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Dans notre recherche, nous nous centrons sur la notion d’innovation et plus particulièrement d’innovation pédagogique. Néanmoins, avant d’aller plus loin, nous souhaitons informer le lecteur que dans notre cas concret de Learning centre, la notion d’innovation pédagogique liée aux modalités des méthodes d’apprentissage et d’accompagnement est fortement entremêlée avec la notion d’innovation numérique liée à l’intégration des outils et des usages qui l’accompagne. Sans forcément faire une partie spécifique à l’innovation numérique, nous avertissons le lecteur que dans la partie qui suit, l’innovation pédagogique devra être lue également à travers le prisme de l’innovation numérique.

Par innovation pédagogique, nous entendons, à la suite des travaux de Bonami et Garant (1996) et de Cros (1998), un processus complexe s’appuyant des nouveaux objets tels que le numérique. Les processus d’innovation sont souvent flous et difficilement prévisibles et ils peuvent transformer les conceptions, les pratiques sociales, les modes de relation entre acteurs, l’organisation, les valeurs et les finalités éducatives d’une institution (Choplin et al, 2007). D’après Mallein et Toussain (1994), l’innovation pédagogique se construit socialement selon des règles propres aux acteurs de l’éducation qui doit avoir du sens, être utile, utilisable et apporter une vraie valeur ajoutée. Quant à Bédard et Béchard, (2009), l’innovation pédagogique est une création originale qui permet, par l’utilisation de connaissances, de constituer des services et des moyens inédits (ou perçus comme tels) afin de transformer un système. Dans le monde éducatif, toute approche autre que magistrale est considérée comme « innovante ». L’interactivité se trouve au centre de l’innovation pédagogique (Ibid, 2009). Pour Choplin et al. (2007), cité par Kadi et al. (2019, p.146), « l’innovation pédagogique ce n’est pas forcément

tout réinventer mais plutôt enrichir une palette déjà existante de pratiques pédagogiques et savoir comment articuler de nouvelles façons de travailler avec de plus anciennes ». Par

exemple, Lebrun dit lors d’une conférence en parlant de la pédagogie inversée, que ce n’est pas une méthode révolutionnaire mais évolutionnaire. L’innovation numérique est au service de l’innovation pédagogique car c’est une manière d’organiser différemment l’enseignement et l’apprentissage. Cette notion d’évolution plutôt que de révolution va dans le même sens que De Ketele (2010) pour qui innover c’est « mettre intentionnellement du neuf dans une pratique

habituelle antérieure » (p. 8) comme, par exemple le passage d’un enseignement magistral à

Dans le milieu éducatif, les innovations pédagogiques sont là afin de permettre l’amélioration des situations d’apprentissages ou l’acquisition des connaissances. Celles-ci peuvent être soutenues par des innovations numériques et technologiques telles que les tablettes, les tableaux blancs interactifs, ou appuyées sur le numérique comme les MOOC (cours en ligne), la classe inversée, etc. Cependant il est nécessaire de ne pas confondre innovation et modification ou rénovation. Par exemple, un cours magistral qui change de support en passant du tableau à une présentation power point ne constitue pas une innovation mais seulement une modification du support de présentation. En effet, la pratique sous-jacente reste la même, le cours magistral. En revanche, une présentation power point mise en ligne en amont du cours par le professeur pour permettre aux élèves d’appréhender celui-ci en avance de phase et réserver le cours aux questions et à la pratique constitue là une réelle innovation dans la pratique d’enseignement. Pour De Ketele, réformer c’est introduire des changements fondamentaux dans une politique institutionnelle. Dans ce contexte les réformes ne deviennent vraiment une innovation que si elles se traduisent dans les pratiques pédagogiques des acteurs.

Dans le contexte d’innovation pédagogique, nous adoptons le modèle d’innovation d’Alter (2000). Ce chercheur propose trois niveaux de phases dans les processus d’acceptation d’une innovation, une phase d’invention, une phase d’appropriation et une phase d’institutionnalisation. Dans le cadre de notre recherche à l’ENSFEA, nous considérons que les enseignants sont dans la phase d’appropriation et d’institutionnalisation du Learning centre. En ce qui concerne l’appropriation, Honoré (2001) l’a définie par le fait d’intégrer quelque chose (dans notre cas les dispositifs et outils du Learning centre) dans son expérience et sa pratique au regard de ce que l’utilisateur recherche. La phase d’institutionnalisation doit permettre quant à elle de généraliser les nouvelles pratiques en les définissant comme la norme. Ainsi avant d’institutionnaliser les nouvelles pratiques, il est important de laisser un temps d’incubation pour que chaque individu puisse se les approprier, les compléter et les enrichir selon son propre besoin.

Enfin, l’innovation peut avoir des connotations positives ou négatives. Quoi qu’il en soit, elle engendre des ruptures dans les normes de l’environnement social qui sont souvent bousculées (Lietard, 2015). Quelque part, l’entrepreneur de cette innovation doit se mettre en risque. Certaines résistances peuvent s’opposer à lui. Pour Alter (2010, p.19), il existe trois types de résistances : la résistance qui relève de « l’absence de la stabilité de la situation ou d’expérience

d’un type de combinaisons [qui] empêche de mener des raisonnements « rationnels » en matière de gestion, et oblige à travailler par approximation, par intuition ». La résistance qui relève de la capacité de l’entrepreneur à « parvenir à imaginer des situations par rapports auxquelles il

ne dispose pas de repère », typiquement, un manque de feedback qui l’amène à une notion

d’aventurier. Enfin la dernière résistance qui est d’ordre social dans le sens où « les

entrepreneurs s’opposent constamment à des partenaires routiniers ».

Rogers (cité par Millerand, 1998, p.9) a beaucoup travaillé sur ces notions d’adoption et de résistance des innovations. Pour ce chercheur, ces résistances propres à chaque individu entraînent des décalages dans l’adoption des innovations. Il a mis en évidence cinq catégories de publics :

 Les innovateurs : ce sont les individus ouverts aux nouvelles idées, en quête de nouveautés, qui prennent des risques

 Les premiers adoptants adoptent l’innovation et prennent eux aussi certains risques  La majorité précoce adopte l’innovation lorsque les avantages sont démontrés. Le risque

est éloigné

 La majorité tardive est composée de suiveurs qui, à leur tour, deviennent actifs  Les retardataires sont les moins réactifs et parfois refusent d’adopter l’innovation. Cette approche met en avant le fait que l’innovation n’est pas adoptée de façon simultanée par les personnes concernées. Il est essentiel de mettre en place pour les catégories « retardataires » et « majorité tardive » des plans de communication pour les sensibiliser aux enjeux de l’innovation. Dans le cadre du Learning centre à l’ENSFEA, cela peut se traduire par des formations et des accompagnements aux nouvelles pratiques induites par l’innovation pédagogique et technique que représente ce dispositif. Ceci sera abordé dans la partie suivante axée sur la formation et l’accompagnement des enseignants aux nouvelles pratiques.