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Injustice écologique et inégalités écologiques

3.2 Orientation retenue pour sa construction

3.2.7 Injustice écologique et inégalités écologiques

L’idée de justice environnementale a son origine dans la lutte contre le

déversement de déchets toxiques près des communautés vulnérables aux

Etats-Unis dans les années 1980. Selon Warlenius, Pierce et Ramassar (2015), c’est un

concept large qui met l’accent sur la répartition inégale des charges écologiques

et les bénéfices de l’utilisation des ressources naturelles. Au départ, il a eu

comme origine la notion de racisme environnemental, frappant principalement

les communautés afro-américaines. A l’heure actuelle, le concept est largement

repris par des universitaires et des militants, pour expliquer que la répartition

inégale des charges environnementales est liée à un modèle de rapports de

forces. Dans ce contexte, la justice environnementale est indissociable de la

dette écologique dans la tentative d’élucidation des conflits écologiques et des

mécanismes de compensation pour les populations touchées (Gudynas, 2011).

Comme en témoigne Bullard (2005), « la justice environnementale constitue

un nouveau cadre d’action pour faire face à des inégalités environnementales,

à l’impact direct et indirect, et aux conditions économiques inégales ».

La dette écologique est utilisée comme indicateur cumulatif des injustices

environnementales principalement consécutives aux inégalités historiques

et géographiques entre le Nord et le Sud (Martínez Alier et al., 2014). Cf.

Goeminne et Paredis (2010), il a été montré que, depuis la période coloniale

et la révolution industrielle, les ressources naturelles du Sud ont été absorbées

par les pays du Nord, ce qui s’est traduit par une surexploitation, une usure et

des dommages environnementaux ainsi qu’une oppression sociale. Le concept

de dette écologique peut être associé à deux processus :

• Tout d’abord, la relation Nord-Sud peut être décrite dans le cadre

de différentes perspectives fiscalo-écologiques, non prises en compte.

Dans l’accumulation de la richesse, les pays et acteurs dans ces pays

non seulement utilisent leurs ressources naturelles, mais aussi celles

d’autres pays. Depuis l’époque coloniale, cette relation a favorisé les

pays industrialisés, dont la richesse s’est construite en grande partie

grâce aux ressources naturelles des pays en développement, ce qui a

provoqué des déséquilibres des écosystèmes de ces derniers.

• Un second processus concerne la pression excessive sur les écosystèmes

consécutive aux dommages écologiques subis par les pays du Sud et leurs

services à la suite de l’exploitation de leurs ressources naturelles par les

pays développés, même si les dégâts ne sont pas visibles immédiatement.

Les pays industrialisés sont particulièrement responsables jusqu’à ce

jour de l’abus des services des écosystèmes, du fait des conséquences

économiques et environnementales et de la limitation qui en résulte de

leur utilisation par d’autres pays et par les générations futures.

Par exemple, l’échange écologique inégal est lié au coût additionnel de

l’ex-ploitation des ressources naturelles exportées depuis la périphérie. Le plus

inquiétant est par ailleurs que le risque de disparition des ressources non

renouvelables. Un autre aspect de l’échange inégal écologique se traduit par

la valeur commerciale apparente attribuée à l’appropriation des ressources

génétiques, outre l’utilisation disproportionnée de l’espace environnemental.

Deux aspects ressortissent : les coûts de réparation en raison de la

compen-sation des impacts liés aux déchets toxiques et les coûts impayés du fait de la

pollution (gaz résiduels et autres types de pollution de l’air) (Warlenius Pierce

et Ramassar, 2015). Le problème de l’économie chrématistique est qu’elle ne

prend pas en compte de débiteur dans le Nord, car elle ne considère que les

aspects financiers et tangibles dans une certaine mesure de l’échange, sans

prendre en compte les effets des conflits écologiques (Mc Dermott, 2010).

Pour mieux comprendre ce qu’implique la justice environnementale, le terme

« extractivisme » sera utilisé pour définir des formes non durables

d’exploi-tation des ressources naturelles, un concept qui a été formulé en Amérique

latine par le travail de chercheurs équatoriens et uruguayens (Martínez Alier

et al., 2014).

En Equateur, il a été lié à l’extractivisme continu impliquant le système injuste

de la commercialisation du pétrole malgré la protestation des groupes civils et

des luttes des communautés autochtones pour défendre leur territoire (Mitlin et

Bebbington, 2006). En ce sens, elles constituent une avancée importante pour

parvenir à la légitimité des processus de justice écologique. En effet, grâce aux

connaissances ancestrales que les communautés locales ont accumulées dans

leurs activités quotidiennes et les externalités internalisées par les dommages

environnementaux causés par les activités extractivistes, les communautés

locales ont obtenu d’être représentées dans la lutte pour la dette écologique

et la « justice environnementale ».

Les organisations de la société civile ont donc un grand potentiel pour limiter

le pouvoir capitaliste. Depuis les années 90, elles ont démontré qu’elles avaient

une grande influence pour exiger de meilleures conditions de vie, la justice

sociale et le respect de leurs droits (Valdivia, 2007). Les campagnes de

promo-tion organisées par les communautés locales et les groupes civils montrent que

les pays qualifiés de « pauvres » (suivant un critère uniquement économique,

sans tenir compte de leur richesse environnementale) s’éveillent à une nouvelle

ère de démocratie, de droits de l’homme et de protection de l’environnement.

Ainsi, comme expliqué par Martínez Alier (2008), la population actuelle a

accru sa consommation de combustibles fossiles, de ressources de la biomasse

et de minéraux, produisant ainsi plus de gaz à effet de serre et de pollution. La

croissance démographique ayant amené à occuper plus d’espace, a provoqué la

destruction des écosystèmes et de certaines espèces vivantes. Dans ce contexte,

naissent des conflits écologiques distributifs.

Enfin, l’étude des cas d’injustice environnementale nous permet de développer

de nouvelles analyses. A titre d’illustration, des pays comme l’Equateur

démontrent cette nouvelle ère du développement durable en promouvant les

droits de la nature dans la Constitution en vigueur depuis 2008 et la recherche

de nouvelles alternatives de développement, telles que l’initiative Yasuní-ITT.

En Equateur, la limite de l’extraction des frontières du pétrole a atteint

le parc national Yasuní, où les manifestants autochtones et écologistes ont

demandé au monde d’aider le gouvernement en fournissant l’équivalent de

ce que gagnerait l’extraction du pétrole, afin de préserver la nature et les

peuples autochtones et d’éviter l’augmentation des émissions de dioxyde de

carbone répandues dans le monde par la combustion de pétrole dans cette

région, très riche sur le plan de la biodiversité. Comme expliqué par Martínez

Alier (2008), l’Initiative Yasuní-ITT consistant à laisser sous terre 920 millions

de barils de pétrole dans le parc national ITT Yasuní, propose un nouveau

mécanisme permettant de protéger la culture des populations locales et leur

environnement naturel. Malgré tout, même si les implications politiques de

l’initiative ont été faibles, cette proposition est une référence dont pourraient

s’inspirer, à l’avenir, d’autres pays.

Par ailleurs, renoncer au pétrole engendrerait pour la biodiversité et les

collectivités locales un bénéfice plus important que le coût financier. Les

principaux avantages de l’initiative sont les suivants :

• éviter les externalités locales,

• éviter la perte de la biodiversité,

• protéger la culture et la qualité de vie des Huaronis (les indigènes

locaux),

• réduire les émissions de dioxyde de carbone, bien que l’Equateur ne soit

pas lié par les traités internationaux de réduction des émissions de gaz

à effet de serre.

Cela pourrait constituer une proposition du Sud pouvant atténuer les effets

du changement climatique. Encore une fois, l’exploitation de Yasuni ITT

nous confronte à un conflit écologique distributif, où les pays industrialisés

transfèrent les coûts du changement climatique sur les pays les plus pauvres,

ceux-ci exploitant leurs ressources pour répondre à leurs besoins financiers.

La compensation financière évoquée par la proposition était infime comparée

aux avantages sociaux et environnementaux qui en auraient découlé, avec

une compensation de 5 USD par baril inexploité, 4.600 millions de dollars

(920 millions de barils à 5 USD). L’Equateur éviterait ainsi la perte de sa

biodiversité, et l’émission d’environ 111 millions de tonnes de carbone.

En ce sens, si l’on considère les bilans des entreprises, on peut constater qu’ils

n’incluent pas les passifs environnementaux, et que personne ne paie les

exter-nalités. Globalement, ceci ne constitue pas une défaillance du marché, mais

un transfert des coûts des pays riches avec un faible impact sur la population

actuelle et une future perte de la biodiversité. En Equateur, il y a des passifs

environnementaux pour l’exportation de produits primaires, de même que la

perte de la mangrove n’a pas été compensée. On estime que chaque hectare

de mangrove correspond à 10.000 USD par an (la défense côtière, l’élevage

des ressources marines, l’absorption du carbone et la production de bois), soit

200.000 hectares de mangrove perdus, équivalent en termes économiques, à

2.000 millions de dollars perdus par année (Martínez Alier, 2008).

La campagne internationale pour la reconnaissance et le paiement de la dette

écologique est devenue la question : qui doit quoi à qui ? Étant donné que la

dette écologique accumulée du Nord au Sud est des centaines de fois supérieure

à ce que devrait le Sud au Nord, dans ce contexte, le problème est l’injustice,

et la solution est qu’en raison de la dette écologique on peut transformer

l’économie du développement en une économie orientée plus verte et équitable.

Dans cette perspective Warlenius, Pierce et Ramassar considèrent (2015)

qu’il est possible que la dette écologique marque un tournant dans la relation

Nord-Sud et la dette extérieure, et qu’il faille donc repenser les politiques

de développement. Elle contribue également aux principes de l’économie

écologique et de la politique environnementale, en expliquant les liens entre la

société, la nature et l’économie, considérés historiquement comme dissociées

les une des autres par les décideurs politiques. D’où l’importance d’apporter

des éléments qui n’ont pas été encore pris en compte dans les discussions sur

le développement durable et les défis d’un long processus d’accumulation du

capital (Warlenius, 2015).

3.2.8 Le principe de responsabilité : la légitimité de la