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5. La pratique des curateurs

5.3 L’analyse thématique

5.3.1 Les notions du point de vue des curateurs

5.3.1.1 Le droit aux relations personnelles et la curatelle de droit de visite

Etant donné que ces deux notions sont étroitement liées, nous les analyserons dans la même partie. Notre première question était la suivante : « Comment définiriez-vous la notion de ‘droit aux relations personnelles’ ? ». Parfois, afin de clarifier ou de compléter certaines des réponses, nous avons dû demander à nos interlocuteurs : « Selon vous, qui est le titulaire de ce droit ? », « Est-ce que, selon vous, ce droit a des caractéristiques particulières ? » ou encore « Selon vous, quel est le but de ce droit ? ».

Comme nous l’avons vu dans l’analyse juridique, le droit aux relations personnelles intervient dans un contexte particulier, à savoir lorsqu’un enfant vit séparément de l’un de ses

parents. Cela englobe plusieurs situations : « une séparation, un divorce ou un éloignement d’un des deux parents » (I.) mais aussi le cas de « parents qui ne sont pas mariés, qui n’ont jamais vécu ensemble » (H.). Tous déclarent que l’enfant est titulaire de ce droit. G. précise que « c’est nettement l’enfant » qui en est le détenteur. Elle explique : « On part toujours de l’enfant, on se centre sur lui en disant ‘c’est l’enfant qui a le droit de voir son père ou sa mère’ ». Il est considéré véritablement comme un droit de l’enfant : « un droit personnel » (F.), « un droit fondamental » (I.) et « un droit de la personnalité » (D.). La majorité d’entre eux (sauf B.) précise que le parent non gardien en est aussi le détenteur. Il s’agit d’« un droit et d’un devoir » (C.).

Un droit qui va dans les deux sens, c’est-à-dire le droit de l’enfant à voir le parent visiteur et le droit du parent visiteur de maintenir des relations avec l’enfant qui ne lui est pas confié en garde. (C.)

I. indique que, dans les faits, c’est « le parent non gardien qui vient réclamer les visites et non l’enfant ». Cette dernière remarque est une illustration de l’art. 273 al. 3 CC qui prévoit qu’uniquement les parents peuvent demander la réglementation de ce droit. Certains assistants sociaux (A. ; D. ; G. ; I.) énumèrent, en plus de l’enfant et du parent non gardien, d’autres titulaires. D., G. et I. indiquent que, dans certains cas, un tiers peut détenir ce droit :

Parfois, j’ai eu à traiter des situations qui relèveraient plus peut-être du 274a, des relations personnelles au sens large, avec la famille élargie. J’ai par exemple eu une demi-sœur qui voulait avoir des contacts avec son autre demi-sœur. (G.)

A cela, G. ajoute que « quand on dit ‘relations personnelles’, c’est surtout dans le cadre des parents : père et mère ». Dès lors, il semble que, conformément à ce que prévoit la loi, le droit de visite des tiers est très rare en pratique. D. déclare : « Personnellement, je n’hésiterai pas à dire que c’est la famille ». Cette opinion, à l’instar du préambule de la CDE et d’autres textes légaux, nous rappelle que l’enfant est un membre de la famille et qu’il en est donc dépendant. A. rappelle que même si, « quand on parle de relations personnelles, on parle plutôt de relations entre l’enfant et le parent non gardien » ; l’autre parent doit aussi avoir des contacts avec son enfant. En effet, le maintien du lien avec les deux parents est essentiel au développement de la personnalité de l’enfant et à sa construction identitaire (Rey Wicki et Rinaldi, 1998). Plusieurs assistants sociaux (A. ; B. ; C. ; D. ; F.) y font référence. Pour D., le but du droit aux relations personnelles est de « permettre un développement harmonieux de la personnalité psychoaffective de l’enfant ». Selon F., l’objectif est que « l’enfant puisse se

forger par lui-même une idée de ses deux parents, […] et qu’il ne soit pas induit en erreur par l’un de ses parents sur l’autre ». A. estime qu’il est important pour la « construction personnelle et identitaire [de l’enfant] d’avoir une relation avec chacun des parents » car « les parents forment un peu les racines de l’enfant ».

Juridiquement, le droit aux relations personnelles permet « de maintenir les liens entre le parent non gardien et l’enfant mineur » (Leuba, 2010, p. 1711). Les curateurs évoquent cette idée en utilisant les verbes suivants : « maintenir » (A. ; B. ; C. ; H.), « voir » (C. ; G. ; I.),

« rencontrer » (F.) ou « avoir accès » (I.) dans de bonnes conditions. Quant à D., il nous rappelle le lien entre le développement du mineur et l’évolution de l’environnement familial :

« le but de ce droit est de permettre à la famille de fonctionner de manière harmonieuse, de maintenir un équilibre, des relations et de générer des compétences pour le moyen terme et le long terme ».

Si, dans les réponses à cette première question, l’intérêt de l’enfant, notion très importante dans le droit aux relations personnelles, n’est mentionné expressément que par quatre curateurs (A. ; B. ; C. ; D.) ; il apparaît, à plusieurs reprises, dans la suite des entretiens notamment en lien avec ce droit (cf. chap. 5.3.2.2).

C’est un droit pour lequel on va faire le maximum pour qu’il puisse se réaliser mais toujours en fonction de l’intérêt de l’enfant. Donc si la relation personnelle de l’enfant avec un des deux parents nuit à son bien-être, à son intérêt, nous allons prendre des mesures, soit pour encadrer ces visites, soit alors pour les limiter, voire pour les suspendre. (A.)

Il ressort de ce passage que l’intérêt de l’enfant guide l’exercice du droit aux relations personnelles et que sa mise en danger le limite conformément à l’art. 274 al. 2 CC. A ce stade, nous constatons que, globalement, les curateurs ont une vision similaire de ce droit aux relations personnelles. La majorité des réponses correspond à ce que prévoit le Code civil ou la CDE. En effet, B., en ne mentionnant que l’enfant comme titulaire, se rapprocherait plus de l’art. 9 CDE. Cela nous confirme donc que les assistants sociaux considèrent que ce droit est centré sur l’enfant.

Nous avons poursuivi par notre deuxième question : « Comment définiriez-vous la notion de ‘curatelle de surveillance des relations personnelles’ ? ». Afin d’aider nos interlocuteurs

dans leur réflexion, parfois, nous avons ajouté les questions suivantes : « Quel est le but de cette curatelle ? », « Qui est le bénéficiaire de cette mesure ? », « Dans quel contexte cette mesure intervient-elle ? » ou « Quelles sont les conditions qui font que cette mesure soit ordonnée ? ».

F., G. et I. déclarent que le parent non gardien et l’enfant sont les bénéficiaires de cette mesure. Les autres curateurs indiquent uniquement l’enfant comme étant le bénéficiaire. Ces deux réponses se justifient étant donné que, d’une part, il s’agit d’une mesure de protection de l’enfant et donc instaurée pour protéger ce dernier et que, d’autre part, le parent non gardien est aussi titulaire du droit aux relations personnelles. Tous mentionnent que cette dernière est ordonnée dans son intérêt. En effet, G. précise que cette mesure vise le « bien-être de l’enfant, l’harmonie dans la famille ».

Plusieurs d’entre eux (B. ; F. ; I.) précisent qu’il s’agit d’un mandat que l’autorité compétente leur attribue dans le but d’assurer le maintien des liens entre l’enfant et le parent non gardien. Cet aspect apparaît dans toutes les réponses :

La curatelle d’organisation et de surveillance des relations personnelles est un mandat que le juge nous confie pour aider les parents à organiser l’accès de l’enfant au parent qui n’a pas la garde dans les meilleures conditions possibles. (I.)

Par rapport à ce mandat, la loi prévoit qu’il contient les modalités du droit de visite ainsi que les tâches concrètes qui incombent au curateur. F. et I. y font référence. A ce sujet, F.

déclare : « Nous ne déterminons pas le droit de visite, ça s’est vraiment le rôle du juge. Et, à travers la mesure qu’il nous donne, notre rôle est d’organiser les modalités de ce droit de visite […] ». Comme A. et B. le mentionnent, l’autorité décide et le curateur exécute. En effet, B. déclare : « La règle est donnée. Ensuite, il y a l’exécution de la règle et c’est nous qui le faisons ». Conformément à la loi, le curateur peut et doit faire des propositions à l’autorité qui, ensuite, décidera. En effet, I. précise qu’il doit faire un rapport au juge après deux ans pour demander la levée ou le maintien de la mesure. Selon Voll (2010), le curateur a une certaine liberté dans l’appréciation et dans l’exercice du mandat. A ce propos, D. et G.

précisent que chaque assistant social a une manière différente de procéder de par sa formation, ses expériences, sa sensibilité, etc.

Justement de par son expérience, C. indique que « dans ce type de situation, l’idéal est difficile à atteindre » et que dès lors, « il s’agit de trouver un minimum pour que les parents puissent échanger sur l’enfant et permettre le maintien des relations personnelles ». Au sens du Code civil, la curatelle de droit de visite est une mesure de protection de l’enfant et est prononcée lorsque le bien de l’enfant est mis en danger. Seuls D. et H. le mentionnent expressément. Toutefois, pour tous, le conflit entre les parents est l’élément qui déclenche la mesure car il empêche l’enfant d’avoir accès à ses deux parents dans de bonnes conditions, notamment en raison de son intensité (C. ; F. ; I.) du fait que l’enfant y soit pris « en otage » (B. ; G.) ou de son incidence sur le « développement de l’enfant » (B. ; F.).

Je pense que souvent c’est quand il y a un trop grand conflit entre les deux parents, soit les parents ne se parlent plus et, de ce de fait, il est compliqué d’organiser un droit de visite pour l’enfant, soit les parents se parlent mais les tensions entre eux sont trop grandes et il y a des rapports de pouvoir. (I.)

Au vu des éléments ci-dessus, nous pouvons déduire que les curateurs se réfèrent à la notion de « conflit d’adultes autour de l’enfant » présentée par Jud (2010). Implicitement, ils reconnaissent qu’il s’agit d’une mise en danger du bien de l’enfant et que cette curatelle est une mesure de protection. Cela confirme également les propos de Jud selon lesquels le conflit d’adultes autour de l’enfant est un motif important de l’intervention de la protection de l’enfant. A ce propos, selon B., « l’objectif d’une fin de curatelle, est de dire ‘ok, là, il n’y a plus besoin d’intervenir parce que les parents ont trouvé une solution possible à leur conflit’ ». Cependant, en pratique, cela n’est pas toujours aussi simple (A. ; C. ; F.). En effet, selon F., si cette mesure a pour but de calmer la situation « dans les faits, ce n’est pas toujours le cas et c’est là où la théorie ne rejoint pas la pratique ». Dans le même sens, C. déclare :

L’objectif est quand même que ça soit l’enfant qui soit le bénéficiaire d’une telle mesure.

Simplement le fait que ces mandats soient confiés à un service qui s’appelle la protection de l’enfant a aussi pour effet d’entretenir le conflit. Et dans certaines situations, le mandat sert aussi à offrir une estrade aux parents pour maintenir le conflit sous les yeux d’un témoin extérieur. Donc, l’objectif est le bien de l’enfant mais, de temps en temps, nous pouvons être instrumentalisés dans le maintien de ce conflit et devenir contre productifs avec chaque parent qui n’hésite pas à nous rappeler notre rôle de protection de l’enfant, non pas quand l’enfant est à sa charge, mais quand il est à la charge de l’autre parent.

Ces avis rejoignent les propos du Service du Tuteur général (2005) mentionnée dans notre introduction et selon lesquels la mesure peut aller à l’encontre de son objectif en provoquant une augmentation de l’intensité du conflit. Cependant, il existe une différence au niveau des termes utilisés. En effet, le Service du Tuteur général déclare que cela arrive

« dans de nombreux cas ». C. précise que cela se passe « de temps en temps » et F. mentionne que « ce n’est pas toujours le cas » que la situation s’apaise après l’introduction de la mesure.

Dès lors, nous pouvons supposer que généralement cette mesure remplit son objectif.

Ensuite, certains assistants sociaux décrivent, d’une manière générale, les tâches qui leur reviennent en vertu de ce mandat. Cette description correspond à celle de la doctrine et de la jurisprudence. Concernant le terme de surveillance, I. et G. précisent qu’il ne signifie pas que l’assistant social doit être présent pendant les visites. Ils mentionnent, notamment la tâche d’établir un calendrier de visite (A. ; G. ; H.) et celle de régler au mieux, avec les parents, les conflits liés au droit de visite (A. ; C.).

En principe, ce que nous faisons tout de suite, c’est d’établir un calendrier des visites et puis nous essayons de voir les parents régulièrement. La loi dit : ‘être médiateur’, mais il faut le comprendre dans un sens très large, c’est-à-dire tenter de rétablir une communication à minima entre les deux parents. (H.)

Nous développerons, plus en détail, en quoi consiste concrètement ces tâches dans le chapitre consacré au rôle du curateur par rapport aux parents (cf. chap. 5.3.2).

En conclusion, nous constatons que, globalement, les définitions données par les curateurs reflètent celles du droit. Elles confirment que l’enfant est le bénéficiaire de la mesure, que cette dernière est ordonnée dans son intérêt et pour sa protection. Par contre, il apparait que l’application de cette mesure ne remplit pas toujours son objectif de protection.