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2. Configurations d’activités collectives et interactions sociales entre élèves

2.3. Interactions sociales et processus d’ajustement

Les analyses locales de l’articulation des cours d’expérience lors des configurations d’activités collectives ont mis en évidence que la réalisation de la tâche par les élèves reposait sur la mobilisation de connaissances distribuées au sein des groupes. Elles ont également permis d’identifier les processus individuels et interindividuels de co-construction, de mobilisation et de partage des connaissances au sein des groupes. En annexe 4, ces processus sont illustrés dans le cadre de la pratique du volley-ball par un groupe de collégiens.

2.3.1. Connaissances distribuées entre les élèves du groupe

Lorsque l’on s’intéresse aux connaissances mobilisées par les élèves dans les configurations d’activités collectives, les analyses aboutissent à des résultats surprenants. Celles-ci montrent effectivement que les élèves peuvent interagir et coopérer au sein d’une même tâche sans nécessairement partager ni s’appuyer sur un référentiel commun. On constate en effet que ceux-ci mobilisent des connaissances peu ou pas partagées par leurs pairs sans que cela soit préjudiciable à la bonne réalisation de la tâche. Il apparaît de plus que ces connaissances sont le souvent complémentaires pour répondre aux exigences de la tâche. Ce phénomène de partage a été plus particulièrement observé lors de trois formes d’interactions : conseiller et/ou solliciter l’aide d’un pair, déléguer une partie de la tâche à un autre élève, rechercher conjointement une solution à un problème. Dans le cadre de ces interactions, les connaissances des uns et des autres sont considérées comme des ressources potentielles pour ajuster son propre comportement, planifier le travail du groupe, ou encore démontrer une action12. On peut ainsi constater que, d’une part chacun dispose de connaissances sur les compétences de ses pairs, et que d’autre part, ces connaissances se construisent lors d’expériences partagées. Cette distribution des connaissances entraîne une véritable économie collective de leur utilisation qui explique pourquoi, à certains moments, des élèves se mettent en retrait et adoptent une posture d’observation pour laisser un pair prendre une décision, ou réaliser une action. Au cours d’une tâche, voire d’une leçon, les élèves peuvent ainsi délibérément négliger de construire certaines connaissances pourtant a

priori requises pour réaliser la tâche. Il ne s’agit pas pour ceux-ci de se soustraire à leurs

responsabilités mais de se focaliser sur une dimension particulière de la tâche ou un apprentissage susceptible de les aider à être plus efficace au sein du groupe. L’émergence

11 Ce fut le cas lors de la confection de l’ensemble de vêtement « sixties ». Gwen et Ludivine se sont opposées à propos de la manière d’assembler le short et le jean (annexe 6).

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A titre d’illustration, en atelier de PPCP, Amandine observe et écoute Gwen lui expliquer comment réaliser le patron des pétales et des fleurs. Celle-ci explique en entretien que sa contribution dans le processus de confection interviendra au moment de coudre les fleurs sur la jambe du pantalon. En attendant, elle observe attentivement la progression du travail de Gwen, pose des questions sur la manière de choisir le bon diamètre pour être capable de réaliser le patron d’une autre fleur.

de ce phénomène est corrélée au degré de confiance que chaque élève accorde à ses partenaires en fonction des contraintes spécifiques de la tâche. On peut faire l’hypothèse que c’est cette « économie » de la production et de la mobilisation des connaissances qui rend possible et viable les situations dans lesquelles coopèrent des acteurs aux compétences hétérogènes : d’une part en favorisant la confiance interindividuelle, d’autre part en articulant leur activité sous forme de « concessions » pour les plus experts et d’élévation de son propre seuil d’exigence pour les débutants13.

2.3.2. Co-construction des connaissances au sein du collectif

Les analyses locales des différents processus d’ajustement lors des interactions entre les acteurs ont permis de reconstruire des processus de co-construction des connaissances. Elles font ainsi apparaître que dans le cadre d’une tâche coopérative (par exemple, l’application adéquate des règles du jeu par trois joueurs) les modalités d’ajustements interindividuels peuvent conduire les élèves à passer d’un non partage à un partage partiel de connaissances. Cette modalité d’apprentissage a été identifiée dans des configurations collectives où un des élèves possède une connaissance (la manipulation de la pipette graduée par exemple) que ses pairs construisent ensuite progressivement à partir de communications verbales et d’observations. Les connaissances sont partiellement partagées car elles n’ont pas le même degré de validité pour chacun des membres du groupe. Ce processus est illustré par l’analyse de l’activité d’élèves en volley-ball (annexe 4).

Cette co-construction de connaissances se réalise majoritairement dans le cadre des configurations d’activités collectives se caractérisant par des interactions de tutelles spontanées. En effet, que ce soit en EPS ou dans les autres disciplines, le fait de partager un objectif commun encourage les plus experts à accompagner les plus faibles en jouant un rôle de tuteur dans la tâche. Il s’agit alors pour le tuteur, par des conseils et des monstrations, d’encourager le tutoré à prendre en compte certains indices dans l’environnement ou sur soi pour transformer son activité et ainsi construire de nouvelles connaissances. Ce processus d’apprentissage a été particulièrement identifié dans les tâches coopératives en EPS, celles-ci contraignant les élèves à partager et/ou construire les mêmes connaissances pour se coordonner.

Les résultats ont également mis en évidence que les processus d’ajustements interindividuels pouvaient conduire les élèves à construire des connaissances non partagées car entrant en conflit avec les connaissances de leur propre référentiel. Ce processus a été plus particulièrement identifié dans le cadre d’interactions concurrentielles au cours desquelles les élèves actualisaient des préoccupations non convergentes14. Des élèves co-construisent ainsi des connaissances à propos de l’activité d’un autre, celles-ci ne pouvant être partagées par ce dernier, car elles entrent en conflit avec les éléments de son propre référentiel.

Ces résultats renforcent l’idée selon laquelle les élèves ne tirent pas un égal profit de l’expérience collective. Cependant, au lieu de produire un effet inhibant, la diversité de leurs préoccupations dans une situation collective les conduit, au contraire, à mobiliser et à

14 A titre d’illustration, en PPCP, lors de la négociation entre élèves à propos de l’assemblage de deux vêtements, Ludivine et Anaïck valident la connaissance « Gwen refuse les solutions qui demandent un temps long de confection ».

construire des connaissances différenciées, au-delà même de ce que l’enseignant pourrait soupçonner ou planifier.

2.3.3. Partage d’informations et co-construction d’une intelligibilité mutuelle

Les résultats ont également mis en évidence que les processus de coordination entre les élèves contribuaient à la construction d’une intelligibilité mutuelle et d’une compréhension partagée de la situation. Cette co-construction se traduit par un partage de connaissances et d’informations de plus en plus nombreuses qui, dans le même temps, participe à la construction d’un contexte partagé. Par conséquent, au-delà de la convergence des préoccupations des élèves, il apparaît que l’activité collective est liée à une connivence (partage) dans l’interprétation des informations contenues dans le contexte.

Certaines situations, notamment sportives, contraignent fortement les élèves à partager des informations et à accéder une intelligibilité mutuelle. En effet, il ne peut pas y avoir de coopération pour grimper ou renvoyer la balle/ballon sans un consensus minimal à propos de significations fondamentales, voire fondatrices, attribuées au jeu que l’on consent à partager entre élèves, jeu social (élève) et jeu sportif (volleyeur, grimpeur). Les analyses relatives à l’activité des élèves ont montré que ceux-ci avaient construit un référentiel de connaissances plurielles dont certaines avaient des incidences fortes sur l’accès à un contexte partagé. Elles ont notamment mis en évidence que les élèves en escalade percevaient et interprétaient de plus en plus de signes utiles pour optimiser leur relation de coopération avec le partenaire grimpeur. En effet, les connaissances relatives tant au comportement du partenaire en situation de poser une dégaine, qu’aux caractéristiques du mur et au couplage physique avec l’autre ont participé au partage non seulement de plus en plus de repères signifiants relatifs à leur environnement mais également à une augmentation de la capacité à interpréter correctement les événements de la situation. Ce sont ces informations partagées qui conduisent à une intelligibilité mutuelle dans la coopération (Salembier et Zouinar, 2004) et contribuent à l’émergence d’une coordination de plus en plus efficace15.

La construction d’une intelligibilité mutuelle et d’un contexte partagé a été favorisée par l’alternance des rôles dans les tâches de coopération. Cette modalité de fonctionnement permet aux élèves d’accéder à ce que l’autre peut éventuellement percevoir et ainsi de mieux comprendre son point de vue. Cette alternance des rôles a permis aux élèves d’accroître l’ensemble des informations ou d’événements mutuellement signifiants à l’instant t. C’est ainsi que sont progressivement construites une signification partagée à propos du vocabulaire, une interprétation des unités linguistiques utilisées, mais aussi une interprétation d’autres éléments relatifs au comportement de son partenaire. On peut donc faire l’hypothèse que les tâches exigeantes du point de vue des coordinations (les pratiques sportives par exemple), notamment celles dans lesquelles l’alternance des rôles est fréquente, voire imposée, offrent des contextes privilégiés pour conduire les acteurs à construire une intelligibilité partagée (sur les objets) et mutuelle (sur chacun des acteurs). Ces constructions de coordinations efficaces entre les élèves sont le fruit d’une attention distribuée entre leur action et celle des autres. En effet, l’analyse du cours d’expérience des

15 Lors de la Séance 3 d’escalade en tête, l’évolution de l’engagement de l’assureur s’est concrétisée par la perception et l’interprétation de l’orientation et de la position de sa partenaire ainsi que de ses mimiques, autant d’opérations qui ont permis d’assurer à la fois sa sécurité et son confort.

élèves a montré une sensibilité à l’activité des autres acteurs en train de se faire en temps réel. Cette disponibilité pour l’autre est facilitée par le caractère public des comportements en classe et en EPS en particulier. Dans le cas de l’escalade en tête, les analyses ont aussi montré une évolution de l’attention et des éléments signifiants pour l’assureur. Celui-ci est passé d’une centration quasi exclusive sur ses actions de manipulation de la corde et de contrôle de sa tension à une attention distribuée entre le contrôle de la tension de la corde et l’action et les verbalisations du grimpeur. Dans ce contexte précis on remarquera que la tension de la corde reliant les deux élèves est un indicateur pertinent pour porter un jugement sur le fonctionnement et l’efficacité du couplage physique. Au fil des séances, par la perception de son degré de tension, la corde devient ainsi un artefact efficace pour contrôler la sécurité et le confort du grimpeur. Ces résultats rejoignent les propos de G. Poizat, C. Sève, G. Serres et J. Saury (2006) qui, dans le cadre de l’analyse de l’activité collective de pongistes, ont montré l’importance des processus interprétatifs dans la construction d’une intelligibilité mutuelle entre partenaires. Ces auteurs précisent notamment que les pongistes jouent sur le degré de partage de l’information et le degré de la pertinence de l’information partagée pour influencer les jugements de l’adversaire. La variabilité des modalités d’ajustements mutuels observés au sein des situations sportives traduit un phénomène déjà observé dans d’autres situations collectives dans lesquelles des rôles spécifiques sont prédéfinis et assignés aux différents membres d’une équipe. En effet, comme cela a été montré en sport (Bourbousson et al., 2008 ; Saury, 2008) ou dans le travail (Cicourel, 1994), les rôles, tout en en délimitant les contours de l’action, ne prescrivent pas totalement les formes d’interaction entre les deux partenaires. C’est pourquoi, compte tenu de l’autonomie des différents acteurs, il est difficile de prédire qu’elles seront les connaissances construites et mobilisées par les élèves dans le dispositif coopératif.

3. Configurations d’activités collectives et interactions entre