PARTIE I : INTRODUCTION BIBLIOGRAPHIQUE
CHAPITRE 2 : MECANISMES D’INITIATION ET D’ACTIVATION DES VOIES
II- 2 Inhibiteurs des ErbB en thérapie anti-cancéreuse
Introduction bibliographique Chapitre 3 : Dérégulation des RTK et de leur signalisation dans les cancers II-2-1. Les anticorps bloquants
La plupart du temps, ces anticorps sont capables de lier le domaine extracellulaire des récepteurs et peuvent, selon le cas, bloquer l’interaction avec le ligand, empêcher la dimérisation, augmenter leur dégradation et/ou inhiber les voies de signalisation qu’ils activent. Il existe aussi des anticorps qui vont être capable de reconnaître non pas le récepteur, mais le ligand lui-même, empêchant ainsi sa fixation sur le récepteur. Tous ces anticorps sont généralement délivrés par voie intraveineuse. Ils sont produits chez la souris, ce qui empêche leur utilisation directe chez l’homme car ils provoqueraient une réaction immune. Il faut donc les « humaniser » en remplaçant les séquences des immunoglobulines de souris qui ne sont pas utiles pour la reconnaissance de l’épitope par la séquence des immunoglobulines humaines. Selon le cas, on obtient donc des anticorps chimères ou des anticorps humanisés, caractéristique dont dépendra la nomenclature de l’anticorps utilisé pour le traitement (cf. figure 30). Les anticorps dits « humains » sont maintenant produits à partir de souris transgéniques exprimant les chaînes légères et lourdes des
immunoglobulines humaines (ex : XenoMouse), ce qui allège leur fabrication, l’étape
« d’humanisation » n’étant plus nécessaire dans ce cas.
Figure 30 : Caractéristiques des différentes catégories d’anticorps utilisées en thérapie
(d’après (Roberts and Der, 2007))
On distingue différents anticorps ciblant l’EGFR mais le plus utilisé est le cetuximab ou
erbitux ou IMC-C225. C’est le plus étudié des anticorps dirigé contre le domaine extracellulaire de
l’EGFR. Il inhibe la signalisation induite par l’EGFR et cause notamment une augmentation d’expression de p27, provoquant ainsi un arrêt des cellules en phase G1 (Adams and Weiner, 2005; Li et al., 2005). Il a des effets anti-prolifératifs in vitro et sur des modèles de xénogreffes, notamment dans les cancers colorectaux (Masui et al., 1984), et présente des effets synergiques lorsqu’il est donné avec d’autres traitements de chimiothérapie ou de radiothérapie, ou avec des anticorps dirigés contre ErbB2, dans des cancers de la tête et du cou (Huang et al., 1999; Shin et al., 2001). Il est à noter qu’il a aussi un effet anti-angiogénique en permettant une diminution de la production de VEGF (Perrotte et al., 1999).
Introduction bibliographique Chapitre 3 : Dérégulation des RTK et de leur signalisation dans les cancers
A côté de cet anticorps dirigé contre l’EGFR, d’autres sont plus spécifiques de ErbB2 comme par exemple l’herceptine ou trastuzumab, anticorps monoclonal dirigé contre ErbB2 et utilisé en clinique (Cobleigh et al., 1999; Pegram et al., 1998). Il permet d’augmenter l’endocytose et la dégradation du récepteur et est le plus efficace en combinaison en chimiothérapie (Harries and Smith, 2002). Il diminue rapidement la phosphorylation de ErbB2, permet une diminution de la progression des cellules en phase S, par l’intermédiaire de p27 (Sliwkowski et al., 1999) et inhiberait le clivage du récepteur. En effet, dans les tumeurs où ErbB2 est surexprimé, il a été montré que celui-ci était clivé dans sa partie extracellulaire par une métalloprotéase, conduisant ainsi à la formation d’un « récepteur » tronqué mais conservant tout de même une forte activité kinase (Lane et al., 2000; Molina et al., 2001). Il est à noter que la présence, chez les patients, du fragment tronqué de la partie extracellulaire, est souvent corrélée à un mauvais pronostic. Le trastuzumab est utilisé notamment dans le traitement des cancers du cerveau et quelques résistances sont parfois observées, probablement lorsque ErbB2 n’est pas le seul ErbB impliqué dans le cancer en question. Il est aussi commercialisé aux Etats-Unis pour le traitement des leucémies myéloïdes.
Tableau 12 : Liste des principaux anticorps anti-ErbB testés en thérapie anti-cancéreuse
D’après (Roberts and Der, 2007)
Anticorps caractéristique Mode d’action statut Cancer ciblé
Cetuximab (erbitux) IMC-C255
IgG1 chimère Cible le domaine
extracellulaire de l’EGFR Approuvé Phase II-III Cancer colorectal, de la tête et du cou Pancréas, poumon, cerveau Panitumumab (vectibix) ABX-EGF
IgG2 humaine Lie l’EGFR et empêche la fixation du ligand Approuvé Phase I-III Cancer colorectal Poumon, ovaires, cerveau Matuzumumab (EMD-72000) IgG1 humanisée
Lie l’EGFR et empêche la fixation du ligand
Phase II Cancers colorectal, cervical et gastrique Nimotuzumab
(TheraCIM) ou h-R3
IgG1 humanisée
Phase III Poumon
Zalutumumab (HuMax- EGFr) ou mAb 2F8
IgG1 humaine Phase III Poumon, tête et cou
Pertuzumab (Omnitarg) ou RhuMAb 2C4
mAb humanisé Inhibiteur de
l’hétérodimérisation de ErbB2
Phase II Cerveau, ovaires, prostate
Ch806 IgG2 chimère Anti EGFRvIII Phase I
Herceptine ou trastuzumab
mAb humanisé Anti ErbB2 qui permet d’augmenter son endocytose
Approuvé Phase I-III
Leucémies Sein cerveau
Introduction bibliographique Chapitre 3 : Dérégulation des RTK et de leur signalisation dans les cancers II-2-2. Les inhibiteurs de l’activité kinase (TKI ou Tyrosine Kinase Inhibitor)
En général, les TKI agissent sur l’activité kinase en entrant en compétition avec l’ATP ou en se liant au domaine catalytique, bloquant ainsi la reconnaissance du substrat et empêchant la phosphorylation. Ils sont généralement délivrés par voie orale. Les premières molécules étaient plutôt sélectives d’un seul récepteur, alors que les dernières à avoir été découvertes peuvent avoir plusieurs spécificités et ainsi inhiber par exemple l’EGFR, mais aussi ErbB2. Il est cependant assez difficile d’obtenir une très grande sélectivité avec ce type d’inhibiteur, expliquant ainsi la toxicité cellulaire souvent observée avec ce type de molécules.
La plupart de ces inhibiteurs sont des molécules appartenant à la famille des anilinoquinazolines ou des analogues et représentent des inhibiteurs potentiels sélectifs des ErbB (Arteaga et al., 2002). Parmi eux, on distingue l’Iressa ou gefitinib ou ZD1839 qui est un inhibiteur de l’activité kinase de l’EGFR et de ErbB2 lorsqu’il est utilisé à plus forte concentration (Moulder et al., 2001). Il a un effet anti-prolifératif dans les cancers du poumon, des ovaires, du cerveau et du colon (Amann et al., 2005; Ciardiello et al., 2000). Il conduit à un arrêt des cellules en phase G1 du cycle cellulaire et induit l’apoptose à forte dose. Il est cependant plus efficace lorsqu’il est utilisé en combinaison avec d’autres drogues et possède un potentiel anti-angiogénique en diminuant la production du VEGF et du TGF (Sirotnak et al., 2000). Il représente la première molécule approuvée dans le traitement des cancers du poumon au Japon en 2003. Ce médicament subit cependant de nombreux échecs car bons nombres de tumeurs font apparaître une certaine résistance à cette molécule (Sordella et al., 2004). L’autre inhibiteur de l’EGFR couramment utilisé est l’erlotinib (tarceva) ou OSI-774. Il traite les tumeurs qui présentent une forte surexpression de ErbB1 (Bonomi, 2003) et a notamment été approuvée en 2004 dans le traitement des cancers métastatiques du pancréas.
Enfin, il existe de nombreux autres inhibiteurs résumés dans le tableau 13 et acuellement en essai clinique, dont 3 inhibiteurs irréversibles qui sont en cours de développement : CI-1033, HKI-272 et
Introduction bibliographique Chapitre 3 : Dérégulation des RTK et de leur signalisation dans les cancers
Tableau 13 : Liste des principaux TKI anti-ErbB testés en thérapie anti-cancéreuse D’après
(Roberts and Der, 2007)
Abréviations: EGFR: Epidermal Growth Factor Receptor.
II-2-3. Autres inhibiteurs et échecs thérapeutiques
Il existe de nombreux composants capables d’inhiber naturellement les ErbB tels que l’herbimycine et la génistéine qui ont permis la synthèse d’inhibiteurs des protéines hsp (heat shock protein) indispensables à la maturation des ErbB. De plus, des inhibiteurs de l’EGFRvIII ont été mis au point (Sampson et al., 2000). Par ailleurs, une autre génération d’anticorps, les scFv (single chain antibodies) est actuellement en essai clinique phase I. Ces composés ont l’avantage d’être plus petits que les anticorps « classiques » et donc de diffuser plus rapidement (Beckman et al., 2007). Enfin, le gène des adénovirus 5 E1A joue le rôle d’un véritable suppresseur de tumeur pour les cancers présentant une surexpression de ErbB2 en inhibant la transcription de ce dernier
inhibiteur Cible et
caractéristique
statut Cancer ciblé
ZD1839 ou gefitinib ou Iressa EGFR réversible
Approuvé Phase II-III
Poumon
Cerveau, carcinome hépatique, œsophage, tête et cou OSI-774 ou erlotinib (Tarceva) EGFR réversible Approuvé Phase II-III Poumon, pancréas
Cancer colorectal, tête et cou, prostate, rein
Lapatinib (tykerb) GW572016/GW2016
EGFR, ErbB2 réversible
Phase III Cerveau, rein, tête et cou
EKB-569 EGFR, ErbB2
irréversible
Phase III Cerveau, poumon
PKI166/PKI116 EGFR, ErbB2
réversible
Phase I Prostate, rein
ARRY-334543 EGFR, ErbB2
réversible
Phase I Tumeurs avancées
BMS-599626 Pan ErbB
irréversible
Phase I Tumeurs solides avancées CI-1033 ou canertinib Pan ErbB
irréversible
Phase I-II Poumon, cerveau
HKI-272 Pan ErbB
irréversible
Introduction bibliographique Chapitre 3 : Dérégulation des RTK et de leur signalisation dans les cancers
Il est à noter que de nombreux patients peuvent développer différentes formes de résistance à ces divers traitements, notamment à l’Iressa. Il s’agit le plus souvent de résistance acquise par exemple par une 2ème mutation de l’EGFR, comme c’est le cas pour la mutation T790M (Pao et al., 2005a). A l’inverse, des mutants de l’EGFR présentant une hyperphosphorylation de la tyrosine permettant la liaison de Grb2 semblent plus sensibles à l’Iressa que les autres mutants (Lynch et al., 2004). Cette sensibilité particulière sera plus longuement discutée dans la partie « résultats expérimentaux ». De plus, il semble que la présence de K-Ras dans les cellules cancéreuses corrèle souvent avec une plus grande résistance aux inhibiteurs de l’EGFR (Pao et al., 2005b).
Enfin, 2 études ont montré des résultats contradictoires sur les effets obtenus avec un anticorps bloquant, pouvant être lié à la nature des dimères d’ErbB considérés. Ainsi, un anticorps ayant été efficace pour diminuer la prolifération de fibroblastes s’avère en fait avoir un effet prolifératif sur des cellules cancéreuses. En fait, l’anticorps se fixerait sur l’EGFR, l’empêchant ainsi de s’hétérodimériser mais favorisant par contre la formation des dimères ErbB2/ErbB3. Or, ces dimères présentent une vitesse de dégradation plutôt lente et présentent de nombreux sites de liaison à p85, expliquant ainsi la résistance des cellules les exprimant aux inhibiteurs de l’EGFR (Maegawa et al., 2007; Sato et al., 1983).
III- le VEGFR
III-1. Les VEGFR et leurs ligands dans l’angiogenèse
Lorsque les cellules tumorales prolifèrent de façon anarchique, elles se retrouvent souvent dans une situation où la vascularisation n’est plus adaptée au nombre de cellules et elles deviennent alors nécrotiques et apoptotiques, leur capacité à proliférer étant alors largement diminuée (Holmgren et al., 1995). Afin de s’affranchir des effets négatifs liés à ces conditions d’hypoxie, les cellules vont alors mettre en place différents mécanismes qui vont conduire à la transcription de gènes pro- angiogéniques tels que ceux du VEGF, permettant ainsi une meilleure vascularisation de la tumeur. L’angiogenèse est donc le processus qui permet la formation de nouveaux vaisseaux sanguins à partir du réseau vasculaire existant et est coordonné par un équilibre entre des molécules pro- et anti-angiogéniques. Ainsi, l’expression du VEGF augmente en réponse à de nombreux facteurs caractéristiques des tumeurs, c'est-à-dire des facteurs dont on a remarqué que l’expression etait hautement augmentée dans les cellules tumorales. L’hypoxie est le plus grand régulateur de l’expression du VEGF, notamment par l’intermédiaire de HIF (Hypoxia inducible factor), dégradé en conditions normales, mais stabilisé par phosphorylation en condition d’hypoxie et permettant donc la transcription du gène du VEGF (Ferrara, 2004). Mais elle n’est pas la seule responsable de l’augmentation du taux de VEGF, et de nombreux autres facteurs tels que l’EGFR, l’IGF1-R, Met, les prostaglandines, Src ou encore Ras vont eux aussi induire son expression (Hicklin and Ellis, 2005). De même, des altérations de suppresseurs de tumeurs aussi variés que VHL (von Hippel-
Introduction bibliographique Chapitre 3 : Dérégulation des RTK et de leur signalisation dans les cancers
Lindau) ou PTEN vont provoquer une hyperexpression du VEGF (Maxwell et al., 1999; Zundel et al., 2000).
Tableau 14 : Régulateurs de l’expression du VEGF dans les cellules tumorales d’après
(Hicklin and Ellis, 2005)
Le VEGF et ses récepteurs, de même que les voies de signalisation qu’ils induisent sont considérés comme de véritables molécules pro-angiogéniques (Jain, 2002). Ainsi, l’expression du VEGFR-2 confère au VEGF son rôle dans la migration des cellules endothéliales et l’angiogenèse durant le développement de la rétine (Gerhardt et al., 2003). En conditions pathologiques, le VEGF sécrété par les tumeurs permet la formation de nouveaux vaisseaux sanguins en activant les cellules endothéliales. Il va aussi conduire dans ces cellules à une sécrétion accrue de métalloprotéases qui vont pouvoir dégrader la matrice extracellulaire, augmentant ainsi le pouvoir invasif de la tumeur. De même, de récentes études ont montré que les hétérodimères VEGFR-1/VEGFR-2 joueraient un rôle majeur dans le processus d’angiogenèse (Autiero et al., 2003; Sakurai et al., 2005). Ces différentes observations ont donc conduit les laboratoires à considérer le VEGF et ses récepteurs comme de potentielles cibles anti-cancéreuses.
Hypoxie Faible pH IGF1-R EGFR IL-1B IL-6 Met PDGFR Src β-caténine HIF AP-1 SP-1 NFκB Bcl2 Akt Ras Src PTEN P53 vHL Wnt Rb ErbB2 C-jun C-fos MDM2 RhoC eIF-4E Facteurs environnementaux/facteurs de croissances et cytokines et leurs récepteurs Voies de signalisation/facteurs de transcription Oncogènes/suppresseurs de tumeurs Hypoxie Faible pH IGF1-R EGFR IL-1B IL-6 Met PDGFR Src β-caténine HIF AP-1 SP-1 NFκB Bcl2 Akt Ras Src PTEN P53 vHL Wnt Rb ErbB2 C-jun C-fos MDM2 RhoC eIF-4E Facteurs environnementaux/facteurs de croissances et cytokines et leurs récepteurs Voies de signalisation/facteurs de transcription Oncogènes/suppresseurs de tumeurs
Introduction bibliographique Chapitre 3 : Dérégulation des RTK et de leur signalisation dans les cancers
Figure 31 : Effet du VEGF et de ses récepteurs sur le processus d’angiogenèse d’après
(Tabernero, 2007)
III-2. Inhibiteurs du VEGFR en thérapie
Comme pour l’EGFR, des stratégies utilisant soit des anticorps, soit des TKI ont été mises au point. De façon générale et compte tenu du très grand nombre de facteurs angiogéniques connus, les anti-VEGF et anti-VEGFR sont souvent insuffisants lorsqu’ils sont utilisés seuls et sont testés la plupart du temps en combinaison avec d’autres agents thérapeutiques.