Partie I : Médicaments à risque et sécurisation de la prescription
I.2 Colchicine, médicament à risque
I.2.7 Interactions médicamenteuses
Les interactions médicamenteuses observées avec la colchicine sont principalement dues à deux protéines qui modulent sa pharmacocinétique : la P-glycoprotéine et le cytochrome P450 3A4.
La colchicine est un substrat de la P-glycoprotéine (P-gp ou ABCB1), une phosphoglycoprotéine membranaire ATP dépendante. La P-gp représente une barrière à la pénétration intracellulaire des molécules car elle agit comme une pompe en expulsant les molécules à l’extérieur des cellules. Elle est largement représentée dans les différents tissus notamment au niveau de l’intestin, du foie, du rein et de la barrière hématoencéphalique. L’association d’un inhibiteur de la P-gp peut entrainer une accumulation du substrat dans la cellule et augmenter l’activité pharmacologique ou toxique de ce substrat.
45 Les principaux inhibiteurs de la P-gp sont présentés dans le tableau suivant (Tableau 4).
46 Tableau 4 : Principaux inhibiteurs de la P-gp
Principaux inhibiteurs de la P-gp
Antibiotiques Macrolides (tous sauf spiramycine),
pristinamycine
Inhibiteur calcique Vérapamil, diltiazem, nicardipine
Antiarythmiques Amiodarone, quinidine
Antifongiques azolés Fluconazole, itraconazole, kétoconaozole
Antiprotéases Le ritonavir agit parfois, moins souvent,
comme inducteur
Immunodépresseur Ciclosporine
Anticancéreux Tamoxifène, sorafénib
Autres Ticagrélor, atorvastatine, bromocryptine,
antidépresseurs sérotoninergiques, lopéramide
Le cytochrome P450 3A4 (CYP 3A4) est une isoenzyme principalement retrouvée au niveau intestinal et hépatique. Il joue un rôle majeur dans la métabolisation de la colchicine. De nombreux médicaments sont substrats, inhibiteurs ou inducteurs du CYP 3A4. La colchicine, qui est un substrat peut voir sa clairance corporelle diminuée lors de l’association à un inhibiteur du CYP 3A4.
47 Tableau 5 : Principaux inhibiteurs enzymatiques du CYP 3A4
Principaux inhibiteurs enzymatiques du CYP 3A4
Antiépileptiques Acide valproïque
Médicaments cardiovasculaires Amiodarone, diltiazem, vérapamil
Antibiotiques Macrolides (télithromycine, azithromycine,
clarithromycine, dirithromycine, érythromycine, josamycine, midécamycine, roxithromycine sauf
spiramycine), pristinamycine, doxycycline
Antifongiques azolés Tous : fluconazole, itraconazole, kétoconazole,
itraconazole, posaconazole, voriconazole
Antirétroviraux Atazanavir, darunavir, fosamprénavir, indinavir,
nelfinavir, ritonavir, tipranavir, délavirdine, télaprévir
Immunosupresseurs Ciclosporine
Anti-histaminiques H2 Cimétidine
Anticancéreux Imatinib, lapatinib, nilotinib, pazopanib
Androgènes Danazol
Antidépresseurs Fluoxétine, fluvoxamine
Autres Aprépitant, silymarine
Jus de pamplemousse, cannabis, réglisse
D’après les RCP de COLCHICINE OPOCALCIUM®
et COLCHIMAX®, la colchicine est :
- contre–indiquée en cas d’association avec les macrolides (sauf la spiramycine) et la pristinamycine. En effet, les macrolides sont connus pour être des inhibiteurs du cytochrome 3A4 et transportés par la P-gp. Les macrolides peuvent augmenter la biodisponibilité orale de la colchicine en augmentant l’absorption par inhibition de la P-gp au niveau des entérocytes. Ils peuvent diminuer le métabolisme hépatique de la colchicine et sa clairance en agissant comme un inhibiteur réversible du cytochrome P450 du foie. De plus, les macrolides peuvent limiter l’excrétion rénale et hépatique de la colchicine en interférant de nouveau avec la P-gp. Ces interactions sont d’autant plus à risque si le patient est insuffisant rénal.
48 L’article de Hung et al (47) montre que la clarithromycine (antibiotique de la classe des macrolides) augmente le risque de toxicité de la colchicine avec apparition d’une aplasie médullaire et d’une rhabdomyolyse et peut mener jusqu’au décès, en particulier chez les patients insuffisants rénaux.
- déconseillée en association avec :
o La ciclosporine : en cas d’association, la dose de colchicine doit être réduite de 50 % car la ciclosporine est un inhibiteur de la P-gp entrainant une augmentation de la concentration de la colchicine et une addition des atteintes neuromusculaires (48).
o Le vérapamil : il est inhibiteur du CYP 3A4 et inhibiteur de la P-gp. Dans la littérature, il est rapporté un cas de tétraparésie suite à l’utilisation concomitante des deux médicaments. La concentration de colchicine augmente au niveau du liquide cérébro-spinal alors que sa concentration sanguine diminue. Cette augmentation est due à l’inhibition de la P-gp au niveau de la barrière hémato-encéphalique et à l’inhibition du CYP 3 A4 au niveau du foie (49).
o Les inhibiteurs de protéases (boostés par le ritonavir) et Telaprevir : ce sont des inhibiteurs du CYP 3A4 qui, en cas d’association, entrainent une augmentation de la concentration et donc un risque de surdosage potentiellement fatal.
o Les inhibiteurs puissants du CYP 3A4 (Tableau 5) : augmentation de la concentration plasmatique de la colchicine avec risque de majoration des effets indésirables de la colchicine.
- avec une précaution d’emploi en cas d’association :
o aux anti-vitamines K (AVK). En effet, même si le mécanisme reste inconnu, l’association entraîne un déséquilibre de l’INR avec un risque hémorragique (50). La conduite à tenir en cas d’association est un contrôle plus fréquent de l’INR et une éventuelle adaptation des doses d’AVK pendant le traitement par colchicine ;
o aux les inhibiteurs de l’hydroxy-méthyl-glutaryl-coenzyme A (HMG-CoA) réductase (les statines) : risque de majoration des effets indésirables musculaires et notamment de rhabdomyolyse (51). La surveillance clinique et biologique, notamment au début de l’association, est recommandée.
49 On peut faire la remarque qu’il manque une information dans les RCP des spécialités. En effet, celles-ci ne tiennent pas compte, pour les interactions médicamenteuses, des inhibiteurs de la P-gp en général comme il est noté pour les inhibiteurs du CYP 3A4. Même si ces interactions médicamenteuses ne nécessitent peut-être que des précautions d’emploi, l’inhibition de la P-gp a pour conséquence une augmentation de la concentration de la colchicine et peut mener à un surdosage.
La revue Prescrire, dans son guide d’interactions médicamenteuses (19) fait de nombreuses recommandations sur les différentes interactions médicamenteuses des patients sous colchicine :
- Elle déconseille l’utilisation du lopéramide et des autres opioïdes avec la colchicine car ils « masquent les diarrhées qui sont un signe d’alerte d’une toxicité et donc retardent l’alerte ». On peut donc penser que l’utilisation du COLCHIMAX®
qui contient l’opium et le tiémonium est déconseillée.
- Elle conseille d’éviter d’associer la colchicine à des médicaments ayant les mêmes effets indésirables (agranulocytose, neuropathie périphérique, atteinte musculaire) pour ne pas additionner ces effets.
- Elle déconseille l’association à des médicaments néphrotoxiques qui pourrait diminuer l’élimination rénale de la colchicine et, par conséquent, entraîner une accumulation et donc un surdosage.