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Se former, c’est se fixer des objectifs d’apprentissage dans sa propre zone d’inconfort, se mettre

4. Incidences du dispositif de formation sur la transformation de l’activité d’enseignants

4.1. Modélisation de l’activité des apprenants en formation

4.1.4. Se former, c’est se fixer des objectifs d’apprentissage dans sa propre zone d’inconfort, se mettre

A l’issue des sessions 1 et 2, l’analyse de l’activité des stagiaires a montré que ceux-ci avaient choisi des objectifs d’apprentissage du métier moins ambitieux, sans pour autant renoncer à leur intention de départ (enseigner selon une conception socio-constructiste ou en référence à des connaissances disciplinaires). Ceux-ci ont porté un réel intérêt à la construction d’une nouvelle forme d’adaptation lors des situations types vécues de manière inconfortable et au cours desquelles ils n’avaient pas réussi à satisfaire leurs attentes liées à l’accompagnement de l’apprentissage des élèves. Les stagiaires ont considéré que leurs progrès et l’adoption d’une nouvelle forme d’intervention passaient par une prise de risque et l’acceptation de phases inconfortables dans des expériences exigeantes en termes d’investissement et de remise en cause personnelle.

La présentation de résultats relatifs à l’analyse du cours d’expérience d’Adeline en basket se propose ici d’illustrer la manière dont s’opèrent les transformations de l’activité de stagiaires. Cette stagiaire a précisé47 qu’à l’issue de sa leçon et de l’atelier d’analyse de

43 « Moi, j’avais abandonné l’usage de fiche car les élèves ne voyaient pas son utilité pour progresser dans leur pratique. En écoutant la présentation de la fiche et l’enthousiasme de Stéphane, je me dis « t’as pas été suffisamment explicite… il faut peut être leur dire à quoi ça sert ».

44 « J’ai vraiment trouvé cette idée de la boussole intéressante, ça m’a permis de me donner un axe de travail. Je me suis dit, il faut que tu t’arranges pour dépasser l’usage de la fiche comme moyen d’occuper les élèves. J’ai cherché une fiche plus cohérente avec mon objectif qui incite les élèves à comparer leurs temps et discuter de la stratégie en course longue » (entretien analyse de pratique).

45 « Les artefacts des outils pour enseigner et apprendre » de l’ouvrage collectif « Pour l’enseignement ». « La description de l’activité des élèves en lutte m’a incité à tester la compréhension de ma fiche. J’ai proposé à un petit groupe de garçons qu’ils me disent ce qu’ils comprenaient ou non. Je voulais voir quelles formes de relations je pourrais éventuellement observer » (entretien de remise en situation).

46 Pour l’Enseignement « chapitre 4 » (Bertone, Chaliès, 2009).

47 « En explicitant mon activité en début de cours, je me suis rendu compte que je poursuivais trop d’objectifs et qu’il fallait que je fasse des choix. Les questions du formateur m’ont fait prendre conscience que mon

pratique qui l’a suivie, son intention de faire apprendre les élèves selon une conception socio-constructiviste n’était plus une priorité. Tout au long de la leçon, l’analyse de cet épisode a mis en évidence un engagement d’Adeline était sous tendu par un faisceau de préoccupations cycliques et récurrentes : surveiller l’activité de Mathieu et Thomas ; prendre le moins de temps possible pour expliquer les consignes ; être suffisamment exhaustive dans sa communication orale pour que les élèves comprennent les consignes ; mettre rapidement les élèves en activité. Lors des échanges avec les formateurs, Adeline est très peu intervenue. L’explicitation de son silence48 a montré qu’elle cherchait alors à tirer le meilleur parti possible de l’expérience d’un de ses pairs : expérience paraissant accessible et propre à l’aider à retrouver du confort dans la classe.

Lors d’un atelier de pratique, Adeline propose un extrait vidéo du début de la séance 3 de basket au cours duquel elle présente la première tâche. Dès que les élèves sont assis face au tableau, elle commence son explication49. La reconstruction de son cours d’expérience a montré que son engagement était alors organisé par quatre préoccupations récurrentes : « respecter l’ordre de présentation planifié, faire des liens entre le discours et le tableau, contrôler la compréhension des élèves, tenir le contrat temps de parole ». En observant sa présentation de la tâche, Adeline a précisé50 que son discours était planifié sans être figé. Adeline a ainsi mobilisé et validé les connaissances : « écrire au tableau les différents points qui seront abordés et les pointer au moment où tu les énonces, ça encourage les élèves à suivre » ; « annoncer le temps de parole et le faire chronométrer par un élève a des incidences sur leur écoute » ; « faire des liens entre le discours et le tableau permet aux élèves de mieux comprendre les consignes » ; « interroger entre chaque point deux élèves incite chacun à suivre la présentation ». Adeline a aussi informé51 ses pairs et les formateurs qu’elle a appliqué systématiquement cette structure tout au long de sa séance en apportant des petites corrections en fonction de son interprétation de l’activité des élèves. En entretien, elle a affirmé52 avoir aussi été influencée par la lecture d’un article de recherche dans le cadre de son travail de mémoire professionnel. Si elle est ravie d’avoir constaté l’influence de son intervention sur la compréhension des élèves habituellement les moins attentifs, elle dit s’être cependant sentie épuisée à la fin du cours53.

intervention était confuse … sans doute parce que je n’ai pas suffisamment anticipé la construction de mon discours et de ses effets sur les élèves ».

48 « Là j’écoute la manière dont Cédric décrit comment il démarre son début de cours... Et je me dis, pour la séance suivante, il faut que je mette en place une petite routine… en l’écoutant énoncer les consignes et surtout en voyant les élèves se mettre rapidement au travail, j’ai décidé de me focaliser sur l’efficacité de mon discours lors de la passation des consignes ».

49 « Bon aujourd’hui, vous allez travailler la conservation de la balle pour attaquer le panier adverse…. ». 50 « Je me suis inspirée de la façon dont Cédric utilisait le tableau et des conseils de mon conseiller pédagogique et de Jacques [formateur] pour avoir le maximum d’impact sur la compréhension des élèves ». 51

« J’ai systématiquement reproduit ce schéma sans forcément utiliser le tableau. Lors du dernier rassemblement, les élèves ont le tableau en tête. Ils comprennent quand j’évoque tels ou tels endroits ». 52 « J’ai relu le passage de l’article sur l’action située dans STAPS52 sur la typicalité de l’enchaînement des unités d’action et de leur signification pour l’enseignante lors de la séquence de regroupement des élèves en badminton. J’ai essayé d’anticiper, planifier des choses, tout en me laissant la possibilité de répondre aux questions des élèves ».

53 « Je suis contente parce que j’ai l’impression qu’on a gagné en efficacité, les élèves savent que la passation des consignes sera brève... ils se mettent d’ailleurs plus rapidement au travail. Mais en même temps, je suis crevée, c’est hyper exigeant, il faut penser à plus de trucs ».

L’analyse de l’activité d’autres stagiaires a renforcé l’idée que pour se former et accroître l’efficacité de son intervention en classe, il faut accepter de vivre des moments d’inconfort. Ceux-ci semblent d’ailleurs indissociables de la transformation de l’activité des stagiaires. Dans son mémoire professionnel, Emilie, une stagiaire qui a participé aux sessions de formation, décrit que son état de confort fluctue en fonction des éléments qui organisent son intervention en classe au fil des expériences54.

4.1.5. Se former, c’est construire des îlots d’efficacité en classe

L’analyse de l’activité des stagiaires lors des leçons a montré que, progressivement, ceux-ci construisaient des îlots d’efficacité, c'est-à-dire des instants au cours desquels ils réussissent à concilier état de confort et interventions en direction de l’apprentissage des élèves. La transformation de leur activité se manifeste alors par un nombre plus important d’interactions « pédagogiques » avec l’activité des élèves au sein des dispositifs d’apprentissage.

L’analyse du cours d’expérience de Karine présentée ici permet d’illustrer cette transformation. Lors de la leçon 3, au moment de la mise en place du dispositif consacré à l’enchaînement des éléments gymniques, celle-ci rassemble les élèves et leur explique55 qu’ils vont devoir réaliser six enchaînements. Karine a explicité56 la signification de cet instant et notamment son sentiment d’efficacité. Les images suivantes montrent les élèves qui récupèrent immédiatement une fiche de travail et s’affairent à construire l’aménagement matériel de leur atelier. Karine aide un premier groupe en lui indiquant où placer les tapis tout en interpellant un groupe de garçons qui s’amusent avec le chariot de tapis. Son faisceau de préoccupations est alors : « surveiller les élèves », « les encourager à se mettre rapidement au travail ». Cinq minutes plus tard Karine intervient57 auprès d’un groupe de filles qui affirment avoir trouvé le bon enchaînement. L’engagement des élèves dans la recherche d’enchaînements fait émerger une nouvelle préoccupation chez Karine : « surveiller le travail des élèves tout en cherchant un groupe qui puisse valider l’efficacité du dispositif ». C’est en écoutant58 la discussion entre Kilian et Vincent que ses attentes sont satisfaites. Au cours de cette séquence de vingt minutes, Karine valide des connaissances construites en formation : « contraindre le temps permet de limiter les

54 « Ces événements génèrent un certain inconfort car, dans la mesure où je privilégie la sécurité, ils monopolisent toute mon attention et ne me permettent pas d’intervenir sur les élèves en action dans les situations. (p.23). […] Mon confort étant lié à l’anticipation des imprévus, je constate une certaine évolution dans ma prévision des effectifs, notamment en imaginant des dispensés ou non mais surtout en ressentant de moins en moins le besoin de prévoir exactement le bon nombre de plots et de chasubles. (p.27). […] L’inconfort est alors lié au sentiment d’un manque de pertinence de mes tâches d’apprentissage et non plus à l’aménagement matériel et humain ou au manque d’investissement des élèves. (p.28) ».

55 « Vous travaillez les enchaînements indiqués au tableau puis vous discutez entre vous pour choisir l’enchaînement au cours duquel vous vous arrêtez le moins souvent… n’oubliez pas de remplir la fiche ». 56 « Là, avant de prendre la parole, je pense aux conseils de mon « conseiller péda » et aux images d’Adeline en Basket, je pense à l’organisation de mon discours, et à m’aider du tableau et des croquis... je veux vraiment qu’ils [les élèves] comprennent le pourquoi de cette proposition ».

57 « D’accord les filles… mais il faut essayer de le réaliser pour travailler le lien entre les éléments... je vous rappelle que tout arrêt est pénalisé »

58

« J’écoute et j’encourage Kilian à expliciter ce qu’il a perçu, ressenti lors de l’exécution des deux éléments [roulade avant et roue]. Je suis satisfaite car j’ai quelques éléments là, qui me permettent de dire que le dispositif est pas trop mal » (entretien Leçon 3).

débordements » ; « présenter la tâche comme un défi facilite l’adhésion des élèves » ; « les élèves recherchent et s’impliquent davantage lorsqu’on leur donne des repères » ; « l’activité des élèves est plus riche quand ils connaissent le motif de la tâche ». Elle construit de nouvelles connaissances : « les élèves en réussite sont capables de dire ce qu’ils réalisent pour enchaîner les éléments ». Au cours de cet épisode, Karine construit également des connaissances relatives à son intervention : « lorsque les élèves travaillent je peux prendre le temps de les questionner sur leur activité », mais aussi sur elle-même : « je suis capable de me rendre disponible pour accompagner l’apprentissage des élèves ».