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4. Incidences du dispositif de formation sur la transformation de l’activité d’enseignants

1.3. Formes d’interactions et communauté de pratique

Les analyses ont mis en évidence les processus cognitifs qui permettaient aux élèves de construire un contexte partagé pour s’ajuster et répondre aux exigences des différentes tâches.

Processus cognitifs et régulation des interactions sociales

Comme on l’a vu plus haut, l’analyse de l’activité de dyades et de groupes d’élèves engagés dans des tâches coopératives a montré que la coordination entre les acteurs ne signifie pas un partage cognitif total et contredit notamment l’intuition d’une mobilisation et d’une construction de connaissances communes par la médiation d’un contexte partagé. A plusieurs reprises les résultats ont en effet mis en évidence que les élèves peuvent coordonner leur action avec un partage cognitif (préoccupations, référentiel par exemple) relativement limité. De manière paradoxale, ces différences entre les élèves ne semblent donc pas constituer un obstacle pour s’ajuster mutuellement et s’adapter collectivement et efficacement aux exigences de la tâche. La prise de conscience de ces différences peut même être à l’origine d’interactions d’entraide entre les élèves. Ce sont ces interactions d’entraide qui, dans un second temps, peuvent générer l’ajustement des activités individuelles dans la perspective de construire une intelligibilité mutuelle, celle-ci étant la condition minimale pour être collectivement et individuellement plus performant.

L’analyse de l’articulation des cours d’expérience des élèves au sein d’un groupe, a montré que la réalisation de la tâche collective mobilise des phénomènes récurrents et transversaux participant à la co-construction d’un contexte partagé et d’une intelligibilité mutuelle. On constate en effet que, lors de leur participation à un collectif plus ou moins restreint, les élèves consacrent une part importante de leur activité à explorer, surveiller et interpréter l’activité des autres acteurs. C’est par exemple à travers une activité d’enquête que les élèves recherchent des signes pour inférer les interprétations et jugements de leurs partenaires et évaluer le degré de confiance pouvant être leur accordé pour

décrocher/raccrocher le cours de mathématiques, pour se focaliser sur son ascension en escalade, ou encore pour trouver des solutions au problème de conception de vêtement. Ces processus cognitifs organisent plus particulièrement l’activité des élèves dans les situations sportives. Ils s’actualisent notamment en relation avec des contraintes telles que la sécurité, le temps d’action, etc. Les résultats ont en effet mis en évidence que, dans ce type de situations, les élèves s’organisent pour informer de manière ostentatoire leur(s) partenaire(s) de leurs intentions, actions, sensations, dans la perspective de faciliter ou de maintenir un partage d’informations et ainsi favoriser la construction d’une intelligence mutuelle dans la situation. Les résultats ont ainsi montré que l’expert en volley ou le grimpeur en escalade expriment publiquement leurs interprétations et leurs émotions, dans le but d’influencer le comportement du ou des partenaires. Ceux-ci agissent de manière à rendre leur point de vue le plus signifiant possible pour l’autre. Cette influence s’est ainsi exprimée par des aides adressées au partenaire pour faire une passe en volley ou pour réguler la tension de la corde en escalade. L’occurrence de ces interactions d’entraide est liée à l’écoute attentive de l’autre et à une surveillance active de ses actions. Dans le cadre de l’escalade, les résultats ont aussi permis de constater que l’efficacité de la coordination entre les élèves est autant liée au partage des informations qu’à leur nature. Concrètement, c’est parce que certaines informations contenues dans le contexte deviennent de plus en plus signifiantes que les coordinations entre élèves deviennent de plus en plus efficaces67. Ces processus qui visent à faciliter et maintenir le partage d’informations et l’intelligibilité mutuelle témoignent aussi de façons de faire partagées au sein du groupe d’élèves qui progressivement délimitent les contours d’une culture commune scolaire (Rovegno, 2006). Toutefois dans certaines situations l’analyse de l’articulation des cours d’expérience a montré que les élèves ne se contentent pas de rendre accessibles certaines facettes de leur propre activité ou de surveiller l’activité de l’autre. Ceux-ci tentent aussi de contrôler ou d’influencer le jugement que peuvent porter leurs pairs par des processus de masquage. En effet, que ce soit en tennis de table, en mathématiques ou encore dans une moindre mesure en PPCP, les résultats montrent que certains élèves s’organisent pour dissimuler les dimensions « inavouables » de leur activité comme leur difficultés de compréhension, leur incapacité à retourner la balle en revers ou encore l’exploration du jeu de son partenaire. En ce sens, on peut considérer que la culture scolaire à laquelle contribue le couple visibilité/dissimulation façonne la manière de répondre collectivement aux tâches prescrites par les enseignants et ce qui est appris par chacun. On peut également vérifier que le sentiment et l’estime de soi alimentent la communauté de pratique et sont alimentés par elle.

Dynamique des interactions, îlots de cohérence temporaire

Dans cette note de synthèse, la description de différentes formes d’interactions entre les élèves ou entre les élèves et l’enseignant témoigne, ne serait-ce que partiellement, de phénomènes qui caractérisent une communauté de pratique, c’est-à-dire, selon Wenger (1998), un engagement mutuel autour de normes et de valeurs communément admises, une entreprise collective et un répertoire de ressources matérielles ou symboliques partagées. Parmi les phénomènes propres aux communautés de pratiques, l’ensemble des études empiriques a mis en évidence l’existence de phénomènes de tutelle spontanée entre les

67 C’est ainsi par exemple que, progressivement, le degré de tension de la corde perçu par les couples grimpeur/assureur s’est substitué aux verbalisations « du mou » (réduire la tension), « avale » (augmenter la tension), pour générer un mode de communication plus discret mais surtout davantage proactif.

élèves et de compagnonnage cognitif. La notion de compagnonnage cognitif (Brown et al., 1989 ; Lave, 1997) traduit l’idée selon laquelle, au sein d’une communauté de pratique, l’apprentissage évolue grâce aux interactions sociales collaboratives et par une construction sociale du savoir, dans le cadre de relations de « tutelle » entre les experts ou apprenants plus avancés et les apprenants novices. Pour M. Durand et al. (2006), « les interactions au sein des communautés de pratiques constituent un compagnonnage cognitif : chacun pratique et, aussi, aide et évalue les autres membres » (ibid., p. 73). Cependant l’analyse de la dynamique de certains épisodes d’activités collectives évoqués ici montre aussi que cette activité collective se construit parfois de façon précaire entre les élèves. La légitimé des actions est en effet sans cesse renégociée et l’équilibre du groupe est toujours menacé, en raison des dynamiques propres aux cours d’expériences individuels-sociaux des élèves. Dans certaines circonstances (Volley-ball, PPCP par exemple), les élèves ont davantage construit, à un niveau collectif, des « îlots de cohérence locale » (Durand et al., 2006) se concrétisant par les actions qu’ils légitiment et par les connaissances qu’ils construisent. Ils partagent de façon plus ou moins étendue au sein du groupe, positionnant ainsi chacun d’eux, alternativement, « en périphérie » ou « au centre » de cette « communauté de pratique ». Pour le tuteur « du moment », il s’agit alors d’aider l’autre à accomplir des actions qui seront ensuite évaluées comme légitimes ou non, au regard des normes de la communauté du groupe d’élèves. Le statut de tuteur ou de tutoré, lors des interactions de tutelle, n’est donc pas figé mais au contraire provisoire ou temporaire car le plus souvent indexé à l’objet de l’interaction sociale. Au sein du groupe, un élève peut être considéré par ses partenaires comme un expert pour guider la résolution d’un problème et dispenser des conseils sur les techniques à adopte. Il peut alors être marginalisé par les mêmes élèves lors d’une autre tâche ou leçon car son comportement ne sera pas jugé par eux comme étant adapté aux préoccupations du moment, comme par exemple le maintien de relations amicales avec un autre groupe de la classe. Ces îlots de « cohérence temporaire » qui se sont construits notamment par un compagnonnage cognitif semblent de plus en plus nombreux lorsque les élèves partagent un engagement collectif et une entreprise commune sur plusieurs leçons. Les résultats incitent donc à penser que la trajectoire individuelle d’apprentissage n’est pas linéaire, c’est-à-dire allant mécaniquement de la périphérie vers le centre, et que la position d’un élève à un moment précis ne suffit pas à préjuger de la qualité ou de la pertinence de son engagement à moyen ou à long terme. Cette position doit être envisagée comme dynamique, discontinue et faite éventuellement de régressions.

Artefacts sémiotiques et niveaux de configuration d’activités

Les descriptions de l’articulation des cours d’expérience au sein de configurations d’activité ont montré comment le corps et certains objets ont été des médiateurs sémiotiques (traversals) (Lemke, 2000) participant à la construction de significations partagées pour les élèves et à l’inscription de leur activité dans la culture de la classe. Le corps et les objets, mais aussi le langage, sont des artefacts porteurs d’une signification pour les élèves qui peut être négocié à chaque instant. Les résultats ont mis en évidence que certains artefacts sont des agents de liaison entre l’action individuelle et le groupe d’élèves et que les objets sont porteurs d’une signification qui permet de faire le lien entre les différents niveaux de configuration d’activités. A titre d’illustration, dans le cadre du PPCP et des TP de physique chimie, la signification des documents écrits ou la forme des vêtements ont été négociées au sein du groupe ; ce qui en retour a participé à l’organisation individuelle de

l’activité des élèves . Les artefacts sémiotiques ne sont pas seulement des objets dont la signification permet la traversée entre différents niveaux de configurations ; ils permettent d’assurer la continuité du travail collectif et de délimiter ce qui est légitime ou non au sein groupe.

La mise en relation de deux niveaux d’analyse (le niveau de l’activité individuelle sociale et le niveau des interactions) a mis en évidence la manière dont l’expérience et l’apprentissage sont influencés par les transactions et négociations entre pairs, à propos du but de l’activité collective. Si cette relation verticale entre niveau d’analyse et échelle temporelle a déjà été identifiée, lors de l’étude de l’activité d’un groupe d’élèves utilisant une fiche de co-observation en badminton (Saury et al., 2010), les résultats des enquêtes empiriques (notamment dans le cas du lycée professionnel) soulignent comment les enseignants font jouer à certains artefacts une fonction de médiation entre l’élève et le collectif. En se saisissant de certains objets, en les manipulant, en en pointant certains aspects, leur action facilite la circulation de la signification dans un sens ou dans l’autre. C’est ainsi que les enseignants peuvent induire une transformation des configurations d’activités et favoriser l’apprentissage des élèves.

2. Apprentissage et développement des apprenants et conception