORESCHINI…, Storia…, v. 1, pp. 288-289 ; H. SCHRECKENBERG, Die

Christlichen…, p. 210 ; W. SCHNEEMELCHER, Das Kerygma Petri, dans Neutestamentliche Apokryphen, t. 2,

éd. IDEM, Tübingen, 1989/5, pp. 34-41 ; bibliographie récente chez M. CAMBE, Prédication de Pierre, dans

Ecrits apocryphes chrétiens, v. 1, pp. 5-10. Sur le caractère antijudaïque de l’œuvre, pp. 69-71 dans E.

NORELLI, Situation des apocryphes pétriniens, Apocrypha 2, 1991 = La fable apocryphe II, pp. 31-83.

804 Généralement les textes perdus n’ont pas de numéro CPG ; cf. Euseb., Hist. eccl. 4.27 (p. 212, SC 31) ;

H. SCHRECKENBERG, Die Christlichen…, p. 201.

805 CPG 1302, fragments et paraphrases dans Euseb., Hist. eccl. 2.23.3-19 ; 3.11-12, 19-20, 32 ; 4.8.2 ; 4.22 ;

cf. C. MORESCHINI…, Storia…, v. 1, pp. 282-283 ; H. SCHRECKENBERG, Die Christlichen…, p. 205 ;

De la même époque serait un certain Miltiade, qui polémiqua contre les juifs ainsi que contre les montanistes et les valentiniens. L’auteur était peut-être d’origine asiatique806.

De façon assez exceptionnelle dans la littérature chrétienne, malgré sa polémique implacable contre la loi et contre « le dieu des juifs »807, Marcion ne semble pas, dans ses

Antithèses, s’en être pris directement aux juifs ou au judaïsme en tant que tels. L’auteur,

originaire de Sinope sur la Mer noire, était actif à Rome au milieu du IIème siècle808.

Sur la base des hypothèses évoquées ci-dessus, et en tenant compte à la fois des lieux d’origine supposés de l’auteur et de composition du texte, il semble que l’on ait produit des textes antijudaïques dans presque toutes les régions où le christianisme est bien implanté, en l’occurrence l’Asie Mineure, la Syro-Palestine, aussi l’Egypte (Epistula Barnabae), et, malgré l’absence de textes en latin, Rome et la Gaule. C’est la caractéristique principale de cette première période.

Nous remarquons de plus que les écrits de polémique antijudaïque appartiennent déjà à divers genres littéraires, comme les traités apologétiques ou antirrhétiques plus large, le

dialogus, l’hagiographie (les Kerygma Petri et, de façon plus éloignée, l’Euangelium Petri), outre un exemple d’homélie et un exemple d’oracle prophétique. Quantitativement,

nous avons l’impression que les textes antijudaïques constituent une part importante de la production chrétienne de l’époque ; en particulier nous trouvons beaucoup de textes entièrement consacrés à ces questions.

2. Des années 190 à la fin du troisième siècle

La période comprise entre la fin du deuxième siècle et le début du règne de Constantin présente un certain contraste entre une littérature en langue grecque, qui ne nous a pas laissé beaucoup de textes de polémique antijudaïque, et une littérature latine, nouvelle et souvent très engagée sur ce thème.

2.a - Textes grecs

Des textes attachés au nom d’Hippolyte, nous ne retiendrons que les chapitres 9.18-30 de la Refutatio omnium haeresium attribuée à l’Hippolyte romain, actif au début du IIIème siècle809, bien que le ton ne soit guère polémique.

806 Cf. Euseb., Hist. eccl. 5.17.5 (p. 54, SC 41) ; Tertul., Aduersus ualentinianos (CPL 16, éd. J.-C.

FREDOUILLE, SC 280-281, 1980-1981) 5.1, p. 88, SC 280 ; cf. H. SCHRECKENBERG, Die Christlichen…,

pp. 200-201.

807 Bien que sa provenance de l’extrait ne soit pas claire, l’expression est citée entre autres chez Epiph.,

Panarion 42.3.2, 42.4.2, etc. (pp. 97, 99, éd. J. DUMMER, GCS).

808 CPG 1145, fragments chez A. von HARNACK, Marcion, das Evangelium vom fremden Gott, Leipzig,

1924/2, ripr. Darmstadt, 1985, pp. 256*-313* ; cf. ibidem, pp. 74-92, C. MORESCHINI…, Storia…, v. 1,

pp. 246-252 ; H. SCHRECKENBERG, Die Christlichen…, pp. 180-182, 605, 760 ; W. BIENERT, Markion –

Christentum als Antithese zum Judentum, dans H. FROHNHOFEN, Christlicher…, pp. 139-144.

809 CPG 1899, éd. M. MARCOVICH, PTS 25, 1986, cf. pp. 363-377 ; cf. H. SCHRECKENBERG, Die

Christlichen…, pp. 227-228 ; P. NAUTIN, Hippolyte - Contre les hérésies - fragment - étude et édition

critique, Paris, 1949. Sur la question des Hippolytes, C. MORESCHINI…, Storia…, v. 1, pp. 338-356 ; Misc.,

Ricerche su Ippolito, SEAug. 1977 ; Misc., Nuove ricerche su Ippolito, SEAug. 1989 ; pour l’unité des

auteurs, J. FRICKEL, Das Dunkel um Hippolyt von Rom. Ein Lösungsversuch : Die Schriften des Elenchos und

Contra Noëtum, Grazer Theologische Studien 13, Graz, 1988 ; pour la séparation, M. SIMONETTI,

Aggiornamento su Ippolito, SEAug. 30, 1989, pp. 75-130 ; IDEM, Una nuova proposta su Ippolito, Aug. 36,

Le long fragment d’une Demonstratio adversus iudaeos, attribuée à Hippolyte810, est

vigoureusement rejeté de ce corpus par P. Nautin, qui relève, pour des raisons de critique interne, qu’il ne peut pas être antérieur à la dispute trinitaire811.

Au début du IIIème siècle fut composée en Syrie du Nord la Didascalia apostolorum,

aujourd’hui perdue en grec812. Dans un chapitre consacré aux hérésies, une courte section

veut montrer « que Dieu abandonna le peuple des juifs et le temple et vint à l’Eglise des nations »813. Par contre ailleurs, l’auteur demande plusieurs fois de jeûner et de prier pour

les « frères » juifs, « afin que, par vos prières, ils soient jugés dignes de pardon et qu’ils se tournent vers notre Seigneur Jésus-Christ »814. Pour les rapports entre ce texte et les

Constitutiones apostolorum, cf. ci-dessous p. 97.

Les Stromata815 de Clément d’Alexandrie se présentent, du moins en partie, comme un écrit

contre (PrÕj) les grecs et contre les juifs (§4.1.3, p. 248.11, GCS Clem. 2). Bien qu’A. Le Boulluec voie une intention quasi missionnaire dans la technique d’exposition de Clément816, nous relevons que les juifs ne sont guère mentionnés et ne font l’objet d’aucune

polémique particulière, alors que la polémique contre les grecs est tout à fait visible. Clément est probablement né vers 140-150 à Athènes ou à Alexandrie ; il aurait étudié en divers lieux en Orient et à Alexandrie, où il enseigna. Pour fuir les persécutions, il partit en 202 ou 203 pour l’Asie mineure où il décéda avant 221 ; la critique tend à situer la composition des Stromata avant cette fuite, entre 198 et 203.

Nicéphore de Constantinople a conservé un fragment d’un autre texte de Clément, intitulé Canon ecclesiasticus ou « Kat¦ „oudaizÒntwn »817, qui est aussi signalé par

Eusèbe (Hist. eccl. 6.13.3). Bien que ce fragment, qui n’est pas en soi particulièrement antijudaïque, ne permette pas de préciser davantage la date et le caractère (et l’authenticité ?) du texte dont il est issu, son titre permet de se demander si, comme il arrive souvent dans la littérature antijudaïsante, l’auteur ne polémiquait pas aussi contre les juifs.

La polémique antijudaïque joue un certain rôle dans le quatrième livre, consacré aux Ecritures (= neuvième traité de la seconde série), du De principiis qu’Origène composa avant 231 alors qu’il vivait encore à Alexandrie (cf. §§4.2.1, 5 ; 4.3.6-8, voir aussi 4.1.6, 4.2.6)818.

810 CPG 1914, éd. E. SCHWARTZ, Zwei Predigten … pp. 19-23 ; PG 10, 788-794 ; outre la bibliographie déjà

citée, P. NAUTIN, Le dossier d'Hippolyte et de Méliton, Patristica 1, Paris, 1953, pp. 109-114 ; L. CRACCO

RUGGINI, Pagani…, pp. 43-44 ; A. LUKYN WILLIAMS, Adversus…, pp. 53-55 ; A. KÜLZER, Disputationes…,

pp. 103-105.

811 Pour un avis contraire plus ancien, J. JUSTER, Les juifs…, v. 1, p. 56 n. 7, suivant les remarques de A. Harnack.

812 Cf. C. MORESCHINI…, Storia…, v. 1, pp. .197-199 ; H. SCHRECKENBERG, Die Christlichen…, pp. 213-216.

813 Didasc. 23.5.5-6.1, pp. 184-186, trad. F. NAU. Comme le dit Ch. Piétri (La géographie…, p. 91)

« l’ouvrage atteste l’âpreté de la polémique contre les juifs et aussi contre les judéo-chrétiens ».

814 Didasc. 21.16.8, p. 171, trad. F. NAU ; voir toute la section 21.18-22.1.

815 CPG 1377, éd. O. STÄHLIN, L. FRÜCHTEL, U. TREU, 2 vv., GCS 52, 1960/2 (Strom. 1-6), GCS 17, 1970/2

(Strom. 7-8) ; aussi SC 30, 1951, SC 38, 1954, SC 278, 1981, SC 279, 1981, SC 428, 1997 ; sur l’auteur, C. MORESCHINI…, Storia…, v. 2, pp. 360-383.

816 Pp. 23, 31-32 dans A. Le BOULLUEC, Pour qui, pourquoi, comment ? Les ‘Stromates’ de Clément

d’Alexandrie dans Entrer en matière, les prologues, édd. J.-D. DUBOIS, B. ROUSSEL, Patrimoines Religions

du Livre, Paris, 1998, pp. 23-36 ; voir aussi Stromates 2.1.2.1.

817 CPG 1382, éd. J. STÄHLIN, U. TREU, GCS 17/2, 1970, pp. 218-219 ; sur ce texte peu remarqué, cf. H.

SCHRECKENBERG, Die Christlichen…, p. 211 ; résumé dans A. LUKYN WILLIAMS, Adversus…, pp. 53-55.

818 CPG 1482, éd. H. CROUZEL, M. SIMONETTI, SC 252, 253, 268, 269, 312, 1978-1984 ; pour la date ; cf. M.

HARL, G. DORIVAL, A. LE BOULLUEC, Origène, Traité des Principes (peri archôn), Etudes Augustiniennes,

1996 ; sur Origène, C. MORESCHINI…, Storia…, v. 1, pp. 413-419 ; H. SCHRECKENBERG, Die Christlichen…,

Le Contre Celse d’Origène, achevé en 248 probablement à Césarée, est une réfutation du Discours véritable du philosophe romain Celse, dans la première partie duquel l’auteur mettait en scène un juif portant de nombreuses accusations contre Jésus et les chrétiens. C’est l’occasion pour Origène de préciser ses reproches contre le judaïsme et de polémiquer contre ce pseudo-juif (par exemple, 2.38, 2.74-79, etc.)819.

2.b - Textes latins

Telle que nous pouvons aujourd’hui nous en rendre compte, la production littéraire antijudaïque en latin de cette période, en chiffre absolu ou par rapport à la production latine en général, est beaucoup plus importante que la production grecque. En effet, cette période voit naître les premiers textes chrétiens latins, et avec eux les premiers écrits de polémique antijudaïque composés dans cette langue.

Esdras V820 est probablement un texte originellement composé en latin dans la seconde

moitié du IIème siècle, sans qu’il ne soit possible de mieux le situer. D’aucuns ont spéculé sur l’existence d’un original grec, remontant à la seconde moitié du IIème siècle.

L’Aduersus iudaeos, enlevé puis rendu plus ou moins entièrement par la critique à

Tertullien,821 serait une œuvre de jeunesse inachevée. L’auteur était actif en Afrique à la fin

du IIème et au début du IIIème siècle (il meurt vers 230). Cet ouvrage est partiellement réutilisé dans le troisième livre de son Contra Marcionem (peut-être composé en 207), dans lequel la polémique se fait parfois plus spécifiquement antijudaïque (cf. 3.6, 3.23.1-2, etc., pp. 76-86, 194, SC 399). J. P. Waltzing considère à juste titre le chapitre 21 de l’Apologeticum de Tertullien, datant de 197, comme un petit traité « Aduersus iudaeos et

Aduersus nationes »822 ; ce texte a été traduit en grec.

Une série de textes antijudaïques est attachée au nom de Cyprien823, évêque de Carthage de

249 à 258.

Les deux premiers livres de l’Ad Quirinum824, généralement datés entre 248 et 250, sont

de fait un recueil de testimonia antijudaïques organisés par thème ; le premier livre est

Studia patristica mediolanensia 13, 1982 ; H. J. VOGT, Die Juden beim späten Origenes, dans

H. FROHNHOFEN, Christlicher…, pp. 152-169.

819 Sur la date, M. BORRET, éd. Con. Cels., SC 132, 1967, pp. 15-21 ; état de la question et bibliographie dans

L. PERRONE éd., Discorsi di verità. Paganesimo, giudaismo e cristianesimo a confronto nel Contro Celso di

Origene. Atti des II Convegno del Gruppo Italiano di Ricerca su "Origene e la Tradizione Alessandrina",

SEAug. 61, 1998.

820 CANT 318, édité dans la vulgate comme chapitres 1 et 2 de IV Esdras (par exemple R. GRYSON et alii,

Biblia sacra iuxta uulgatam uersionem, Stuttgart, 1994, pp. 1931-1934); cf. C. MORESCHINI…, Storia…, v. 2,

pp. 329-330 ; H. SCHRECKENBERG, Die Christlichen…, p. 209 ; P. GEOLTRAIN, pp. 635-637 dans Ecrits

apocryphes…, édd. F. BOVON… ; NHLL 4.425-426.

821 Cf. C. MORESCHINI…, Storia…, v. 1, p. 484 ; H. SCHRECKENBERG, Die Christlichen…, pp. 216-225, 609-

610, 761-762 ; D. P. EFROYMSON, The patristic… ; R. S. MACLENNAN, Early…, pp. 117-144 ; pour la

date, G. SAEFLUND, De Pallio und die stilistische Entwickelung Tertullians, Acta Insituti Romani Regni

Sueciae, Series in 8, 8, Lund, 1955, pp. 122-208 ; H. TRÄNKLE, éd. Tert., Adu. iud., pp. xi-lxxxviii ; NHLL

4.509-512.

822 CPL 3, éd. E. DEKKERS, CSCL 1, 1954, pp. 77-171 ; cf. C. MORESCHINI…, Storia…, v. 1, pp. 475-480 ;

NHLL 4.501-506 ; citation, J. P. WALTZING, Tertullien, Apologétique, Commentaire analytique, grammatical

et historique, Paris, 1931, ripr. 1984, p. 138 ; sur la date, ibidem, p. 4.

823 H. SCHRECKENBERG, Die Christlichen…, pp. 235-240, 612, 762 ; cf. C. MORESCHINI…, Storia…, v. 1,

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