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3. Les matériaux de la recherche : les modules Alplab

3.2 Inscription des modules dans les curriculums

Certains modules, dans l’offre de formation professionnelle, se construisent directement en lien avec une ou plusieurs compétences-clés qui sont identifiées et institutionnalisées dans les référentiels de compétences de nos institutions. Les contenus des modules découlent donc des compétences choisies. S’instaure alors un aller-retour entre les objectifs des compétences, leurs composantes, la planification des modules et leurs contenus.

Dans les enseignements des didactiques disciplinaires, la partie administrative, qui consiste à communiquer à l’unité de programmation les compétences et les composantes travaillées dans les modules, n’est jamais très longue et assez évidente. Il y a une concordance dans la demande entre ce que veulent les étudiant-e-s, les formateurs et les praticiens du terrain qui s’organisent autour de la transposition, de l’évaluation, de la planification et des différentes pratiques partagées. La discordance s’exprime plutôt entre le côté théorique perçu par les étudiant-e-s et la demande de concret.

Dans le cas des modules interdisciplinaires, qui font référence à des pratiques peu reconnues dans l’enseignement traditionnel, vu que ces modules se développent en dehors des murs de l’école, il n’y a pas de consensus autour des compétences formelles que ces modules doivent apporter aux étudiant-e-s. Certains le regrettent et toute une série de publications et de colloques tentent de définir des référentiels formels de compétences pour institutionnaliser les pratiques de formation, notamment dans le domaine de « éducations à… ». Mais ce processus reste à l’heure actuelle assez mouvant et peu stabilisé. Toutefois, le rapport à la démocratie y est central (Lange, 2015).

Dans l’analyse des modules que nous avons élaborés, il ressort assez immédiatement, en regard de la diversité des compétences et des composantes que nous avons inscrites dans les descriptifs des cours9, que la difficulté principale de ces projets très globaux réside justement dans le fait

9 Agir en tant que professionnel critique et porteur de connaissances et de culture. Permettre à la classe d’exister comme un lieu ouvert à la pluralité des cultures. 
Agir de façon éthique et responsable dans l’exercice de ses fonctions. Discerner les valeurs en jeu dans ses interventions.Légitimer, auprès des publics intéressés, ses décisions relativement à l’apprentissage et à l’éducation des élèves. Concevoir et animer des situations

qu’ils pourraient englober pratiquement l’entier du référentiel de compétences car, comme le remarque un étudiant : « on fait de tout et on vit beaucoup de choses». Comme il est évident qu’un module de formation ne peut avoir la prétention de développer et de faire progresser les étudiants sur l’ensemble des compétences10, cette utilisation à large spectre du référentiel de compétences nous dit autre chose.

3.2.1 Curriculums formels – curriculums réels

En effet, il n’y a pas de compétences et de composantes qui ne seraient spécifiques qu’à ce type de modules. La compétence spécifique naît d’une intégration des différentes compétences, d’où un retour réflexif de la part des étudiant-e-s plus compliqué et plus lent temporellement (il sera surtout lié à la mise en pratique de projets ultérieurs). L’historique de l’organisation des modules, les discussions entre les formateurs et les retours d’évaluation que les étudiant-e-s ont donnés soit aux formateurs, soit à l’unité de qualité, révèlent un manque de clarté dans l’identification des compétences référencées, et donc de l’inscription de ces modules dans les curriculums formels. Est-ce évitable ? Ou mieux encore, serait-il souhaitable que ces modules s’inscrivent plus clairement dans les curriculums formels ? La question reste ouverte, car elle dépend moins d’un choix du formateur que des exigences de l’institution. Par contre, ces interrogations nous amènent naturellement à souscrire à l’inscription des modules dans les curriculums réels.

Sur ce versant de notre montagne conceptuelle, les compétences travaillées sont à la fois beaucoup plus facilement identifiables et spécifiques à la démarche du projet et à son inscription

d’enseignement et d’apprentissage en fonction des élèves et du plan d’études. Guider les élèves dans la sélection, l’interprétation et la compréhension de l’information disponible en fonction des exigences d’une tâche ou d’un projet. Evaluer la progression des apprentissages et le degré d’acquisition des connaissances et des compétences des élèves. Faire participer les élèves au processus d’évaluation.Planifier, organiser et assurer un mode de fonctionnement de la classe favorisant l’apprentissage et la socialisation des élèves. Recourir à des stratégies adéquates pour prévenir l’émergence de comportements non appropriés et pour intervenir efficacement lorsqu’ils se manifestent. Participer au choix, à l’élaboration, à la réalisation et au bilan de projets de l’établissement scolaire. Organiser et faire évoluer la participation des élèves à la vie de la classe et de l’établissement. Porter un regard critique sur ses propres origines et pratiques culturelles et sur son rôle social.

10 Seule l’intégration des mitics n’est pas touchée, pour des raisons matérielles et de faisabilité mais également d’intérêt des formateurs.

dans le cadre de l’EDD. Il est question de pédagogie du projet, de pensée systémique, de complexité, de pratique du débat, de gestion des rapports entre les acteurs… Ces compétences sont systématiquement identifiées par les étudiant-e-s.

On peut relever toutefois un élément qui revient à de nombreuses reprises dans les évaluations : si les étudiant-e-s identifient un certain nombre de compétences réelles, ils ne les définissent pas comme des compétences transversales, mais comme spécifiques à la démarche proposée à ce projet. Et ces compétences sont étroitement liées à sa concrétisation matérielle, à son aboutissement, et plus encore à son inscription physique dans le terrain. Ainsi, au regard de notre démarche, de nos choix de dévolution et de notre recherche de l’autonomie des acteurs comme condition de base pour une démocratie réelle et non formelle, la concrétisation des débats, des discussions, des décisions, des hésitations, des renoncements, des bons choix comme des erreurs, doit acquérir une dimension physique, corporelle, pour dépasser la valeur d’exemple et acquérir celle de l’expérience.

Dans le cadre que nous proposons, nous souhaitons que la conscientisation ou l’intégration de l’acquisition de la compétence réelle par l’étudiant passe par la transformation de l’exercice d’une compétence à l’expérience d’une compétence. A la question de savoir ce qui a été le plus important dans les modules, les réponses des étudiant-e-s concordent sur un point : « les sorties ». L’expérience ou l’expérimentation globale, cognitive, physique, sensible que cette réponse met en avant, prend toute son importance. Si l’on revient donc à la question de savoir s’il est souhaitable d’inscrire plus clairement les compétences que ces modules mettent en avant dans le cadre d’un référentiel formel, il nous semble plus utile que les aspects qui sont directement en lien avec la prise d’autonomie des acteurs soient, eux, mis en avant.

Dans ce processus nous touchons au cœur du problème qui nous intéresse dans cette pérégrination : ce qu’on ne voit pas.

3.2.2 Curriculums cachés : quand la ville rencontre la montagne.

Un concept, très flou mais omniprésent chez les étudiant-e-s, se retrouve au centre des débats et joue le rôle de révélateur de la complexité de ce milieu : la nature. Une question surgit alors très rapidement chez les étudiant-e-s. Que faire si l’on se présente chez un alpagiste avec un projet en EDD et une conception très marquée par des valeurs de préservation de

l’environnement, et que celui-ci ne les partage pas11 ? Ou, si le schéma du développement durable, avec ses trois sphères égales qui se croisent de manière parfaite, ne correspond pas du tout à ce qu’ils observent sur le terrain ? Alors, ils élaborent des activités qui mettent en lumière les différentes visions et pratiques observées. Et dans la préparation de ces activités destinées aux élèves, les étudiant-e-s mobilisent davantage leurs propres valeurs et une réflexion importante sur la posture à développer12. Dans les retours, à la fin du module, cet aspect n’est pas apparu immédiatement, mais il émergea lors des entretiens que nous avons conduits. Nous allons donc conduire notre recherche sur le questionnement que ces modules ont soulevé autour des valeurs, de la « justesse » des valeurs des uns et des autres et des objectifs des enseignants dans ce terrain instable. En somme, lorsque la ville va à la montagne, quelle est la légitimité de sa parole et comment construire un espace légitimant ?

3.3 Une posture politique : la formation à la démocratie.

Dans les cursus de formation des enseignants-tes, il existe un certain nombre de modules qui mettent au centre de leur contenu et de leur fonctionnement des questions relatives à la démocratie et/ou à l’éducation en vue d’un développement durable (EDD). Dans ces modules, le positionnement politique est un facteur qui questionne le/la formateur/trice. Les questions traitées sont des enjeux politiques débattus en dehors du champ scolaire et provoquent parfois des réactions très vives. La place des opinions, des valeurs dans le cadre d’un processus de formation d’adultes en EDD pose-t-elle des questions spécifiques, différentes que celles posées dans le cadre de l’enseignement obligatoire où prévaut le rapport professeur-élève ? Dans ces modules, l’espace qui est créé pour l’échange d’opinions et de positions est déterminant, ainsi que les règles, cadres et processus qui régissent cet espace. En fait, c’est la question de la production d’un espace démocratique dans l’espace de formation qui est en question. Les

11 Les étudiant-e-s ont produit un support didactique qui décrit le rôle central de l’activité pastorale dans la préservation de l’environnement, du paysage et des éco-systèmes et ont été surpris de constater que des alpagistes utilisent des produits chimiques pour désherber leurs alpages, même en zone source.

12 On ne trouve quasi pas un texte sur le DD ou sur l’EDD qui n’évoque pas l’importance des valeurs, car « agir est avant toute chose une affaire de croyance et donc de valeurs ».

(Pellaud, Bourqui, Bouverat, Gremaud, 2013). Sur la question spécifique des valeurs dans l’EDD : Awais, 2016.

conditions d’existence d’un tel espace sont données par Dewey (Dewey, 1916-2011) et citées par Lange (2011)13.

Notre recherche, nous l’avons déjà noté, se construit sur une analyse des deux modules en EDD (les modules Alplab BP53 et MSSH38) pour dégager, dans un premier temps, une carte conceptuelle. Nous nous interrogerons, dans un deuxième temps, sur les espaces de cette carte et sur les relations entre les différents espaces et leur organisation. Nous proposerons ensuite une formalisation de la carte pour une utilisation plus large.

Ce travail de modélisation d’une pratique de formation va, d’une part, nous permettre de construire un cadre théorique et, d’autre part, nous permettre de formuler des hypothèses sur les interstices possibles pour le développement d’un espace démocratique cohérent (qui forme à l’expérimentation de la démocratie). Un travail d’entretiens conduits avec les étudiant-e-s impliqués dans les deux modules et avec des formateurs qui animent d’autres modules EDD nous a permis d’affiner nos hypothèses et de les confronter aux acteurs de ces modules. Les entretiens se sont donc orientés dans différentes directions :

- l’adéquation entre la forme et le contenu dans les modules EDD, - la perception de la pertinence des modules EDD,

- l’explicitation d’une formation à la démocratie dans le cadre d’une formation à l’enseignement en EDD,

- la problématisation des postures des formateurs-trices dans les modules EDD,

- l’importance du produit par rapport au processus dans une optique de pédagogie du projet,

- la compréhension et la représentation de la notion de démocratie (dans l’école et en dehors) chez les étudiants-es et les formateurs-trices de ces modules dans l’UER SHS de la HEP,

13 « Il faut, premièrement, que l’élève soit dans une situation d’expérimentation authentique, que l’activité à laquelle il s’intéresse pour elle-même soit continue ;

deuxièmement, qu’un problème réel se pose dans cette situation pour stimuler la pensée ;

troisièmement, que l’élève possède le savoir et fasse les observations nécessaires pour aborder le problème ; quatrièmement, qu’il suggère des solutions qu’il aura la responsabilité de développer de manière méthodique ; cinquièmement, qu’il ait l’occasion de mettre ses idées à l’épreuve en les appliquant pour clarifier leur signification et découvrir lui-même leur validité. »

- la compréhension et la représentation des éléments qui peuvent déterminer le choix (pour le formateur-trice) ou le ressenti (pour l’étudiant-e) d’une posture politique.

Les contenus des entretiens n’entrent pas directement dans le présent travail, mais ont été nécessaires pour organiser et penser d’une manière réflexive le cadre d’analyse de nos propres modules.

4. Analyse des modules et cartographie : contextes et outils