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3. Configurations d’activités collectives et interactions entre élèves et enseignants

3.2. Engagement des enseignants et formes d’interactions sociales avec les élèves

Les premiers résultats ont révélé l’existence d’une forme typique d’organisation commune aux enseignants qui se caractérise par des formes typiques d’interactions avec les élèves. Ces relations d’interdépendance entre les enseignants et les élèves participent à l’émergence d’une configuration d’activité collective. L’engagement des enseignants dans leurs interactions avec les élèves vise tout d’abord à soutenir leur l’investissement dans le travail pratique, mais aussi à les encourager et à saisir les opportunités pour les faire apprendre et mobiliser des connaissances disciplinaires. Les interactions sociales qui émergent contribuent à la viabilité et à la stabilité de l’activité collective et témoignent de la dynamique et de la variété de l’engagement des enseignants en classe. L’analyse du cours d’expérience des enseignants lors de ces interactions sociales a mis en évidence, l’existence d’une double dimension exploratoire et interprétative omniprésente et en relation avec une succession d’attentes. Les résultats ont aussi montré que les interventions des enseignants sont toujours organisées par des préoccupations synchrones. Celles-ci visent à la fois à satisfaire des demandes individuelles et à assurer l’organisation et la continuité du travail des autres groupes et ce, dès la phase d’accueil des élèves durant laquelle les enseignant veillent à enrôler les élèves dans la réalisation de leur projet ou du TP (Bruner, 1983).

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L’engagement des enseignants se concrétise par quatre forme typiques d'interactions sociales avec les élèves, mobilisant chacune d’elle une modalité d’enquête typique : 1) une recherche de signes de congruence par une mise à profit d'un moment de forte incertitude pour bien accueillir les élèves ; 2) une recherche de signes d’engagement par une anticipation de l’action des élèves pour assurer la continuité du TP; 3) une recherche de signes de difficultés par une exploration de la compréhension du TP par les élèves; 4) une recherche de signes d’erreurs pour les exploiter et se focaliser sur les apprentissages.

3.2.1. Mettre à profit un moment de forte incertitude pour bien accueillir les élèves

Cette forme d’engagement des enseignants intervient entre l’arrivée des premiers élèves et le démarrage du TP. Avant l’entrée en classe des élèves, les enseignants préparent le matériel nécessaire, tant pour les travaux pratiques de physique que pour les ateliers de confection des vêtements. Les enseignants précisent cependant que leur préparation laisse une place aux imprévus (élèves absents…), car leur priorité est d’être disponibles pour accueillir sereinement les élèves quelle que soit leur disponibilité du moment. Concrètement, ils attendent que ces derniers soient dans la salle de classe pour finaliser la mise en place du cours. Ce qui, à première vue, pourrait relever du laxisme de la part des enseignants procède en fait d’une intention délibérée. En effet, ceux-ci ne souhaitent pas tout anticiper car ils considèrent qu’à certaines conditions, les élèves doivent être associés à l’organisation de leur propre mise au travail.

Les enseignants s’autorisent donc une certaine incertitude, voire une part de risque, sans que cela soit préjudiciable à un accueil serein et disponible pour les élèves. L’entrée en classe est considérée par ces enseignants expérimentés comme un moment privilégié pour observer le groupe et établir les premiers contacts avec les élèves. Chacun souligne l’importance des premiers échanges avec les élèves et s’accorde un moment pour les observer, les écouter, pour « prendre la température » de la classe. Plusieurs préoccupations synchrones s’actualisent alors : connaître l’état d’esprit et la disposition au travail des élèves, mais aussi impliquer ceux qui semblent les plus en retrait, régler les problèmes de rotations au TP (spécifique à la physique). L’objectif des enseignants est, à ce moment du cours, de faire émerger un climat de classe propice au démarrage rapide des travaux pratiques.

3.2.2. Anticiper l’action des élèves pour assurer la continuité du TP

Cette forme d’engagement des enseignants consiste à faire un tour de salle au cours duquel ils « visitent » chaque groupe d’élèves selon un ordre prédéterminé. Ceux-ci interviennent après que les élèves ont rejoint leur paillasse ou leur table de travail. Deux préoccupations organisent alors l’engagement des enseignants : guider le démarrage du travail collectif et assurer les conditions de sécurité et matérielles. L’interaction avec chaque groupe suit un déroulement typique et cyclique, correspondant à ce que d’autres nomment routine professionnelle. La première intervention de l’enseignant consiste à anticiper l’activité des élèves en donnant plusieurs informations censées les aider à franchir le premier obstacle à la continuité du TP en rappelant notamment l’objectif du TP et, de manière générale, le mode opératoire à mobiliser. Les enseignants précisent que ces courtes interventions sont fréquentes et ont pour effet d’entretenir des dispositions à l’autonomie chez les élèves. C’est aussi une condition nécessaire pour maintenir tous les élèves dans leur travail

pratique. Mais au-delà de leur volonté d’agir pour assurer la continuité de chaque TP, les enseignants considèrent que les élèves ne doivent pas non plus passer trop de temps à résoudre certaines difficultés.

Les interventions de l’enseignant ont donc pour objectif de faire comprendre aux élèves que la réussite de l’examen (du TP)/projet les obligera à faire des choix et sans doute à sacrifier quelques points ou simplifier certains éléments de conception pour, dans un cas escompter une note honorable et, dans l’autre cas, terminer l’ensemble de vêtements pour le défilé de fin d’année scolaire.

3.2.3. Appréhender la compréhension du TP par les élèves

Cette forme d’engagement se concrétise lors du passage des enseignants à la table de travail ou à la suite d’une demande d’aide des élèves. Dans cette circonstance, les enseignants explorent leur degré de compréhension du TP ou de la tâche. Les préoccupations synchrones sous jacentes à l’engagement des enseignants sont alors : faire expliciter aux élèves ce qu’ils ont fait et ce qu’ils ont compris des consignes, comprendre éventuellement ce qui bloque certains élèves, montrer et expliciter la façon de réaliser certaines opérations en mobilisant conjointement l’action et le raisonnement. Ces préoccupations génèrent un engagement qui suit un déroulement type.

La première action consiste à questionner les élèves sur les procédures suivies pour obtenir les premiers résultats. Cette rapide enquête débouche ensuite sur deux scénarii types : soit le travail produit est conforme au travail prescrit et attendu, soit l’enseignant est confronté à une erreur qui le contraint à rechercher avec les élèves des pistes de résolution. Dans le second cas, l’enseignant reprend pas à pas les étapes du TP/ou du projet de conception en demandant aux élèves d’expliciter ce qu’ils ont fait et compris pour cerner le véritable obstacle à la poursuite du TP. Ces enseignants expérimentés savent en effet que ce n’est pas parce que les procédures sont annoncées que leur réalisation n’est pas problématique. La correction de l’erreur s’opère au cours d’interactions sociales avec le petit groupe d’élèves, interactions au cours desquelles l’enseignant reprend la procédure et les consignes tout en les commentant. Il lie ainsi la parole au geste.

3.2.4. Anticiper et saisir les erreurs pour se focaliser sur les apprentissages

Cette forme d’engagement intervient à chaque fois que les enseignants considèrent, soit que la demande d’aide des élèves porte sur une difficulté jugée cruciale en termes d’apprentissage, soit que l’erreur constatée ou à venir est une opportunité pour délivrer ou rappeler des connaissances disciplinaires. A plusieurs reprises les enseignants rappellent en effet qu’ils attendent l’occurrence de certaines erreurs prévisibles. Dans ces moments ils sont particulièrement vigilants et surveillent à distance l’activité des élèves. Lorsqu’ils repèrent une telle opportunité, les enseignants les rejoignent pour leur demander ce qu’ils ont trouvé ou produit et, ou, s’ils perçoivent le décalage entre ce qu’ils font et ce qui a été demandé, et éventuellement, ce qu’ils en pensent. Les préoccupations des enseignants qui s’actualisent lors de ces épisodes sont variées et s’actualisent progressivement sous la forme chronologique suivante: a) les encourager à situer leurs actions au sein de la procédure, b) attirer leur attention sur l’objectif à atteindre, c) les inciter à interroger leur(s) résultat(s), d) leur faire expliciter la difficulté rencontrée, e) accompagner le développement de leur raisonnement, f) les encourager.

Cette aide au repérage d’éléments significatifs se fait en désignant, voire en manipulant, les objets, comme le vêtement dans le cadre du PPCP « métiers de la mode ». Ce procédé d’intervention sur les objets favorise l’émergence d’une nouvelle interprétation de la situation par les élèves. L’enseignante souhaitait dans ces moments que les élèves s’engagent dans un débat d’idées au cours duquel elle pouvait les inciter à mobiliser des arguments sollicitant des connaissances plurielles.

De manière générique, les enseignants précisent qu’ils se contentent de poser des questions sur la cohérence des décisions et options prises par les élèves par rapport à leurs intentions. Lors de ces épisodes, les communications des élèves laissent à penser que leurs préoccupations sont congruentes avec celles de l’enseignant pour rechercher une solution conforme à l’objectif de production/TP.

A partir d’une analyse locale de l’articulation des cours d’expérience, les résultats montrent aussi comment, dans le cadre de configurations d’activités, des enseignants expérimentés parviennent à co-construire avec leurs élèves des conditions favorables au développement d’une activité collective orientée par et sur le travail scolaire.