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Chapitre 2 – Etat des lieux sur les modèles de transfert dans les matériaux cimentaires

2.4 Caractéristiques physico-chimiques du béton

2.4.1 Interaction des ions chlorure avec la matrice cimentaire

Lorsque les ions pénètrent dans les bétons, une partie de ces ions est fixée sur les parois des pores du béton et une autre partie reste libre en solution. Dans cette étude, seuls la fixation des ions chlorure est considérée, en négligeant la fixation d’autres ions qui se trouvent en solution comme les ions Na+, K+, etc. Deux types d’ions chlorure sont alors distingués dans le béton : les ions chlorure libres dans la solution interstitielle et les ions chlorure liés chimiquement ou physiquement. Les ions chlorure liés chimiquement à la matrice cimentaire sont ceux qui réagissent avec les hydrates du béton pour former de nouveaux produits à base de chlorure. Principalement, ces ions liés résultent à la formation du sel de Friedel (chloroaluminates de calcium hydratés C3A.CaCl2.10H2O) à partir de l’aluminate tricalcique C3A. Les ions chlorure liés physiquement sont ceux adsorbés sur les C-S-H. Récemment des travaux

[25-26] ont quantifié les liaisons entre les chlorures et les C-S-H. Ces liaisons proviennent d’une substitution ionique dans les gels de C-S-H [25].

Les interactions sont habituellement exprimées par des isothermes d’adsorption, ces isothermes décrivent le pourcentage des ions chlorure liés avec le solide par rapport aux ions chlorure libres qui se trouvent dans la solution interstitielle (cf. figure 2-5) [27]. La méthode de mesure de ces isothermes se base sur les recommandations GranDuBé [28]. Il s’agit de disposer du béton concassé dans des solutions contenant du NaCl avec différentes concentrations et de mesurer la concentration d’ions chlorure liés jusqu’à stabilisation de la concentration.

Figure 2-5 : Exemples d’isothermes d’interaction d’ions chlorure [27].

Les interactions ions-matrice sont généralement modélisées en calibrant les résultats obtenus expérimentalement par des formules empiriques dont les plus courantes sont :

- L’isotherme linéaire: la concentration des ions chlorure liés Ccl,b (bound chlorides) est proportionnelle à la concentration des ions libres Ccl,f (free chlorides).

𝐶𝑐𝑙,𝑏 = 𝐾𝐶𝑐𝑙,𝑓 (2-6)

où K est un coefficient obtenu d’après le calibrage des résultats expérimentaux avec l’équation (2-6). - L’isotherme de Langmuir:

𝐶𝑐𝑙,𝑏 = 𝛼𝐶𝑐𝑙,𝑓 1 + 𝛽𝐶𝑐𝑙,𝑓

où α et β sont des coefficients empiriques. - L’isotherme de Freundlich:

𝐶𝑐𝑙,𝑏= 𝜇𝐶 𝑐𝑙,𝑓𝛾 (2-8)

où μ et γ sont des coefficients empiriques.

Ces deux dernières isothermes sont couramment utilisées pour décrire des isothermes non linéaires.

2.4.2 Interaction entre les ions dans la solution interstitielle

La solution porale du béton est une solution qui contient plusieurs espèces chimiques. Pour décrire correctement les mécanismes mis en jeu lors des essais expérimentaux et le déplacement des ions, les interactions entre les espèces ioniques présentes en solution doivent être considérées [23-29]. Le déplacement des ions en solution est associé à la migration due au gradient du potentiel électrique. Ce potentiel est un potentiel interne qui considère l’influence des interactions dues aux charges des ions qui sont en solution. L’équation de Nernst-Planck est utilisée pour décrire l’interaction entre les ions. Cette équation est détaillée dans la section suivante du chapitre. La modélisation du transfert ionique dans ce travail de thèse considère ces interactions électrostatiques. Cette modélisation néglige l’effet de la double couche électrique qui caractérise l’interaction ionique sous l’influence du potentiel de surface à l’échelle microscopique. Cela permet de limiter du point de vue numérique le nombre des inconnues pour réduire la charge de calcul et du point de vue des phénomènes de transport, il n’est pas nécessaire de prendre en compte l’effet de la double couche électrique car pour les bétons ordinaires (diamètre de pore important) son effet est négligeable, ce qui permet de simplifier la mise en équation des phénomènes de transport et leur résolution numérique.

2.4.3 Equilibres physico-chimiques au sein du béton

Le béton est un matériau cimentaire composé de phases solides (hydrates) et de pores (capillaires et pores de gel) remplis complètement ou partiellement d’eau liquide. La phase solide se forme après hydratation du béton avec un réseau poreux qui contient plusieurs ions alcalins et hydroxyles qui donnent à la solution interstitielle un caractère basique (pH d’environ 13). La pénétration des agents agressifs peut affecter le phénomène d’équilibre qui existe entre les hydrates du béton et la solution interstitielle. L’air contient du dioxyde de carbone CO2 qui, en présence de l’humidité se dissout dans la solution interstitielle des pores, puis réagit avec les hydrates du béton. L’eau de mer contient aussi des ions

chlorure qui peuvent réagir avec ces hydrates. Cette réaction peut conduire à la formation de nouveaux composés à base de chlorures qui dépendent de la solubilité des hydrates du béton. Du point de vue thermodynamique, plusieurs états d’équilibre peuvent exister. Pour un système multiphasique, où plusieurs réactions de dissolution et de précipitation apparaissent, le système global est en équilibre si pour toutes ces réactions les constantes d’équilibre sont égales aux produits d’activité. Si le système ne se trouve pas dans son état d’équilibre par exemple lorsque le béton est exposé à un environnement différent de son milieu naturel, un échange de matière entre le béton et l’environnement va causer un déplacement des équilibres chimiques entre les hydrates et la solution interstitielle et alors un nouvel état d’équilibre va être retrouvé [30]. Ce nouvel état d’équilibre conduit à l’apparition des réactions de dissolution et de précipitation. Par exemple la solution de l’eau de mer contenant des ions chlorure et des cations (Na+, K+, etc.) entraine une réaction entre les ions chlorure et les aluminates de calcium (C3A) de la pâte de ciment qui se trouvent dans le béton [31-32]. Cette réaction est responsable de la formation du sel de Friedel. Ce sel est le monochloroaluminate : 3CaO.Al2O3.CaCl2.10.H2O.

C3A + 4𝐻2𝑂 ↔ 3𝐶𝑎2++ 2𝐴𝑙(𝑂𝐻)4+ 4𝑂𝐻

4𝐶𝑎2++ 2𝐴𝑙(𝑂𝐻)4+ 2𝐶𝑙+ 4𝑂𝐻+ 4𝐻2𝑂 ↔ 3𝐶𝑎𝑂. 𝐴𝑙2𝑂3. 𝐶𝑎𝐶𝑙2. 10𝐻2𝑂

(2-9)

Cette réaction est réversible. Le sel est soumis à deux réactions : une réaction de précipitation et une réaction de dissolution mettant en jeu le sel sous forme solide et sous forme dissoute. L’équilibre est atteint lorsque la constante d’équilibre est égale aux produits des activités chimiques, ce qui donne :

{𝐶𝑎2+}4{𝐴𝑙(𝑂𝐻)4}2{𝑂𝐻}4{𝐶𝑙}2 = 𝐾𝑆𝐹 {𝐶𝑎2+}3{𝐴𝑙(𝑂𝐻)4}2{𝑂𝐻}4 = 𝐾𝐶3𝐴

(2-10)

où les parenthèses {Ioni} représentent l’activité chimique de l’ion i. Cette activité correspond à l’interaction entre l’ion et la solution. KSF et KC3A sont respectivement les constantes d’équilibre des réactions définies comme étant le produit de solubilité et elles sont égales à 29,1 et 20 [33].

Comme le couplage carbonatation – chlorures est au cœur de cette étude, il parait utile de mentionner que ce sel est capable de réagir avec le dioxyde de carbone dissout de l’air dans la solution interstitielle. Cette réaction se traduit par la décomposition du sel de Friedel et la création des déséquilibres au sein de la structure interne du béton.

3𝐶𝑎𝑂. 𝐴𝑙2𝑂3. 𝐶𝑎𝐶𝑙2. 10𝐻2𝑂 + 3𝐶𝑂2 → 3𝐶𝑎𝐶𝑂3+ 𝐶𝑎2++ 2𝐶𝑙+ 𝐴𝑙2𝑂3+ 10𝐻2𝑂 (2-11)

La dissolution du sel de Friedel dans la solution porale libère des ions chlorure. Ces ions qui étaient liés pendant l’attaque des chlorures sont transformés en chlorures libres en solution. La constante d’équilibre permet de déterminer l’état solide ou dissout du sel de Friedel en fonction des ions qui le composent. Si le produit d’activité des ions est inférieur à la constante d’équilibre, la solution interstitielle est sous-saturée et le sel se trouve sous forme d’ions chlorure. Sinon le sel est alors en phase solide. D’autres exemples de réactions de dissolution et de précipitation sont présentés dans ce chapitre et sont considérés dans l’étude du couplage carbonatation – chlorures.