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Introduction bibliographique

4 Régulation centrale de l’homéostasie énergétique

4.1 Généralités sur l’homéostasie énergétique

4.2.4 Intégration des signaux lipidiques par le SNC

4.2.4.1 Transport des acides gras libres dans le cerveau et dans les neurones

Les lipides cérébraux sont des composants essentiels impliqués dans les voies de signalisation cellulaires mais également au niveau des membranes. Ils représentent environ 50% du poids du cerveau. Le cerveau constitue le deuxième organe le plus riche en lipides, après le tissu adipeux (Le Stunff et al., 2013).

La possibilité que les acides gras plasmatiques puissent agir sur le cerveau a été négligée pendant longtemps car ils n’étaient pas capables de traverser la barrière hémato- encéphalique (BHE). Cependant, de nombreuses études soutiennent l’idée que les lipides cérébraux proviennent à la fois de la circulation mais sont également produits localement (Rapoport et al., 2001). En effet, des travaux ont pu mettre en évidence que certains acides gras polyinsaturés ont la capacité de passer la BHE (Rapoport et al., 2001 ; Smith and

Nagura, 2001). Les acides gras à longue chaîne sont liés à l’albumine et peuvent ainsi traverser cette BHE par simple diffusion.

D’ordre général, la quantité d’acides gras entrant dans le cerveau est proportionnelle à la concentration de ceux-ci dans le plasma (Miller et al., 1987 ; Rapopport, 1996). De plus, comme évoqué précédemment, au niveau de l’hypothalamus, l’entrée des lipides se fait de manière différentes car les capillaires sanguins sont fenêtrés ce qui permet le passage de molécules de petites et moyennes tailles favorisant ainsi une relation directe avec les acides gras (Banks, 2010). De ce fait, des substances qui ne seraient pas capables de traverser la BHE au niveau du cerveau, pourraient quand même parvenir jusqu’à l’hypothalamus. En effet, il a été démontré que la capture du palmitate au niveau de l’hypothalamus est d’environ 10 à 15% contrairement aux autres aires cérébrales où sa capture est inférieure à 2% (Rapoport, 2001).

Une fois la BHE traversée, il semble que certains neurones capturent les acides gras tandis que d’autres neurones semblent les transporter. Par exemple, les neurones dissociés du VMN de rats expriment l'ARNm codant pour des transporteurs d’acides gras (Le Foll et al., 2009). De plus, bien qu'il soit peu probable que les neurones tirent une grande partie de leur énergie des acides gras libres, ces mêmes neurones expriment des ARNm codant pour le métabolisme intracellulaire des acides gras, comme l'acyl-CoA synthase à longue chaîne, la carnitine palmitoyltransférase (CPT) -1a et - 1c et la protéine mitochondriale de découplage-2 (UCP2) (Le Foll et al., 2009). Ils expriment également des enzymes pour la synthèse de novo des acides gras, ce qui suggère que les acides gras peuvent être métabolisés dans les neurones.

Il est également intéressant de noter que les lipides circulants peuvent également être retrouvés sous forme de lipoprotéines tels que les VLDL ou les chylomicrons contenant des triglycérides (TG). Tous comme les autres nutriments, des variations de la quantité de TG circulants peuvent être détectées par le système nerveux central pouvant ainsi participer au contrôle de la balance énergétique (Ruge et al., 2009). Ces lipoprotéines servent de transporteurs pour les TG dans la circulation. Afin de pouvoir libérer les TG, ces lipoprotéines doivent être hydrolysées. Il a été montré que de nombreuses lipases sont exprimées dans le cerveau et peuvent localement hydrolyser ces lipoprotéines (Paradis et al., 2004). Parmi ces lipases, la Lipoprotéine Lipase (LPL) est une enzyme permettant d’hydrolyser ces lipoprotéines et de libérer des acides gras ainsi qu’un monoacyl-glycérol (Wang and Eckel, 2012). De nombreuses études ont suggéré que ces lipoprotéines pouvaient participer à la modulation de la détection des lipides dans le cerveau à travers leur hydrolyse. Ces acides gras libérés seront ensuite utilisés localement suggérant qu’ils pourraient représenter une source supplémentaire de nutriments dans le cerveau.

Ainsi, les neurones sont donc capables de détecter les variations de quantité d’acides gras qui vont eux-mêmes agir comme des messagers cellulaires dans l’hypothalamus, dans lequel ils jouent un rôle dans le contrôle de la balance énergétique (Blouet and Schwartz, 2010 ; Magnan et al., 2015). Ce phénomène est définit comme étant le « lipid sensing ».

Le « lipid sensing » 4.2.4.2

Une hypothèse émise afin d’expliquer le lien existant entre les signaux périphériques et la régulation de la prise alimentaire par le SNC est appelée « lipostatic hypothesis » (Campfield et al, 1996 ; Mayer, 1955). Cette hypothèse propose que les lipides circulants, qui sont produits en fonction des réserves lipidiques et/ou du statut nutritionnel de l’organisme, puissent agir comme des signaux pour informer le cerveau du statut énergétique de l’organisme et permettraient l’induction de changements adaptés pour réguler la prise alimentaire et la dépense énergétique (Campfield et al, 1996). Une première étude publiée en 1975 a permis de montrer que les acides gras sont capables d’activer les neurones de l’hypothalamus latéral suggérant un rôle de ces acides gras en tant que molécules de signalisation (Oomura et al., 1975). Une autre étude, plus récente, a mis en évidence que les acides gras sont capables d’induire l’activation de certaines sous- populations de neurones dans l’ARC (Wang et al., 2006). Ces données suggèrent que des variations physiologiques de la quantité d’acides gras plasmatiques peuvent être détectées et intégrées par des neurones sensibles aux acides gras dans certaines zones du cerveau impliquées dans la régulation du comportement alimentaire et du métabolisme lipidique.

L’action physiologique des acides gras dans le cerveau a été soutenue par différentes études montrant que l’augmentation locale de la quantité d’acides gras dans l’hypothalamus est associée à des changements de sécrétion d’insuline et de libération de glucose hépatique s’associant à des effets sur la prise alimentaire (Clément et al., 2002 ; Ross et al., 2010). Ainsi, les lipides périphériques semblent capables de moduler la balance énergétique. Des études ont montré que la carnitine palmitoyl-transférase 1 (CPT1) est une enzyme importante dans le lipid sensing. Rappelons que cette enzyme régule l’entrée d’acides gras dans la mitochondrie pour la β-oxydation. Dans leur étude, Obici et ses collègues ont mis en évidence qu’une inhibition de CPT-1 dans le noyau médio-basal de l’hypothalamus conduit à une augmentation de la quantité d’acides gras présents dans l’hypothalamus. Une élévation de la teneur en acides gras dans cette structure (due à l’inhibition de CPT1) pendant six heures, conduit à une suppression de la production de glucose (Obici et al., 2003) reproduisant les mêmes effets qu’une injection d’acide oléique (un acide gras mono-insaturé) en intra-cérébro-ventriculaire (icv) (Obici et al., 2002).

D’autres travaux réalisés par Pocai et ses collègues ont permis de montrer qu’après trois jours de régime HFD, l’inhibition de la CPT1 permet de restaurer le lipid sensing, de normaliser la prise alimentaire en diminuant le flux de glucose hépatique (Pocai et al., 2006). Dans une autre étude, une injection bilatérale d’acide oléique dans l’hypothalamus médio- basal diminue la production hépatique de glucose (Ross et al., 2010). De plus, l’hypothalamus semble être plus sensible à certains acides gras par rapport à d’autres ; par exemple, une perfusion en ICV d’acide oléique ou d’acide docosahexaénoïque (DHA), contrairement au palmitate, induit une diminution de la prise alimentaire et du poids corporel (Schwinkendorf et al., 2011).

Une autre étude s’est, quant à elle, intéressée aux effets des TG. Les auteurs ont mis en évidence qu’une perfusion de TG en icv est également capable d’altérer la sécrétion d’insuline ainsi que la sensibilité à l’insuline hépatique (Clément et al., 2002). Les TG peuvent agir selon deux mécanismes, soit par l’action des enzymes de la lipolyse, soit par l’action de la LPL. Lorsqu’ils sont présents dans la cellule, ils vont être hydrolysés grâce à différentes enzymes :

- L’adipose triglycéride lipase (ATGL), - La lipase hormono-sensible (HSL), - La monoacyl-glycéride lipase (MGL).

L’ATGL va permettre de catalyser la première étape de la lipolyse, c’est-à-dire de convertir les TG en DAG en libérant un acide gras. La HSL permet d’hydrolyser le DAG en monoacyl-glycérol (MAG) en libérant un acide gras. Enfin, la MGL permet de libérer un acide gras et du glycérol (Zechner et al., 2012).

Comme évoqué précédemment, les lipoprotéines permettent de transporter des TG dans la circulation et ces derniers peuvent être hydrolysés localement par la LPL pour libérer des acides gras (Wang and Eckel, 2012). De manière intéressante, chez des souris, une délétion spécifique de la LPL dans les neurones induit une augmentation du poids corporel associée à une hyperphagie transitoire. Dans ce modèle, les auteurs ont pu constater une diminution de la capture des lipoprotéines au niveau de l’hypothalamus suggérant qu’une absence de détection centrale des acides gras peut conduire à une dérégulation de la balance énergétique (Wang et al., 2011). Une étude réalisée au laboratoire a montré que des souris déficientes en LPL dans l’hippocampe présentent une obésité corrélée à une augmentation de l’activité nerveuse parasympathique. Cette étude a également mis en évidence que l’ablation de la LPL dans l’hippocampe est associée à une augmentation la synthèse des céramides par l’intermédiaire de la voie de synthèse de novo (Picard et al.,

2014). Une autre étude réalisée au sein du laboratoire a récemment montré qu’une délétion spécifique de la LPL dans le noyau médio-basal hypothalamique conduit à une augmentation du poids corporel ainsi qu’à un dysfonctionnement de l’homéostasie glucidique (Laperroussaz et al., 2017). Ces informations permettent de mettre en évidence que le lipid sensing pourrait conduire à l’obésité et au DT2.

Cependant, les altérations des mécanismes impliqués dans le lipid sensing conduisant à l’installation de l’obésité et au diabète de type II sont toujours méconnues. Néanmoins, il est important de noter que la perturbation de cette voie de détection centrale des nutriments est suffisante pour perturber l’homéostasie énergétique et induire l’obésité (Pocai et al., 2006 ; Le Stunff et al., 2013). De plus, il est tout à fait concevable de penser que l’exposition chronique à un excès de lipides conduit à une résistance à leurs effets satiétogènes ainsi qu’à une désensibilisation de l’action des neuropetites NPY et AgRP contribuant au développement de l’obésité et du diabète de type II.

D’autres études ont montré qu’un excès de lipides vers le cerveau pourrait altérer le contrôle nerveux de l’homéostasie glucidique et lipidique à travers des changements d’activité du système nerveux autonome (Levin et al., 1983 ; Young and Walgren, 1994).