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5. La pratique des curateurs

5.3 L’analyse thématique

5.3.2 Le curateur et les parents

5.3.2.2 L'intérêt de l'enfant

Nous avons demandé aux assistants sociaux : « Dans le cadre de la mise en œuvre de cette mesure, l’intérêt de l’enfant intervient-il ? ». Pour compléter les réponses qui nous étaient données, nous avons dû ajouter les questions suivantes : « Pour vous, que signifie l’intérêt de l’enfant ? », « Comment déterminez-vous cet intérêt dans la pratique ? ».

Tous considèrent que l’intérêt de l’enfant intervient dans le cadre de cette curatelle. Par contre, la manière de le définir ou de concevoir son application est différente. Certains (A. ; F. ; G. ; H.) en donnent une définition générale qui se rapproche de celle de la CDE ou de celle du droit suisse. Pour G. et H., l’intérêt de l’enfant se rapporte à son bien-être. H. le définit comme un « ensemble de facteurs, qui doivent être réunis et qui tiennent compte de son bien-être physique, psychique, de la stabilité de l’environnement dans lequel il vit ». A. et F. se réfèrent au développement de l’enfant. A. déclare : « L’intérêt de l’enfant va nous amener à prendre une décision qui ne soit pas préjudiciable au développement physique ou psychique de l’enfant ». A ce propos, B. et F. précisent que lorsque le conflit entre les parents est trop fort, il arrive que « l’enfant s’arrête dans son développement ». C’est pourquoi, l’intérêt de l’enfant est aussi « qu’il puisse continuer à évoluer malgré les conflits parentaux » (F.). A l’exemple de cette dernière définition, les autres assistants sociaux déterminent cette notion par rapport au droit aux relations personnelles et à la curatelle de droit de visite.

L’intérêt de l’enfant peut être de maintenir le lien entre lui et ses parents dans de bonnes conditions (B. ; C. ; D. ; F.), de ne pas être « tiraillé entre ses deux parents » (I.), « de voir diminuer le conflit pour que chaque parent arrive à la mesure de ses capacités à maintenir avec l’enfant une relation suffisamment sereine » (C.), « d’avoir une famille qui présente la plus grande homéostasie possible » (D.) et « d’éviter aussi que l’enfant entende des critiques par rapport à l’autre branche et qu’il puisse avoir une image positive de chacun de ses parents » (C.). Ce dernier point se réfère au devoir de loyauté selon lequel les parents ne doivent notamment pas se dénigrer mutuellement et dont la violation peut entraîner une limitation du droit de visite (art. 274 al. 2 CC).

Pour les assistants sociaux, dans le cadre de cette curatelle, l’intérêt de l’enfant semble intervenir à plusieurs stades. Tout d’abord, il était présent dans l’esprit du législateur quand il a introduit cette mesure dans la loi (I.). Ensuite, il est le motif duquel découle l’intervention du curateur (A. ; C. ; H.). Finalement, il est le principe qui guide le curateur dans son travail :

Nous le mentionnons quand nous faisons un rapport, ou une évaluation auprès du tribunal, en disant : « Il est dans l’intérêt de l’enfant de prendre telle ou telle mesure ».

[…]. Quand je reçois un mandat de curatelle, je regarde quelle est la problématique et je me dis : « Quel est l’intérêt de l’enfant ? ». (H.)

A. indique que les décisions se prennent « par rapport à l’intérêt de l’enfant et pas par rapport à l’intérêt des parents » et que, dans le cadre de son travail, elle agit « en fonction de l’intérêt de l’enfant ». Elle précise, qu’en l’absence de base légale pour régler une situation, il faut regarder l’intérêt de l’enfant. De par son rôle, le curateur est amené à veiller au bon déroulement du droit de visite (Stettler, 2006). L’intérêt de l’enfant permet au curateur de déterminer « le cadre qui serait le plus adéquat pour l’enfant » (F.) et de vérifier si l’exercice du droit de visite se passe dans les meilleures conditions possibles (D. ; G.), notamment par rapport à l’âge de l’enfant (H.) et aux conditions d’accueil (D. ; G.). Il est généralement considéré qu’il est dans l’intérêt de l’enfant de maintenir des relations avec les deux parents (Rey Wicki & Rinaldi, 1998). Partant de là, H. et D. sont d’avis qu’ils doivent proposer les aménagements nécessaires pour préserver le droit de visite. H. déclare : « Dans un premier temps, nous faisons tout pour que l’enfant puisse avoir accès à ses deux parents, par exemple, en établissant des visites dans un ‘Point Rencontre’ lorsque les conditions sont réunies ». D.

ajoute qu’il faut parfois même « demander un mandat plus large que le 308.2 ». Toutefois, tous les deux considèrent qu’il faut couper le lien lorsque l’intérêt de l’enfant est gravement mis en danger. H. précise :

C’est seulement en cas de circonstances graves, quand l’intérêt de l’enfant est menacé, c’est-à-dire par exemple que son intégrité physique ou psychique est mise à mal, que nous demandons au juge de suspendre ou de supprimer le droit de visite.

Elle mentionne, à titre d’exemple, le cas d’un père très en colère contre la mère de l’enfant et qui, « un jour, a montré à son enfant, la balle avec laquelle il allait tuer la mère de l’enfant » (H.). Dans ce cas, le droit de visite a immédiatement été suspendu. Donc, en fonction de l’intérêt de l’enfant, le curateur va proposer le maintien ou la suspension du droit de visite, notamment dans le but de ne pas tomber « dans un droit de visite à tout prix qui ne serait pas forcément dans son intérêt » (A.). Cela ressort aussi de la loi qui prévoit que l’existence et le retrait de l’exercice du droit de visite dépendent du bien de l’enfant (art. 273 al. 1 CC ; art. 274 al. 2 CC). D. considère que « les pires situations » par rapport à l’intérêt sont « celles où les visites se passent de manière irrégulière ». Ces propos sont confirmés par Meier et Stettler (2009) qui mentionnent que l’exercice du droit de visite d’une manière

irrégulière peut mettre en danger le bien de l’enfant et peut en entraîner une suspension ou un retrait. Selon C., durant cette curatelle, l’intérêt de l’enfant est présent dans toutes les discussions. Cependant, il « est perçu de manière très différente par les différentes personnes autour de la table » (C.).

L’intervenant ou chacun des parents met au centre l’intérêt de l’enfant. Peut-être la nuance entre l’intervenant et les parents pris dans le conflit, c’est que chaque parent s’acharne à dire que la sécurité de l’enfant ou l’intérêt de l’enfant n’est pas respecté chez l’autre parent et l’intervenant est en train de leur dire qu’il faut qu’ils s’entendent suffisamment pour que l’enfant puisse bien grandir. (C.)

En effet, il ressort de notre analyse juridique que les notions d’« intérêt supérieur » et de

« bien » de l’enfant ont un aspect subjectif et que leur sens dépend, en partie, de la personne qui le détermine. Il est également mentionné que ces notions s’apprécient en fonction du cas concret. A ce propos, G. indique que « d’un assistant social à l’autre, il y a des sensibilités différentes, des valeurs différentes ». H. précise que l’intérêt de l’enfant « s’apprécie de cas en cas », notamment en fonction de l’âge du mineur. Ensuite, pour déterminer cet intérêt, l’assistant social se base sur différents critères. Tout d’abord, il y a les connaissances sur le développement de l’enfant, sur le concept de maltraitance, etc. (C. ; G.). Ensuite, les assistants sociaux s’appuient aussi sur les informations qui proviennent des personnes entourant l’enfant : les parents (B. ; C. ; D. ; F. ; G. ; H. ; I.) ou d’autres professionnels. (B. ; C. ; D. ; F. ; G. ; H. ; I.). Selon D., il faut être prudent, car « chacun a son regard et construit sa réalité ». Il faut être particulièrement attentif aux informations provenant des parents car elles ne sont souvent pas objectives (D. ; F. ; G.). Puis, les assistants sociaux se fondent aussi sur la situation personnelle et familiale de l’enfant ainsi que sur les compétences parentales (B. ; F. ; I.). Finalement, l’enfant peut également contribuer à l’établissement de cet intérêt (A. ; B. ; C. ; D. ; G. ; I.). Pour D., il est important d’avoir un contact direct avec l’enfant pour éviter de se baser uniquement sur des informations subjectives. G. estime « quand l’enfant parle, c’est un peu plus simple parce qu’on peut lui demander ce qu’il aime, etc. ». C. considère que la parole de l’enfant doit être prise en considération, mais que « tout ne doit pas se baser » sur elle. B. entend l’enfant seulement si cela est nécessaire. A. spécifie que lorsque le conflit entre les parents est trop fort, il n’est pas possible d’entendre l’enfant pour déterminer son intérêt en raison du conflit de loyauté. Selon elle, si on le faisait, on ne serait « clairement pas dans l’intérêt de l’enfant » (A.). Dans la détermination de l’intérêt de l’enfant, il semble donc que la parole de ce dernier soit utilisée de manière différente selon les curateurs.

Selon A. et G., ce concept est difficile à déterminer dans certaines situations. A titre d’exemple, A. mentionne le cas suivant : « Un parent vient de déménager dans un mobile home, s’y est installé, vit dans un mobile home, qu’est-ce qu’on fait du droit de visite ? Est-ce que les enfants vont en visite nuits comprises ou pas nuits comprises ? ». Dans ces situations plus difficiles, le curateur peut aussi en parler à ses collègues lors de colloques ou supervision (A. ; H. ; I.). Quant à C., il mentionne :

Le fait de maintenir des relations personnelles ou simplement la présence d’un tiers qui rappelle ce qui devrait être fait au niveau légal a quand même tendance à maintenir le conflit. Et de temps en temps nous nous posons vraiment la question si le maintien de ces mesures est dans l’intérêt de l’enfant.

Même si C. remet en cause l’adéquation de la curatelle dans certaines situations et émet l’hypothèse que cette mesure peut, parfois, aller à l’encontre de l’intérêt de l’enfant, nous constatons que, globalement, l’intérêt de l’enfant est très présent dans l’esprit des assistants sociaux lors de l’exécution de cette curatelle. D’une part, nous déduisons cela de leur manière de définir la notion d’« intérêt » en lien avec la curatelle de droit de visite. D’autre part, cela ressort des nombreux exemples qu’ils nous ont donnés pour illustrer l’importance de cet intérêt dans leur travail. Partant, nous pouvons affirmer que, dans l’exécution de cette mesure, l’intérêt de l’enfant a une place centrale, même si ce concept n’est pas toujours facile à déterminer en pratique.