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Installation intramoléculaire d’un thioéther

III. Substitution du complexe par un ligand thioéther

2. Installation intramoléculaire d’un thioéther

L’étude précédente de substitution par un ligand phosphine ayant montré que la réaction de décarbonylation est compatible avec le squelette oligoamide aromatique, la même stratégie de post-modification est choisie pour installer un ligand thioéther. Dans un souci de biomimétisme, la cavité du squelette oligoamide aromatique est fonctionnalisée par un thioéther qui peut être vu comme un analogue de la cystéine présente dans le site actif de l’enzyme. Il s’agit donc, dans un premier temps, d’une approche intramoléculaire, le complexe restant accroché de manière covalente au foldamère avant la substitution par le thioéther. Ce qui relevait alors d’une simple interaction entre le squelette oligoamide aromatique et le ligand phosphine devient ici une modification directe de la première sphère de coordination du complexe par le foldamère. De plus, le second point d’accroche, selon sa position dans la séquence, pourrait permettre de contraindre la géométrie du complexe.

La position de la fonction thioéther dans la séquence doit à la fois permettre une substitution du complexe et être compatible avec la stratégie de synthèse du squelette oligoamide aromatique. Le développement d’un nouveau monomère s’avérant chronophage, il a été choisi dans un

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premier temps de valoriser les amides tertiaires développés dans la synthèse de 5. Bien que les amides tertiaires y aient été utilisées dans le but de perturber le repliement et l’auto-assemblage, la structure cristallographique de la séquence 4 montre que le repliement en hélice est peu affecté et que l’amide tertiaire y adopte une conformation trans. Cette conformation permet d’envisager une orientation préférentielle de la fonction thioéther vers l’intérieur de la cavité et ainsi sa coordination au complexe. La fonction thioéther retenue ici est issue du 3-(méthylthio)propanal, a priori de longueur suffisante pour se lier au complexe. Son installation est faite grâce à une réaction d’amination réductrice en présence du diazaanthracène amine 19 et de triacétoxyborohydrure de sodium dans le 1,2-dichloroéthane. Les conditions de réaction et de purification par chromatographie sur gel de silice n’ayant pas été optimisées, le rendement est de 27 %. L’amine aromatique secondaire obtenue est ensuite engagée dans une réaction de couplage avec le diazaanthracène acide 27 en présence de l’agent de couplage PyBOP. De même, les conditions de réaction et de purification par chromatographie d’exclusion stérique à recyclage (GPC) du dimère 49 n’ont pas été optimisées donnant un rendement de 28 %. Le groupement protecteur Teoc de la fonction amine est alors clivé à l’aide d’une solution de TBAF dans le THF et tamponnée par de l’acide succinique, avec un rendement de 98 %. Enfin, la fonction amine du dimère est engagée dans une réaction de couplage avec la fonction acide de l’heptamère portant le complexe 24. La purification est réalisée par GPC et le rendement est de 48 %. L’oligomère 51 possède un complexe de type {2Fe2S}, qui peut alors être substitué par le thioéther, en présence de Me3NO dans un mélange de CH2Cl2 et d’acétonitrile dégazés, à l’abri de la lumière. Le mélange réactionnel est purifié par filtration sur gel de silice et fournit le complexe de type {2Fe3S} 52 avec un rendement de 57 % (Schéma 3).

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Schéma 3. Synthèse du complexe {2Fe3S} : a) 3-(méthylthio)propanal, NaBH(OAc)3, 1,2-dichloroéthane ; b) 27, PyBOP, DIEA, CHCl3 ; c)TBAF, acide succinique, THF ; d) 24, PyBOP, DIEA, CHCl3 ; e) Me3NO, CH2Cl2/acetonitrile.

L’oligomère 51 portant le complexe {2Fe2S}, est une espèce bien définie en RMN 1H dans CDCl3 où l’amide tertiaire doit exister dans une conformation unique, cis ou trans. Le repliement hélicoïdal du squelette oligoamide aromatique est conservé comme en atteste l’anisochronie des protons Ha et Ha’ du complexe. Néanmoins, leurs deux doublets sont séparés de 0.48 ppm contre 0.68 ppm pour l’oligomère 3, de séquence similaire mais sans amide tertiaire, ce qui peut indiquer un environnement chiral moins marqué à proximité du complexe (Figure 22-A). Les spectres RMN 13C et IR ne montrent pas de modification notable des propriétés électroniques du complexe {2Fe2S} (Figure 22-D-H).

Suite à la réaction de substitution, le spectre IR en solution dans CH2Cl2 de l’oligomère 52 confirme la formation d’un complexe de type {2Fe3S} avec des modes de vibration pour les ligands carbonyles à 2044, 1984, 1968 et 1920 cm-1 (Figure 22-I). L’analyse par spectrométrie de masse confirme la substitution intramoléculaire d’un ligand carbonyle par le ligand thioéther avec un massif à [M+2H]2+ comme signal principal (Figure 22-G). En revanche, le spectre RMN 1H dans CDCl3 à 298 K montre des signaux larges probablement issus d’un échange entre deux conformations (Figure 22-B). Dans les mêmes conditions, le spectre RMN 13C montre un phénomène de coalescence des signaux des ligands carbonyles (Figure 22-E). En diminuant la température de l’échantillon à 253 K, les signaux deviennent fins en RMN 1H et forment deux jeux de signaux avec une espèce majoritaire (signaux bleus, Figure 22-C). Dans les mêmes conditions, le spectre RMN 13C montre deux résonances distinctes attribuées aux deux ligands

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carbonyles du fragment Fe(CO)2(RSR’) et qui sont accompagnées d’un autre signal large et difficilement discernable correspondant aux ligands carbonyles du fragment Fe(CO)3 (Figure 22-F). Cette observation peut s’expliquer par un échange lent, à l’échelle de temps de la RMN, des ligands carbonyles du fragment Fe(CO)2(RSR’) et un début de levée de dégénérescence du signal des ligands carbonyles du fragment Fe(CO)3. Cette cinétiques d’échange des deux types de ligands carbonyles s’explique probablement par le lien covalent entre le complexe et le squelette oligoamide aromatique par l’intermédiaire du thioéther qui contraint la géométrie du complexe.

Figure 22. Extrait des spectres RMN 1H (700 MHz) dans le CDCl3 de 51 à 298 K (A) et de 52 à 298 K (B) et à 253 K (C) montrant les signaux des deux espèces dans la région des amides avec en bleu l’espèce majoritaire et en rouge l’espèce minoritaire. Extrait des spectres RMN 13C (176 MHz) dans le CDCl3

de 51 à 298 K (D), de 52 à 298 K (E) et à 253 K (F). (G) Spectre ESI-MS de 52. Spectres IR en solution dans CH2Cl2 de 51 (H) et 52 (I) dans la région des ligands carbonyles.

L’étude de l’oligomère 52 à température variable par RMN 1H dans CDCl3, montre que les signaux larges du composé {2Fe3S}, observés à 293 K, se séparent en deux jeux de signaux dont l’un disparait progressivement, à mesure que la température de l’échantillon diminue. Les

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signaux de l’espèce majoritaire à 233 K sont fins. A cette même température, les deux doublets des protons Ha et Ha’ du complexe sont à nouveau bien définis mais ne sont plus séparés que de 0.28 ppm. En attribuant ces deux jeux de signaux à deux conformères du même composé, leur changement de proportion en fonction de la température pourrait s’expliquer par une contribution élevée du facteur entropique à la constante d’équilibre de leur interconversion (Figure 23).

Figure 23. Extrait des spectres RMN 1H (700 MHz) dans CDCl3 de l’oligomère 52 à différentes températures. Les couleurs utilisées dans la région des amides pour identifier les deux jeux de signaux sont les mêmes qu’en Figure 22-C.

Afin d’obtenir une géométrie bien définie autour du complexe {2Fe3S}, il est donc nécessaire de contrôler la dynamique d’interconversion des conformères. Il pourrait ainsi être envisagé de raccourcir la chaîne alkyle du thioéther afin d’en limiter le nombre de degrés de liberté et donc diminuer sa contribution entropique à l’équilibre conformationnel. L’influence de la position de l’amide tertiaire dans la séquence du squelette oligoamide aromatique est également un paramètre qui pourrait être étudié.

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Une autre approche consiste en la fonctionnalisation d’un monomère par un thioéther. Celle-ci permettrait d’éviter la perturbation du repliement du squelette oligoamide aromatique induite par un amide tertiaire et d’exploiter le potentiel de fonctionnalisation de la cavité.