• Aucun résultat trouvé

1. Introduction

1.1 Introduction générale

La présente étude s’inscrit dans le cadre général du projet de thèse de Monsieur Nicolas Ruffieux, assistant-doctorant à la Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education de l’Université de Genève, portant sur les déficits cognitifs chez les enfants et adolescents souffrant de drépanocytose. Afin que le lecteur puisse aisément comprendre les différentes articulations du projet dans lequel s’insère notre recherche, il sera utile, dans un premier temps, de décrire brièvement les caractéristiques propres à cette pathologie ainsi que les complications que celle-ci peut entraîner chez les patients qui en sont atteints, et dans un deuxième temps, de rappeler succinctement les différents objectifs que vise le projet de recherche en cours et les stratégies mises en œuvre pour y répondre. Ces premiers jalons posés, nous décrirons enfin les enjeux propres à notre étude ainsi que la démarche adoptée.

1.1.1 Drépanocytose et complications cérébro-vasculaires

La drépanocytose (du grec « drepnos », faucille) ou anémie falciforme est une maladie génétique et héréditaire de transmission autosomique récessive. La maladie se caractérise par la mutation ponctuelle d’un gêne entraînant la production d’une hémoglobine altérée, dite hémoglobine S. L'hémoglobine, principal constituant des globules rouges, est une protéine dont la principale fonction est le transport de l’oxygène dans l'organisme. L’altération de cette cellule se traduit par une diminution importante de son élasticité, propriété essentielle lui permettant de circuler dans des vaisseaux de diamètre inférieur au sien. Ainsi, les globules rouges se rigidifient et se caractérisent par leur forme semblable à une faux. Cette déformation les empêche alors de transiter adéquatement à travers les petits vaisseaux diminuant alors l’apport adéquat d’oxygène nécessaire aux différents organes. Des crises douloureuses, dites vaso-occlusives, sont alors susceptibles de se manifester et s’accompagnent souvent d’une anémie chronique (Ruffieux, 2008).

Sur le long terme, les accidents vaso-occlusifs peuvent compromettre la fonctionnalité des organes et créer des complications extrêmement variées dans leur sévérité, leur durée et leur localisation. Ces difficultés se manifestent dès le plus jeune âge par des crises douloureuses dans l’abdomen, le bassin, le thorax, la colonne vertébrale et les extrémités. Dès l’adolescence, les crises aiguës se raréfient mais des lésions organiques consécutives à la maladie apparaissent alors. On constate des restrictions fonctionnelles des articulations et l’apparition de difficultés telles que la rétinopathie, l’hypertension pulmonaire et

l’insuffisance rénale et cardiaque (Schmugge, Speer, Ozsahin, & Martin, 2008a). Outre ces complications organiques, les patients souffrent également de troubles neurologiques affectant leur système nerveux central (Wang, 2007). En effet, la déformation des globules rouges empêchant leur circulation adéquate au sein de l’organisme, et notamment du cerveau, entraîne un risque élevé d’infarctus cérébral, et ceci avant l’âge de vingt ans (Ohene-Frempong et al., 1998 ; Schatz, McClellan, Puffer, Johnson, & Roberts, 2008).

Les accidents vasculaires cérébraux (AVC) qui affectent les patients sont de différents ordres. On distingue les AVC cliniques, qui provoquent des dommages neurologiques, des AVC dits « silencieux », microlésions ischémiques qui ne sont visibles qu’à l’IRM et ne causent pas de déficits neurologiques. Alors que les AVC cliniques entraînent une perturbation généralisée des fonctions cognitives, les attaques silencieuses, qui se déclarent le plus souvent dans les lobes frontaux, engendrent principalement des dysfonctionnements attentionnels et exécutifs (Berkelhammer et al., 2007). Par ailleurs, ces dernières ont été identifiées comme étant le prédicteur indépendant le plus important d’un AVC clinique ultérieur et sont donc à considérer comme un facteur de risque majeur dans le développement d’infarctus cérébraux (Miller et al., 2001). L’âge moyen du premier AVC se situant vers l’âge de six ans (Oguz et al., 2003), on comprend dès lors l’importance que revêt la détection précoce d’attaques silencieuses survenant avant cet âge chez l’enfant drépanocytaire, mesure permettant l’instauration immédiate d’un traitement préventif destiné à diminuer le risque de récidive et comprenant des transfusions sanguines régulières (Pegelow et al., 2002 ; Schmugge, Speer, Ozsahin, & Martin, 2008b).

1.1.2 Objectifs et stratégies du projet

Dans beaucoup de pays d’Afrique, principalement subsaharienne et notamment au Cameroun, la drépanocytose constitue la première maladie génétique en nombre de malades et représente donc un problème majeur de santé publique (Girot, Bégué, & Galacteros, 2003).

Dans ce contexte, les complications cérébro-vasculaires liées à la maladie se révèlent souvent être les plus handicapantes car elles sont susceptibles d’engendrer de graves déficits cognitifs.

L’objectif principal de la recherche en cours vise ainsi à terme la mise en place d’un examen neuropsychologique systématique chez les enfants drépanocytaires camerounais, lequel pourrait permettre la détection précoce et la prévention des complications cérébro-vasculaires ainsi que la mise en place d’un suivi médical, d’un soutien scolaire et d’une prise en charge adaptée au patient (Ruffieux, 2008). L’élaboration d’une batterie de tests susceptible de détecter les troubles cognitifs liés aux attaques silencieuses qui affectent les patients pourrait

par ailleurs constituer une alternative prometteuse au recours à l’imagerie cérébrale par Hôpitaux de Genève et Yaoundé visant la détection et la prévention des infarctus cérébraux grâce au Doppler Transcrânien chez les drépanocytaires suivi au Cameroun. Parallèlement à ce projet, un examen neuropsychologique, outil sensible et efficace pour la détection d’attaques silencieuses (White et al., 2006), a également été introduit afin d’évaluer le fonctionnement cognitif des patients et de mettre en évidence d’éventuels déficits. Pour ce faire, Ruffieux et al. (2010) ont adapté au contexte culturel camerounais une batterie regroupant les tests les plus sensibles aux déficits cognitifs liés à la pathologie et ont établi des normes recueillies auprès d’enfants et d’adolescents camerounais en bonne santé. Des psychologues camerounais ont alors été formés à l’utilisation de cet instrument et ont ainsi pu l’administrer à des patients suivis régulièrement pendant deux ans. Le second volet du projet consistera alors à administrer cette même batterie de tests à des enfants drépanocytaires suivis aux Hôpitaux Universitaires de Genève et ayant bénéficié d’une IRM cérébrale afin de déterminer si la batterie mise en place s’avère être un outil suffisamment fiable pour la détection d’attaques silencieuses après comparaison des résultats obtenus au moyen du testing et de l’imagerie (Ruffieux, 2008).

Partant du constat que la batterie de tests élaborée et normée au Cameroun ne convient pas bien aux enfants de moins de 6 ans, notre présente étude s’inscrit dans le désir des auteurs de remédier à ce problème à travers l’élaboration et, à terme, la validation d’une batterie d’épreuves psychométriques orientée vers l’évaluation d’enfants d’âge préscolaire en bonne santé, laquelle rendrait alors possible la mesure des performances d’enfants drépanocytaires dans cette tranche d’âge très à risque de complications cérébrovasculaires (Ruffieux et al., 2010). Compte tenu de la prédominance des difficultés attentionnelles et exécutives entraînées par les attaques silencieuses liées à la maladie (Berkelhammer et al., 2007), notre étude s’intéresse par ailleurs plus particulièrement à l’élaboration d’un protocole spécifique à l’évaluation des fonctions exécutives et attentionnelles à travers l’exploration de différents tests destinés à mesurer ces dimensions. En effet, il existe encore aujourd’hui un nombre très restreint d’épreuves psychométriques normées spécifiques à la population préscolaire, d’où l’importance d’un travail orienté vers la réalisation et la validation de tels instruments.

Notre recherche se veut avant tout exploratoire et se centre autour de l’analyse quantitative de performances exécutives chez des enfants âgés entre 4 et 6 ans et scolarisés dans l’enseignement public genevois. Pour ce faire, nous avons administré une première batterie d’épreuves neuropsychologiques à un petit échantillon d’enfants dans une optique strictement exploratoire. Après avoir constaté l’inadéquation de certains des tests qui y étaient inclus, nous avons alors légèrement remanié son contenu afin de cibler plus particulièrement la mesure de processus exécutifs. Une première analyse exploratoire nous a ensuite conduits à supprimer certains tests se révélant trop exigeants pour les enfants les plus jeunes. Une fois l’ensemble des données recueillies, nous avons alors choisi de restreindre notre étude à l’analyse d’une dimension exécutive particulière, à savoir la composante de flexibilité. Ainsi, notre recherche s’intéresse particulièrement à la trajectoire développementale de cette fonction chez les enfants d’âge préscolaire. En d’autres termes, notre objectif principal se centre autour de l’étude de l’influence de l’âge sur les performances en flexibilité. En lien étroit avec cette problématique, un de nos autres domaines d’intérêt concerne l’influence éventuelle d’un second facteur sur ces mêmes performances. En effet, les travaux de Salthouse ont pu mettre en évidence l’existence de fortes relations entre les mesures de vitesse de traitement et les performances cognitives au cours du développement, et ceci tant durant l’enfance qu’au cours de l’âge adulte ou avancé (Kail & Salthouse, 1994 ; Salthouse, 2005).

Selon ces données, il serait donc possible que la variance liée à l’âge dans les performances cognitives soit en réalité médiatisée par la vitesse de traitement. Ainsi, nous nous intéressons également à l’étude de cette dernière variable, tant dans son aspect développemental que dans son éventuel effet médiateur entre âge et performances en flexibilité.

Avant de présenter les données que nous avons recueillies auprès d’enfants d’âge préscolaire concernant les dimensions de flexibilité et de vitesse de traitement, il sera d’emblée important de définir l’objet d’étude que sont les fonctions exécutives et d’en rappeler leurs principales composantes. Seront ensuite abordées leurs trajectoires développementales que nous illustrerons par un certain nombre de données empiriques. Nous détaillerons alors plus amplement la composante de flexibilité en nous intéressant particulièrement à son développement au cours de la période préscolaire et évoquerons ensuite les particularités en lien avec l’évaluation des fonctions exécutives chez les jeunes enfants. Nous présenterons ensuite la dimension de vitesse de traitement, ainsi que le concept de médiation susceptible de décrire le lien entre âge et cognition. Enfin, nous exposerons les différentes hypothèses théoriques que nous formulons relativement aux données recueillies.