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Faisabilité des observations avec les interféromètres existants

3.1 Introduction et contexte instrumental

L’objectif de ce travail est de déterminer la faisabilité des observations d’étoiles Ap avec les interféromètres existants. Pour ce faire, nous avons décidé d’aborder le problème selon trois axes complémentaires :

1. la sélection des cibles et des transitions afin de se concentrer sur les cas présentant un intérêt astrophysique majeur tout en étant les plus « faciles » possible,

2. la simulation du signal attendu sur ces objets grâce à l’outil de simulation numérique SPIN décris dans le chapitre 2,

3. puis la préparation et la réalisation d’observations interférométriques. Ce dernier aspect contient l’étape de validation sur le ciel de l’unique mode de spectro-polarimétrie interférométrique (GI2T-REGAIN).

Avant de détailler ces trois axes, qui composent les sections 3.2, 3.3 et 3.4, je m’attache à décrire le contexte instrumental de l’étude. Nous avons utilisé deux types d’instruments : ceux qui intègrent la totalité du flux de l’étoile dans un seul spectre (spectrographes classiques) et ceux qui donnent accès à une information, même partielle, sur la distribution spatiale du flux (interféromètres).

3.1.1 Instrumentation à haute résolution angulaire

Depuis une vingtaine d’années, de nombreux interféromètres optiques ont été construits. Peu sont équipés d’un élément dispersif permettant d’analyser le signal en fonction de la longueur d’onde... et encore moins avec une haute résolution spectrale. Parmi les instruments disponibles, nous nous somme concentrés sur GI2T-REGAIN et VLTI-AMBER pour leur résolution spatiale et leurs carac-téristiques complémentaires (Table 3.1). L’utilisation de ces deux instruments donne accès à toutes les gammes de longueurs d’onde du visible jusqu’au proche infrarouge, permettant ainsi de sonder des profondeurs atmosphériques différentes. La résolution spatiale (b/λ) est similaire pour les deux instruments.

L’interféromètre visible GI2T

Le Grand Interféromètre à 2 Télescopes (GI2T) est un instrument optique travaillant dans le visible à moyenne et haute résolution spectrale allant jusqu’à 30000 (Mourard et al. 1994a, 2003). Il permet de coupler deux télescopes de 1.5m le long d’une ligne de base Nord-Sud pouvant at-teindre 65m. Implanté sur le site de Calern dans les Alpes Maritimes Françaises, il est le successeur de I2T qui a permis à Antoine Labeyrie de lancer l’interférométrie longue base en 1974. Depuis 1998, l’instrument s’est doté de la table de recombinaison REGAIN. L’étude de la polarisation dans le train optique a été réalisée par Rousselet-Perraut (1996). Un mode polarimétrique complet a été installé pour permettre des observations astrophysiques en spectropolarimétrie interféromé-trique (Chesneau et al. 2001; Rousselet-Perraut et al. 2001). Un prisme de Wollaston et une lame quart d’onde escamotable peuvent être introduits dans le chemin optique afin de séparer les états de polarisation orthogonaux. Les deux états de polarisations (k,⊥ ou ,) sont enregistrés simultanément sur le détecteur, permettant ainsi des mesures différentielles.

Nb. de Base couverture Résolution Mode Précision sur

télescopes (m) spectrale spectrale Polar. la phase

GI2T 2 65 Visible jusqu’à 30 000 oui 3

AMBER 3 200 J, H, K jusqu’à 10 000 non 0.5

Tab. 3.1 – Caractéristiques des instruments GI2T-REGAIN implanté sur le site de Calern dans les Alpes Maritimes Françaises et AMBER, au foyer du VLTI (Chili). La précision sur la phase différentielle du GI2T a été reportée par Vakili et al. (1998). La précision sur la phase d’AMBER est tirée des spécifications de l’instrument et n’a pas encore été validée.

Estimation du spectre, de la visibilité et de la phase

Le GI2T fonctionne sur le principe de l’interférométrie des tavelures en mode franges dispersées (Mourard et al. 1994b). Les télescopes étant plus larges que le paramètre de Fried moyen1, l’image au foyer est composée d’un grand nombre de tavelures en mouvement rapide et désordonné. En superposant les images de chacune des deux voies (Nord et Sud), on observe des tavelures frangées dans la direction perpendiculaire à la séparation des deux pupilles. Cette image est envoyée sur la fente d’un spectrographe afin d’obtenir une image bidimensionnelle (x, λ). Les franges dispersées sont enregistrées à une fréquence rapide (50Hz) en mode comptage de photon afin de « geler » la turbulence atmosphérique.

L’intégration des images selon la direction des franges donne le spectre de l’objet. Pour mesurer les grandeurs interférométriques (contraste et phase des franges), on somme les auto-corrélations des enregistrements2, ce qui recentre les images (la phase absolue étant déjà perdue à cause des perturbations atmosphérique). La Transformée de Fourier de cette somme comprend une partie basse fréquence (autour du centre) qui correspond à l’énergie sur chacune des deux pupilles, et une partie haute fréquence (deux pics symétriques loin du centre) qui correspond à l’énergie des franges. Le rapport entre ces deux énergies est la visibilité au carré (µ2).

Si l’on s’intéresse aux grandeurs différentielles, il est nécessaire de sommer les intercorrélations entre deux régions distinctes. La Transformée de Fourier obtenue est alors une grandeur complexe. La phase de la partie haute fréquence (énergie des franges) représente alors la différence de phases interférométriques entre les deux régions. Il est possible de faire la même opération entre deux régions où l’on ne s’attend à aucun effet astrophysique (continu/continu par exemple) pour déterminer quelle est la proportion de phase instrumentale dans la différence mesurée (Section 1.4.2). La mesure de phase différentielle est indépendante des perturbations atmosphériques et seul son rapport signal à bruit dépend de la turbulence. Il est donc possible de ne pas observer de calibrateur.

1Typiquement, le paramètre de Fried r0 (Fried 1966a,b) rend compte de l’aire de cohérence en présence de

turbulence atmosphérique, i.e. de la zone dans laquelle le champ électrique reste corrélé spatialement. Du point de vue de la réponse impulsionnelle (instantannée) du système télescope+atmosphère, l’image n’est plus la fonction d’Airy résultant de l’autocorrélation de la pupille non perturbée, mais présente des tavelures (en anglais speckles) de taille caractéristique λ/D répartis aléatoirement dans une zone de diamètre λ/r0. Le nombre moyen de speckles dans

une image est (D/r0)2.

2La somme de tous les enregistrements (image long temps de pose) ne fait pas apparaître les franges (à cause

de l’agitation des tavelures) mais permet de calibrer un certain nombre de paramètres instrumentaux comme la séparation des pupilles, leur taille, le flux relatif...

Fig. 3.1 – Photo (à droite) et schéma de principe (à gauche) de l’instrument GI2T. La lumière est collectée par deux télescopes puis injectée sur la table REGAIN. Les deux faisceaux sont superposés (recombinaison) et les deux polarisations sont éventuellement séparées (prisme de Wollaston, photo en encart). Un réseau disperse les longueurs d’onde dans la direction perpendiculaire aux franges d’interférences (mode franges dispersées). Les deux images (voie rouge et voie bleue) sont enregistrées à une cadence rapide (50Hz) en mode comptage de photon.

Performances connues

La précision de l’instrument en phase différentielle est actuellement de quelques degrés pour une étoile brillante (Vakili et al. 1998). La magnitude limite du GI2T est reliée à la quantité de photons par canal spectral et par tavelure. En dessous d’un photon en moyenne par cellule de cohérence, le rapport signal à bruit se dégrade fortement car il n’est plus possible de calculer une corrélation. En condition normale de turbulence, la magnitude limite actuelle pour le suivie de frange se situe autour de 4 dans la bande V et en moyenne résolution (5000).

L’instrument 3 télescopes infrarouge AMBER-VLTI

AMBER est le premier interféromètre à concilier haute résolution angulaire, grande sensibilité et résolution spectrale importante. Ces performances sont obtenues par la complémentarité entre les longues bases (200 mètres) et les grandes ouvertures (8 mètres) du VLTI. AMBER offre la possibilité de recombiner simultanément jusqu’à trois télescopes et permet ainsi d’accéder à la clôture de phase. Couplé à une potentiellement forte couverture du plan (u, v) grâce au repositionnement des télescopes, cet instrument ouvre l’ère de l’imagerie par synthèse d’ouverture optique dans de petits domaines spectraux. Une caractérisation complète de l’instrument peut être trouvé dans Lagarde et al. (2001).

AMBER est un instrument monomode, les faisceaux provenant des télescopes sont préalablement injectés dans une fibre optique monomode avant d’être superposés. Ce filtrage spatial transforme

Filtrage spatial

Recombinaison Dispersion

Fig. 3.2 – Schéma de principe de l’instrument AMBER. Après un filtrage spatial effectué par les fibres, les faisceaux "compressés" sur une dimension sont recombinés selon la technique multixaxiale, la photométrie sur chaque voie étant aussi prélevée grâce à l’apposition de lames séparatrices sur le parcours des faisceaux. Ces derniers sont alors dispersés et l’interférogramme bi-dimensionnel (pixels-longueurs d’onde) est enregistré sur le détecteur infrarouge. Image tirée du travail de Tatulli (2004).

le front d’onde incident perturbé par l’atmosphère en un faisceau stable (non-turbulent), mais dont l’intensité varie rapidement. La fibre « convertit » les fluctuations de phase en fluctuations d’intensité. La photométrie des faisceaux filtrés est enregistrée en temps réel, ce qui permet de corriger ses effets sur la visibilité des franges. La recombinaison des faisceaux s’effectue ensuite selon le même schéma qu’au GI2T (recimbinaison multiaxiale et franges dispersées, Figure 3.2). Un exemple d’image typique enregistrée sur le détecteur d’AMBER est donnée en Figure 3.3.

Estimateur de visibilité et phase

Dans le cas d’AMBER, les pupilles de sortie sont tellement rapprochées que les pics franges se superposent dans la Densité Spectrale de Puissance. Il n’est donc pas possible d’utiliser des procédures classiques de réduction des données dans le plan de Fourier. La procédure d’AMBER se base donc sur l’ajustement dans le plan image des franges observées par des franges de calibration (dites ondes porteuses). Ces dernières sont obtenues par une série d’acquisitions effectuées avec la lampe interne en éclairant alternativement chaque faisceau et chaque paire de faisceaux. Le lecteur intéressé peut se reporter aux travaux de Millour et al. (2004) et Tatulli (2004) qui détaillent l’algorithme utilisé. Les grandeurs de sortie sont le spectre, la visibilité et la phase des franges en fonction de la base et des longueurs d’onde.

Performances attendues

Les performances réelles d’AMBER sont en cours de test grâce aux observations de qualification. Nous ne pouvons donc que nous appuyer sur les valeurs spécifiées lors du dessin de l’instrument,

0 10 20 30 40 1.95 2.00 2.05 2.10 2.15 2.20 2.25 # pixel Longueur d’onde Interférogramme AMBER 50 100 150 200 0 1000 2000 3000 4000 5000 6000 7000 # pixel Intensité

Interférogramme (coupe horizontale)

0 2 4 6

0.0 0.5 1.0

Fréquences spatiales (unités de D/ ) Densité spectrale normalisée (coupe horizontale)

λ Pic photometrique

Pic interferometriques

Fig. 3.3 – De gauche à droite : image bi-dimensionnelle obtenue sur le détecteur avec AMBER, coupe horizontale et densité spectrale de l’interférogramme. Image tirée du travail de Tatulli (2004).

résumées dans la Table 3.2 en fonction des objectifs astrophysiques. Dans notre cas, nous ne cher-chons pas à atteindre une précision de 10−4 mais plutôt entre 10−2 et 10−3 (la mesure de la phase différentielle étant plus simple que la mesure de la chute de visibilité). La magnitude limite se situe donc plus probablement autour de 5-6 en bande K, sur les ATs et avec le suiveur de frange FINITO.

Source Visibilité Clôture Phase Résolution Magnitude

(précision) de phase différentielle spectrale en K

Étoiles jeunes 10−3 Oui - 1000-10000 4-7

Exoplanètes 10−4 - Oui (10−4rad) 50 5

Noyaux actif de galaxies 10−2 Oui - 50 11 (UTs)

Surface stellaire 10−4 Oui Oui 10000 1

Tab. 3.2 – Spécifications instrumentales minimales de AMBER en fonction des objectifs astrophysiques. Les cas scientifiques utilisant la haute résolution spectrale nécessite le suiveur de frange FINITO. Table tirée du travail de Tatulli (2004).

3.1.2 Les spectrographes utilisés

Dans le but de préparer les observations interférométrique avec les instruments décrits dans la section précédente, nous privilégions les spectrographes travaillant dans les mêmes domaines de longueur d’onde, et si possible avec une résolution spectrale similaire. Nous avons utilisé Elodie, qui possède des caractéristiques similaires à celle du GI2T (R > 30000, domaine visible et situé dans l’hémisphère Nord), et ISAAC, dont les caractéristiques sont similaires à celles d’AMBER (R ∼ 10000, domaine infrarouge proche et situé dans l’hémisphère Sud).

Le spectrographe visible Elodie

Elodie est un spectromètre installé sur le télescope de 1,93 m à l’Observatoire de Haute Provence (OHP) depuis juin 1993. Il est illuminé par une paire de fibres optiques depuis le foyer Cassegrain.

5200 5300 5400 5500 1.8 2.0 2.2 2.4 10+5 −4 −2 0 2 0.85 0.90 0.95 1.00 1.05 −4 −2 0 2 λ (Ang) λ − 5334.9 λ − 5334.9 Flux en I

Fig. 3.4 – Illustration de la normalisation des spectres Elodie avec la transition CrIIλ5334 sur l’étoile UMa. Un ajustement des maximum locaux (gauche) permet de corriger de la forme globale du spectre, caractéristique de la température stellaire, de l’atmosphère et de l’instrument. La mesure du continuum local entre les raies (milieu) permet de corriger les écarts entre les différentes observations. Les spectres traités montrent bien la variation du profil de raie au cours de la période stellaire, due aux taches d’abondances (droite).

L’ouverture des fibres sur le ciel est de 2". Une des fibres est éclairée par l’étoile et l’autre, si on le désire, par le ciel. Les spectres couvrent un domaine d’environ 3000 A (entre 3850 et 6800 A) avec une résolution de 45000. Baranne et al. (1996) décrit en détail l’instrument, le traitement des données et les performances obtenues. Les observations utilisées (Table F.1 de l’Annexe F.1) sont toutes issues de l’archive en ligne3. Le traitement appliqué pour obtenir des spectres normalisés est rudimentaire mais s’avère efficace (Figure 3.4). Une première estimation grossière du continu est obtenue par ajustement des maximum locaux sur une grande plage de longueurs d’onde, en excluant les raies de l’hydrogène. Les spectres sont alors une nouvelle fois normalisés par une estimation fine du continu. Cette valeur est mesurée dans des parties du spectre proches de la transition étudiée, et qui semble être vierges de toutes raies.

Le spectrographe infrarouge ISAAC

ISAAC est spectro-imageur infrarouge pour le domaine 1 à 5 microns, installé au foyer Nasmyth du VLT-UT1. Parmi les différentes résolutions spectrales disponibles, nous avons favorisé la plus importante (10000). Des observations en « mode service » ont été obtenues pendant la période 714 sur les étoiles HD128898, HD203006 et HD187474. Sur chaque cible, le domaine spectral observé couvre les bandes J et H essentiellement, ainsi que le début de la bande K (Figure 3.5). Cette couverture a été choisie afin d’éviter les raies de l’hydrogène chaque fois cela était possible.

Les données ont été réduites par Karine Perraut en collaboration avec Chantal Stehlé. L’identi-fication des raies utilise une base de données issue de la compilation des transitions de R. Kurucz5

3Archives des données du spectrographe Elodie : http ://atlas.obs-hp.fr/elodie/

4Proposals 71.D-0314(A) et 71.D-0314(B) : 1 Avril 2003 ; 7h sur ISAAC-Antu ; Rousselet-Perraut,

Ma-thys, Stehlé, Le Bouquin, Lanz, Jankov. Le résumé de la proposition peut être trouvée à l’adresse : http ://archive.eso.org/wdb/wdb/eso/abstract/query ?ID=7103140&progid=%2071.D-0314(A)

1.131.191.25 1.321.38 1.54 1.76 2.06 J H K 1.0 1.5 2.0 0.0 0.5 1.0 1.5 λ en µm

Fig. 3.5 – Transmission de l’atmosphère (courbe continue, bandes J, H et K), domaines des observations ISAAC réalisées avec une résolution spectrale de R = 10000 (bande horizontale noire) et longueur d’onde centrale de chaque domaine (tirets verticaux).

et de P. Van Hoof (base ISO6). Un travail d’élimination des doublons et de conversion de l’ensemble des longueurs d’onde a été réalisé par V. Cabanne et C. Stehlé. Cette base contient essentiellement des raies d’éléments supérieurs à Z = 20.